La « démocratie » des sans vergogne

, par BOFF Leonardo

2 août 2017, rejet de la Chambre des Députés de la demande du Procureur général de la République de mise en accusation de Michel Temer pour corruption. Crédits : Mídia NINJA.

Il est difficile de se taire après avoir assisté à la funeste session de la Chambre des députés qui, sans scrupules, a voté contre la possibilité d’intenter un procès devant le Tribunal Fédéral Suprême au Président Temer, pour crime de corruption passive.
Ce que cette cession a montré c’est la nature réelle de notre démocratie qui se renie elle-même. Si nous l’évaluons à la lumière des caractéristiques minimales de toute démocratie qui sont : le respect de la souveraineté populaire, la stricte mise en application des droits fondamentaux du citoyen, la recherche d’un minimum d’équité dans la société et l’incitation à la participation, le bien commun, ainsi qu’une éthique publique identifiable, elle apparaît alors comme une farce et comme sa propre négation.

Ce n’est même pas une démocratie de très bas niveau. Elle s’est révélée être, malgré de notables exceptions, un repaire de personnes dénoncées pour crimes, de corrompus et de voleurs de grands chemins à l’assaut des maigres ressources des citoyens.

Comment iraient voter en faveur de la possibilité de faire juger un Président par le Tribunal Fédéral Suprême les députés actuels, alors que 40 % d’entre eux répondent de plusieurs sortes de procès à la Cour Suprême ? Les connivences secrètes entre criminels ou accusés de crimes fonctionnent toujours, à la façon des « familles » de la mafia.

Jamais dans ma déjà longue et pénible existence je n’ai entendu dire qu’un candidat ait, pour financer sa campagne, vendu sa résidence secondaire ou se soit défait d’un bien quelconque, mais au contraire qu’il a toujours fait appel à des chefs d’entreprise ou à d’autres personnages riches pour financer son élection à coups de millions. La caisse noire est devenue normale et les dessous de table fabuleux n’ont cessé de croître de campagne en campagne en même temps qu’augmentaient en retour les échanges d’avantages.

Cette fois le Palais du Planalto [palais présidentiel] est devenu le grand repaire du grand Ali Baba qui, au vu de tous, distribuait des faveurs, promettait des subsides par millions ou encore offrait divers avantages afin d’acheter des votes favorables. Ce seul fait mériterait une investigation pour corruption ouverte, scandaleuse aux yeux de ceux qui gardent un minimum d’éthique et de décence, spécialement les gens du peuple qui ont été profondément consternés et humiliés.

Effectivement aucun Brésilien ne méritait une pareille humiliation à tel point que beaucoup se sont sentis honteux d’être Brésiliens.

Les parlementaires, y compris les sénateurs, représentent beaucoup plus les intérêts corporatifs de ceux qui ont financé leurs campagnes que ceux des citoyens qui les ont élus.

Nous avons maintenant le recul suffisant pour percevoir clairement le sens du coup d’état parlementaire qui a eu lieu avec la complicité d’une partie du Pouvoir Judiciaire et l’appui massif des médias sous contrôle des entreprises : en finir avec les avancées sociales favorables à la population la plus pauvre qui, depuis la période coloniale et comme le dit le grand historien mulâtre Capistrano de Abreu, a toujours été, « châtrée et rechâtrée, saignée et resaignée » ; et par ailleurs aligner le Brésil à la logique impériale des USA, au lieu de mener une politique étrangère « active et ambitieuse ».

Jessé Souza [Professeur d’université et chercheur], ancien président de l’IPEA (Institut de Recherche Économique Appliquée) dont il a été démis par l’actuel Président [Temer], donne le nombre des personnes constituant les classes oligarchiques : 71 440 supers millionnaires dont les revenus mensuels provenant en général de la financiarisation de l’économie atteignent 600 000 reais [1] par mois. Ces derniers n’accepteront jamais que quelqu’un venant de l’étage du bas ou un survivant de l’histoire des tribulations des fils et filles de la pauvreté, parvienne à occuper le centre du pouvoir. Ils ont pris peur en constatant leur présence dans les aéroports et les beaux magasins, dont ils avaient la fréquentation exclusive.

Ils devaient être remis à leur place dans les lieux dont ils n’auraient jamais dû sortir : la périphérie des villes et les favelas. Non seulement ils les veulent éloignés de leur lieu de vie, mais plus encore ils les haïssent, les humilient et, par tous les moyens, propagent ce ressentiment inhumain. La haine ne vient pas du peuple confirme Jessé Souza, mais de ces richissimes qui les exploitent et leur payent des salaires de misère avec regret et par obligation légale. Pourquoi les payer, puisqu’ils ont toujours travaillé gratuitement, comme autrefois ?

Des historiens renommés comme José Honòrio Rodrigues ont montré que chaque fois que les descendants modernes de la Casa Grande [2] perçoivent que des politiques sociales transforment les conditions de vie des pauvres et des marginalisés, ils font un coup d’état par crainte de perdre leur niveau scandaleux d’accumulation de richesse, considéré comme l’un des plus élevés du monde. Ils ne défendent pas les droits pour tous mais les privilèges de quelques-uns, c’est-à-dire les leurs. L’actuel coup d’état obéit à cette même logique.

Il y a un grand abattement et une grande tristesse dans le pays. Mais ces souffrances ne seront pas vaines. Il s’agit d’une nuit qui annonce une aurore d’espoir : nous surmonterons cette crise pour aller vers une société « moins perverse » et où « il ne sera pas aussi difficile d’aimer » selon les mots de Paulo Freire.