Le Sénégal, terre de migrations

La société civile sénégalaise face au problème migratoire

, par CDTM-Monde Solidaire La Flèche

La société civile sénégalaise en mouvement

Très tôt, le Sénégal dont la capitale Dakar était aussi celle de l’AOF (Afrique Occidentale Française) a connu le mutipartisme et le syndicalisme. Pour preuve, la grande grève des cheminots de 1947 pour obtenir les mêmes droits que les cheminots français et le droit de vote des femmes acquis en même temps que les femmes françaises.

La société civile d’aujourd’hui est le reflet de cette effervescence sociale née avant même la décolonisation. Elle est multiple, comme le prouvent les puissantes organisations, telles le CNCR (Conseil National de Concertation et de Coopération des Ruraux) dans le monde rural, le RADDHO (Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme) pour la défense des droits humains ou encore le CONGAD (Conseil des ONG d’Appui au Développement) pour les ONG. Elle a su se structurer en réseaux, plateformes et collectifs pour être plus efficiente. « La société civile sénégalaise est capable de tenir tête au pouvoir, de dialoguer avec lui, de décrypter sa politique » affirme Badara Ndiaye, de l’association ENDA DIAPOL (Dialogues et prospectives politiques). Encore faut-il que le gouvernement accepte ce mécanisme de dialogue, ce qui n’était plus le cas sous la présidence d’Abdoulaye Wade.

Actuellement, la situation sociale est telle que les conflits sociaux se sont multipliés ces derniers mois : grève des boulangers, de la poste, de la justice, manifestations des marchands ambulants, des étudiants, des professeurs… Face à ces mouvements sociaux répétés, l’Etat a riposté par des violations de plus en plus fréquentes de certaines libertés fondamentales. Ainsi une marche pacifique organisée par plusieurs syndicats pour protester contre les coupures d’électricité a été interdite au dernier moment.

Dans ce contexte, la société civile est plus que jamais active et des forces nouvelles émergent, en particulier dans le secteur informel, très important au Sénégal. « Notre pays doit opérer un sursaut citoyen au niveau des partis politiques et de la société civile en général. Il s’agit de créer les conditions d’un rassemblement pour les droits et les libertés fondamentales. » a déclaré Mamadou Diop Castro, secrétaire général adjoint de l’UNSAS (union nationale des syndicats autonomes du Sénégal) lors des assises nationales organisées par le Forum Civique à l’automne 2010. Ces dernières ont regroupé un grand nombre d’acteurs venus dresser un état des lieux de la situation politique et économique et formuler des propositions pour le pays.

Le FSM de Dakar, quant à lui, a été une étape importante des mobilisations de la population sénégalaise. Il s’est ouvert le 6 février 2011 dans un contexte international agité (crise économique et financière, printemps arabe). Pendant 6 jours, les mouvements sociaux venus du monde entier se sont retrouvés à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar pour réfléchir ensemble sur des alternatives démocratiques et populaires face à la crise profonde du système capitaliste, à l’impérialisme et à l’oppression des peuples du sud et du nord.

Les organisations de la société civile sénégalaise, malgré leur mobilisation, se sont heurtées aux obstacles dressés par le gouvernement qui, après avoir accepté la tenue du Forum à Dakar, a entravé sa mise en place, nommant en janvier un nouveau recteur qui a dénoncé l’accord signé par son prédécesseur. La veille de l’ouverture du Forum, plus aucune salle de l’université n’était disponible !
Qu’à cela ne tienne, les acteurs de la société civile sénégalaise se sont donné les moyens pour que le Forum se déroule au mieux. Les quelques 40 000 participants ont pu assister à des débats, des échanges riches en émotions et en promesse d’avenir.

Le Forum de Dakar aura notamment été l’occasion pour les candidats au départ, refoulés par les espagnols à leur arrivée sur les îles Canaries, de témoigner de l’horreur qu’ils ont vécue, de la mort de certains pendant la traversée, de l’arrivée sur une plage canarienne et de la conduite immédiate vers un centre de rétention… C’est tout ce qu’ils auront vu de ce « nouvel Eldorado » des années 2010 !

Les accords de réadmission Nord Sud

En 2003, l’Espagne signe avec la Mauritanie un accord au retour. La Mauritanie est tenue d’accepter le refoulement sur son territoire de tous les migrants censés être partis de ses côtes. Les autorités mauritaniennes incapables d’expulser ces migrants vers leurs pays d’origine les renvoient de façon collective vers … le Sénégal !

La France n’est pas en reste. Elle signe avec le Sénégal « un accord concerté pour un développement solidaire ». Ainsi a disparu la notion de codéveloppement apparue dans les années 1980 : elle visait à organiser et à mieux valoriser l’argent des diasporas pour des investissements plus productifs. Le codéveloppement est vite devenu un dispositif anti-migratoire avec un soutien financier apporté aux opérations de retour au pays. En 2006, le rapprochement des deux concepts de codéveloppement et de migration voit le jour à Rabat lors de la « conférence ministérielle euro-africaine sur les migrations et le développement ». En 2008, dans la foulée, la France sous la houlette de Brice Hortefeux, définit le développement solidaire comme « les actions d’aide au développement qui participent à une meilleure gestion des flux migratoires. Cela inclut, bien entendu, le codéveloppement qui vise à soutenir les initiatives des diasporas au bénéfice de leur pays d’origine ». Comme d’autres pays européens, la France sous-tend dorénavant son aide au développement à un contrôle des migrations du pays signataire.

La mise en place des GIE (Groupement d’Intérêt Economique)

Les conditions d’expulsion d’Espagne et l’accueil réservé aux refoulés au Sénégal provoque une large mobilisation de la population. Se substituant à l’Etat défaillant, la société civile se mobilise. Les rapatriés s’organisent pour leur part en associations de refoulés et sollicitent de l’Etat une aide qu’ils n’obtiennent pas. Des organisations plus expérimentées vont alors leur apporter leur soutien.

A Mbour, 2ème port du Sénégal au sud-est de Dakar, c’est environ 400 jeunes, rapatriés, rentrés au port après un échec ou désireux d’embarquer, qui sont regroupés obnubilés par l’échappatoire espagnole. Le CCFD-Terre Solidaire y a soutenu en 2007 la constitution d’un GIE de pêche qui regroupe actuellement plus de 150 membres dont la majorité a été rapatriée des centres de rétention des Iles Canaries. Tous issus des milieux professionnels de la pêche de Mbour, ils ont majoritairement entre 20 et 30 ans et nombreux sont ceux qui avaient déjà formé une famille avant de tenter l’émigration.
Les négociations avec l’Etat ont abouti à obtenir deux tranches de financement (25000 puis 22000 euros) qui ont permis la construction de 5 pirogues de pêche. Le GIE sollicite un nouveau financement pour l’achat d’une senne tournante et d’un camion frigorifique.
La formation à trois métiers pêcheurs, mareyeurs et transformateurs, permettent aujourd’hui aux jeunes de réaliser des activités génératrices de revenus et de faire reculer les départs systématiques et mal préparés vers l’émigration et l’exil. « Je n’ai plus envie de partir, mon avenir est ici » témoigne l’un d’entre eux.
Actuellement le GIE de Mbour est un exemple et les candidats pour le rejoindre sont nombreux.

De telles expériences se multiplient. Ainsi la fédération LINGUIRE (= enlacer), qui regroupe 8 villages du delta du Sine Saloum, soutenue par la Caritas, développe des petites activités (transformation de fruits et de légumes, pêche…) avec toujours le même but : proposer un projet alternatif au départ vers l’Europe. A Diourbel, également de jeunes rapatriés ont été soutenus par le CCFD-Terre Solidaire pour développer des activités de tissage.

Toutefois, il reste que sur les 5000 rapatriés en 2011, seulement quelques centaines ont pu bénéficier d’une aide à la réinsertion, l’Etat ne respectant pas ses engagements. La prise en main de la question des retours par des organisations structurées de la société civile incitera-t-elle le nouveau gouvernement à jouer pleinement son rôle auprès des refoulés, voire à remettre en cause les accords de réadmission signés par son prédécesseur ?