Lutter pour le contrôle de nos corps

, par NARAIN Sunita

Nous sommes ce que nous mangeons, dit-on. Mais savons-nous vraiment ce que nous mangeons ? Savons-nous qui cuisine et nous sert les aliments dont nous remplissons nos assiettes puis nos corps ?

Plus je creuse cette grande question et plus il m’apparaît clairement que notre monde de l’alimentation tisse sa toile dans des directions dont nous n’avons aucune idée.

Prenez le miel. Uns substance sucrée dont nous pensons sans l’ombre d’un doute qu’elle provient des abeilles qui collectent le nectar des fleurs. Nous achetons le pot à la boutique du coin, persuadés que le miel est récolté naturellement, qu’il est frais et sans produits toxiques. Dans la plupart des cas nous pensons qu’il a été produit par des petits agriculteurs ou bien qu’il a été mis en pot par les entreprises après avoir été collecté dans la nature. Nous le consommons comme un fortifiant naturel pour lutter contre les assauts chimiques du monde moderne.

Mais nous en savons peu sur la manière dont le marché du miel a évolué. Personne ne nous explique que l’alimentation est liée à la biodiversité. Et qu’elle est aussi liée au marché, et non au plaisir de l’alimentation. Mais touchez à la biodiversité et vous touchez à l’alimentation. L’abeille omniprésente en est un exemple. Il y a quelques décennies des instituts scientifiques indiens de premier plan ont vendu l’idée d’introduire l’abeille européenne (Apis mellifera) dans le pays. Cette abeille, grande productrice de miel, domine maintenant le marché, remplaçant pratiquement dans notre alimentation les abeilles indiennes plus humbles mais mieux adaptées (Apis cerana et Apis dorsata).

Parallèlement le marché du miel s’est éloigné des petits producteurs, qui récoltaient le miel dans la nature et le cultivaient dans des conditions naturelles. Il est devenu un marché extrêmement organisé, contrôlé par une poignée d’entreprises qui gèrent tous les aspects du commerce, de l’approvisionnement en abeilles reines au matériel nécessaire aux ruches, de l’alimentation des insectes et du contrôle des maladies jusqu’à la mise en réseau des producteurs à travers les différents États. C’est un commerce de sous-traitants dont le rôle est de trouver des lieux où il y a du nectar pour les abeilles, comme les vergers de pommiers en Himachal Pradesh.

Nous avons perdu la biodiversité des abeilles, l’Apis mellifera produit maintenant notre miel, et nous avons perdu la diversité du marché. Le marché se résume désormais au commerce, non à l’alimentation. Mais la nature a ses manières à elle de nous répondre. L’abeille européenne montre des signes de surexploitation à travers le monde. Des États-Unis et d’Europe parviennent des nouvelles inquiétantes faisant état de l’effondrement des colonies d’abeille à miel, les abeilles disparaissant des ruches. Cela en retour affecte la production des cultures car les abeilles jouent un rôle majeur dans la pollinisation des cultures aux États-Unis, un « service » officiellement estimé à 20 milliards de dollars par an. Le commerce d’abeilles pollinisatrices implique de déplacer des ruches à travers le pays, là où leurs bons services sont requis. Mais il est désormais prouvé qu’une telle surexploitation combinée à l’utilisation de pesticides nocifs, aux nouvelles maladies et à la sous-immunisation des abeilles les détruit.

En Inde, la situation n’est guère différente. La dépendance par rapport à des espèces introduites et l’accent mis sur la surproduction rend les abeilles surexploitées vulnérables aux maladies. Ces insectes importés sont immuno-déficients et non adaptés aux conditions locales. La réponse qui a été trouvée est de les nourrir avec des antibiotiques mélangés en grande quantité dans du sirop. Les abeilles produisent alors un miel qui contient des doses mortelles d’antibiotiques.

Quand le laboratoire de contrôle de la pollution du Centre pour la Science et l’Environnement (CSE) a effectué des contrôles sur différents miels, il a trouvé un mélange d’antibiotiques, la plupart interdits dans l’alimentation. Dans le miel produit et conditionné par les entreprises les plus grandes et les plus connues, il a tout trouvé : de l’ampicillin, de l’enrofloxacine, de la ciprofloxacine, de l’érythromycine couramment utilisés mais aussi du chloramphénicol, strictement interdit. N’importe quel médecin vous dira que ces antibiotiques consommés dans les aliments sont très néfastes car non seulement ils ont des conséquences pour la santé mais ils rendent également résistantes aux antibiotiques les bactéries responsables des maladies. Une trop grande exposition aux antibiotiques ne conduit pas seulement à des « super-bactéries » dans les hôpitaux. Nous ingurgitons des petites doses d’antibiotiques à travers notre alimentation. C’est pour cela que les médecins veulent que nous soyons prudents avec les antibiotiques ; et que les instituts de régulation alimentaire affirment qu’il ne devrait pas y avoir, ou alors en quantité minimale et contrôlée, d’antibiotiques dans nos aliments.

C’est là que le rapport entre les grandes entreprises et l’alimentation devient obscure. Le laboratoire du CSE a contrôlé deux marques étrangères achetées dans notre magasin local. Nous savons que l’Europe a interdit le miel indien à cause de la présence de ces antibiotiques. Selon leurs dires, ils l’ont fait par souci de leur santé.

Bien. Mais alors, qui fait attention à notre santé ? Les deux marques que nous avons contrôlées présentaient des taux élevés d’antibiotiques. Les entreprises soucieuses de la santé, dans ce cas l’une australienne l’autre suisse, ne contrôlent pas les antibiotiques présents dans les produits qu’elles exportent dans notre monde. Il s’agit d’une politique de deux poids deux mesures et c’est une honte. Mais pourquoi devraient-ils se soucier de notre santé quand notre propre gouvernement ne le fait pas ? Ce même Gouvernement qui impose des critères stricts pour le miel exporté ne se préoccupe pas de ce qui est consommé à l’intérieur de son pays. Il n’existe aucune norme relative aux antibiotiques dans le miel indien.

Nous voici donc à une époque où les grandes entreprises puissantes prennent le contrôle de nos assiettes car elles bénéficient de la complicité des organismes de régulation de l’alimentation. L’Autorité de Sécurité et des Normes Alimentaires, récemment mise en place, est mort-née. Ne soyez pas surpris. Soyez en colère. Ce ne sont pas des sujets que nous devrions laisser nous échapper. Il s’agit de nous. De nos corps. De notre être.

Lire l’article original dans Down To Earth