Interdictions de voyage liées au variant Omicron pour les Africain·es

« Lorsque le racisme, les inégalités et les discriminations s’ingèrent dans la science »

, par Association pour le progrès des communications (APC) , LOWE Ornella (trad.)

Selon les membres de l’Association progressive pour la Communication (APC), dont le siège se trouve en Afrique, la réponse de la communauté internationale après la découverte du variant Omicron a révélé le phénomène de discrimination continue dont est victime le continent.

Masque de protection sur un globe
Crédits : Nenad Stojkovic via Flickr (CC BY 2.0).

Le 24 novembre 2021, des chercheur·euses au laboratoire Nelson Mandela à Durban en Afrique du Sud ont averti l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) de l’apparition d’un nouveau variant de la COVID-19. Il n’aura fallu que peu de temps aux pays occidentaux pour interdire l’accès sur leur territoire aux ressortissants de bon nombre de pays africains, y compris les pays n’ayant encore enregistré aucun cas d’Omicron. Que dire des médias internationaux qui se sont honteusement empressés d’appeler ce virus le « Virus africain ». Alors que l’origine du variant Omicron ne saurait encore être précisée, des rapports laissent croire que le virus aurait apparu pour la première fois aux Pays-Bas. Ensuite, les chercheur·euses ont pu retracer la présence du variant dans plusieurs pays, y compris dans les pays européens, sur des patient·es n’étant pas allé·es en Afrique du Sud. Le Directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus a récemment confirmé la présence du variant Omicron dans 77 pays, affirmant que « en réalité, Omicron est sans doute présent dans la plupart des pays du monde, même si des cas n’avaient pas encore été déclarés » .

« Depuis l’époque coloniale, les Occidentaux considèrent l’Afrique comme le centre névralgique des maladies telles que la syphilis, la maladie du sommeil, la tuberculose, le paludisme et le choléra » a déclaré Serge Daho, chercheur pour le ICT4D à PROTEGE QV - Cameroun, organisation membre du réseau APC. « L’Afrique a toujours été marginalisée, le sujet Omicron n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. », a-t-il déclaré. Pour certains commentateur·rices, le fait d’interdire aux voyageurs africains l’accès aux pays dits occidentaux rappelle l’époque de la ségrégation raciale où les autorités « blanches » tenaient à l’écart les Africain·es, considéré·es comme porteurs de diverses maladies.

Pourtant, l’Afrique du Sud est dotée d’infrastructures de renom spécialisées dans le traitement de maladies immunologiques, le séquençage des génomes et autres structures de recherches médicales, construites au fil des années, dans le cadre de la lutte contre le SIDA et la tuberculose, dont les taux de contamination étaient élevés dans le pays. Durant la pandémie de Covid-19, le pays a non seulement été en mesure d’identifier des variants mais il a pu aussi mener des essais vaccinaux. D’ailleurs, grâce à sa célérité et sa vigilance, l’Afrique du Sud a aidé les autres pays à avoir une longueur d’avance face à ce dangereux variant.

Dans un contexte permanent de discrimination, nous assistons au refus de l’Occident de reconnaître la capacité du continent africain à servir de donneur d’alerte. Selon James Nguo, Directeur régional du Arid Lands Information Network (ALIN), organisation membre de l’APC, basée au Kenya, le « complexe de supériorité affiché par les pays du Nord » invisibilise leur capacité à reconnaître les compétences du continent africain. Racheal Nakitare, coordonnateur de projets à l’Association internationale des femmes de radio et télévision (IAWRT-K) a renchéri en ces termes : « Après le racisme social, les inégalités et les discriminations, on assiste à présent au racisme scientifique. Il s’ajoute aux autres formes d’inégalités telles que l’inégalité homme-femme et la pauvreté. Les pays riches se servent de leur force financière pour tyranniser les pays pauvres et en développement ». Des propos qui ont trouvé écho auprès de John Dada ; Directeur et fondateur de la Fondation Fanstsuam, organisation membre de l’APC. Il a déclaré : « L’Afrique continue à subir les affres du colonialisme malgré tous les transferts de pouvoir qui ont eu lieu dans la plupart des pays africains. Il est plus facile pour la communauté internationale de fermer les yeux face à l’exploitation abusive des ressources du continent pour continuer à nourrir l’occident ». 

Une déclaration conjointe de la société civile de laquelle APC est signataire, avertissait du besoin urgent de « solidarité internationale pour faire face aux problèmes de la propriété intellectuelle dans le cadre de la prévention, le confinement et le traitement du virus de la Covid-19. [..] Pour convenablement endiguer la pandémie en cours et anticiper d’éventuelles autres vagues de contamination, la santé et les droits des peuples - et non pas la propriété intellectuelle et le profit - doivent être au centre de nos actions ». Surtout à présent que la pandémie franchit un nouveau cap avec l’apparition du variant Omicron.

Dans un article paru dans le journal médical Lancetécrit par un groupe de chercheur·euses sud-africain·es, on pouvait lire que les interdictions de voyage imposées injustement à l’Afrique du Sud auront un impact non seulement sur les rapports de solidarité internationale mais aussi sur la manière dont les informations seront partagées lors des prochaines crises. Selon ces chercheur·euses, au lieu de saluer la générosité et la transparence des chercheur·euses africain·es, ces interdictions de voyage ont créé l’effet contraire et pourraient mettre à mal la gestion des crises sanitaires, économiques et la liberté de mouvement. Cette situation met l’Afrique du Sud dans une position délicate et risque de limiter le partage d’informations et affaiblir la solidarité internationale ». C’est déjà le cas, malheureusement. Quelques jours seulement après avoir alerté de l’apparition du variant Omicron et les interdictions de voyage qui ont suivi, les chercheur·euses africain·es n’ont pas pu importer les matériaux chimiques nécessaires pour continuer à étudier le virus convenablement.

Une perspective mondiale déséquilibrée que Dada a qualifié d’« impressionnant ». « Si la Covid-19 avait été découvert pour la première fois en Afrique, l’Occident aurait littéralement fermé ses portes à tout le continent une bonne fois pour toute », a-t-il déclaré. « Mais, malgré les nombreuses données scientifiques sur l’origine et la dissémination du virus, de pareilles décisions envers l’Afrique révèlent tout simplement des actions irréfléchies à un problème qui nécessite pourtant une réponse globale ». 

Une telle dimension d’inégalité dans la répartition des vaccins dans le monde se voit comme le nez dans la figure. Les pays riches font des stocks de vaccins tandis que les pays africains tels que le Botswana qui a même fait une offre plus élevée attendent toujours d’être approvisionnés. Ces inégalités vont jusqu’à l’interdiction aux pays africains de produire un vaccin à base d’ingrédients locaux. Comme l’a dit Dada, « les centres de séquençage génomique en Afrique du Sud – dont le développement a pris des années de dur labeur afin de venir à bout des différentes épidémies tropicales qui ont infesté le continent – demeurent une tête de pont qui peut être améliorée pour aider l’Afrique à développer sa propre industrie des vaccins. La capacité de l’Afrique à produire ses propres vaccins doit être renforcée et étendue sur tout le continent ». 

Les membres de l’APC se sont également penchés sur les actions fébriles autrefois entreprises par le continent en matière de vaccins et ont conclu qu’il s’agissait là d’un autre aspect de cette crise sanitaire publique, désormais inévitable. Le continent africain a un taux de vaccination au Covid-19 de 7,35 %, dont environ 1 % dans certains pays. « Depuis leur création, il y a un an aujourd’hui, les vaccins sont de plus en plus accessibles mais les problèmes de distribution et autres sont devenus plus apparents », a déclaré Daho. « Au Cameroun, par exemple, l’idée selon laquelle il faudrait avoir confiance en Dieu et en la médecine traditionnelle pour se protéger du virus est très répandue. Certaines personnes y voient même un complot visant à exterminer la population africaine ». Daho poursuivit en disant que cette méfiance dans l’utilisation des vaccins est le fait des réseaux sociaux et des peurs issues du colonialisme. Des propos qui ont trouvé écho auprès de Nikitare pour qui l’« un des plus grands défis à relever sur le continent est celui de la désinformation et des fausses informations. Au Kenya, par exemple, des propos mensongers ont été colportés autour des théories du complot derrière l’administration des vaccins. Cette méfiance est le fait d’injustices historiques ». 

Le variant Omicron a contraint l’Organisation internationale du travail (OIT) à repousser à une date ultérieure sa conférence ministérielle, ce qui retardera davantage toutes perspectives d’accord visant à renoncer aux droits de brevet sur les vaccins. Malheureusement, retarder de telles dérogations ne contribuera qu’à créer de nouveaux variants du Covid-19. Pour Nguo, « les dirigeants africains et les mouvements sociaux doivent signer pour le retrait des brevets relatifs aux vaccins contre le Covid-19 ou alors faire bloc aux côtés des agences de l’Union africaine en vue du développement d’un vaccin africain, qui sera déployé au sein des populations ». D’après lui, les dirigeants africains doivent créer des campagnes à l’échelle continentale et rallier à leur cause les pays en développement tels que l’Inde et une partie des pays de l’Amérique latine. Nakitare a ajouté que les « dirigeants africains devraient créer un environnement propice pour les chercheur·euses africain·es engagé·es dans la création des vaccins locaux. L’Afrique regorge de cerveaux qui travaillent durs mais sont peu reconnus car invisibilisés par les chercheur·euses occidentaux avec lesquels iels travaillent ». Et à Dada de poser la question de savoir si « la débâcle dans l’affaire Omicron avait été prédite depuis longtemps et était attendue dans tous les cercles scientifiques objectifs : à moins d’être tou·tes vacciné·es, personne n’est à l’abri ; et Omicron annonce ce qui pourrait arriver de pire si le monde continue de travailler en rangs dispersés. Pourquoi cet aspect de l’intérêt personnel est-il si insaisissable pour les politiciens occidentaux ? 

Comment inciter les autres pays africains à partager leurs informations, comme l’a fait l’Afrique du Sud, plutôt que de les thésauriser ? Selon Daho, pour y parvenir, il faut « rappeler à tout un chacun que la pandémie ne pourra pas être stoppée tant qu’elle n’est pas contrôlée dans tous les pays. Nous devons unir nos efforts afin d’accélérer les études et renforcer nos actions de lutte contre pandémie et ses innombrables variantes ».

Dada a souligné que tout le monde pouvait voir que la discrimination à l’encontre de l’Afrique ne pouvait que conduire à un retour de bâton dont les conséquences se feront ressentir partout dans le monde. Il a déclaré : « Tout comme le changement climatique prouve que l’humanité tout entière vit sous la même tente et sera touchée par les ravages du changement climatique, il en va de même pour la pandémie de Covid. L’Occident continue à faire preuve de myopie dans son traitement de ces questions, en prétendant que les problèmes sont en grande partie d’origine africaine ». 

La déclaration de la société civile signée par l’APC indique clairement que « pour mettre fin à cette tragédie, il faut faire preuve de solidarité et de coopération pour promouvoir la santé en tant que droit de l’homme, et utiliser judicieusement les technologies numériques à cette fin. [...] Les gouvernements ont entre leurs mains la possibilité de lever les barrières de propriété intellectuelle qui entravent l’accès universel aux soins de santé et la vaccination gratuite au COVID-19 pour tous. »
Nakitare a conclu avec force que « la connaissance est le pouvoir et le monde ne pourra prétendre à un semblant d’égalité que lorsque des décisions importantes comme celles prises lors des conférences de l’OMC seront inclusives. Nous devons déracialiser la société et promouvoir l’inclusion et l’humanité ».

Voir l’article original en anglais sur le site apc.org