Selon la définition de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI- WIPO), « le terme “propriété intellectuelle” désigne les créations de l’esprit, à savoir les inventions, les œuvres littéraires et artistiques et les symboles, noms, images et dessins et modèles utilisés dans le commerce. [Elle] se divise en deux branches : la propriété industrielle [1] […] et le droit d’auteur [2]] ».
Mais « Derrière l’expression « Droits de propriété intellectuelle » se cache en réalité une bataille culturelle, politique et commerciale mondiale », rappelle Mouhamadou Moustapha Lo [3], qui souligne : « À l’heure actuelle, la tendance dominante vise à rapporter la complexité des « droits de propriété intellectuelle » à leur seul aspect économique [4] », c’est à dire, à une évolution marchande de leur conception.
En effet « Au cœur des systèmes de protection intellectuelle se trouvent les brevets, qui accordent des droits exclusifs à l’inventeur [5] », or depuis l’entrée en vigueur de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent le commerce (ADPIC, le 1/01/1995), nombreux sont ceux qui se préoccupent voire qui s’inscrivent en défaut contre les dangers que les droits de propriété intellectuelle font peser en termes de brevetabilité du vivant et d’accès aux médicaments essentiels, pour les pays en développement notamment.
C’est en réaction à ces périls que certains opposent et tentent de faire valoir un droit fondamental aux médicaments essentiels [6] ou que se développe le mouvement de la « culture libre », dans la foulée des Logiciels libres et des licences Creative Commons.
Définition développée
Reprenant l’esprit de la déclaration de Washington (The Washington Declaration on Intellectual Property and the Public Interest : http://infojustice.org/washington-declaration), Pierre Mounier affirme « que les extrémistes du copyright ont étendu au cours des 25 dernières années l’application du droit de propriété intellectuelle à un point qui menace les fondements même de nos sociétés : la liberté d’expression, le droit d’information, la culture, l’éducation et même la santé publique. Autrement dit, c’est le bien public qui est pris en otage par des intérêts privés au nom d’un droit devenu absolu et opposable à tout. Le droit de propriété intellectuelle a toujours été une question d’équilibre, affirment les universitaires, entre les revendications légitimes des créateurs et les besoins de la société. [7] ». Le « Statute of Anne » (loi britannique, première tentative d’écrire un « droit d’auteur » en 1710 : http://www.copyrighthistory.com/anne.html) stipulait ainsi vouloir « encourager les hommes éclairés à composer et écrire des livres utiles [8] ».
Dans le même ordre d’idées, Joost Smiers [9] affirme « Le concept, autrefois favorable, de droits d’auteur devient ainsi un moyen de contrôle du bien commun intellectuel et créatif par un petit nombre d’industries [10] ».
Ces mutations de la question du droit de propriété intellectuelle sont le fait des nouveaux supports pour la création engendrés par l’essor des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC), notamment « l’accélération de l’innovation dans des secteurs comme ceux de l’informatique ou des biotechniques [qui] accentue les divergences de position entre les pays du Nord et ceux du Sud [11] ».
L’approche juridique oppose ainsi deux types de visions autour des « droits de propriété intellectuelle » : une vision statique (« se contenter d’héritage, de traditions, de privilèges […] un ensemble de textes dont l’application suscite des interrogations ») et une vision dynamique (« les droits intellectuels doivent faciliter avant tout l’expression des idées, leur circulation à travers les technologies de l’information et de la communication (TIC) et, à l’arrivée, leur réutilisation systématique ») [12].
Dans le cadre de cette opposition, c’est aujourd’hui l’évolution marchande de la conception de la propriété intellectuelle qui s’avère problématique et qui met en face « l’attitude d’un grand nombre de groupes de pression [13] » dont l’action concertée « se fait aux dépens des biens communs de l’information, et des exceptions à l’usage qui favorisent la circulation de la connaissance [14] » et la Société civile « rejointe par des États en développement, pour obtenir un « Traité pour le libre-accès à la connaissance [15] » (Geneva Declaration on the Future of WIPO, Septembre 2004 : http://www.cptech.org/ip/wipo/genevadeclaration.html) , formant un mouvement mondial réunissant de nombreux acteurs, intitulé « a2k : access to knowledge - Le libre-accès à la connaissance » (http://www.cptech.org/a2k/) [16].
Mouhamadou Moustapha Lo conclue : « Le droit est une formalisation des rapports sociaux. A ce titre, les droits de propriété intellectuelle constituent une question politique qui doit être discutée en tant que telle par les gouvernements et par la société civile. Compte tenu de l’importance de l’information pour la vie quotidienne, pour l’éducation des générations futures, pour le développement économique soutenable et la protection de la nature, il convient d’assurer sa protection par les États en y associant les usagers, et les pouvoirs économiques et scientifiques. Ce n’est pas le marché qui doit dicter sa loi et on ne peut laisser s’installer une situation où quelques grands groupes se partageraient toute la connaissance du monde. Les sociétés de l’information ne seront réellement inclusives que s’il existe un domaine public universel de l’information fonctionnant au bénéfice de tous. La véritable harmonisation des droits de propriété intellectuelle passe par un ré-équilibrage entre les propriétaires et les usagers, mais aussi entre les pays développés et les pays en développement. L’information doit servir à l’humanité et le savoir demeure le lien du développement. [17] ».
Exemples
« La Convention instituant l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (1967) énonce la liste ci-après d’objets protégés par des droits de propriété intellectuelle :
– les œuvres littéraires, artistiques et scientifiques ;
– les interprétations des artistes interprètes et les exécutions des artistes exécutants, les phonogrammes et les émissions de radiodiffusion ;
– les inventions dans tous les domaines de l’activité humaine ;
– les découvertes scientifiques ;
– les dessins et modèles industriels ;
– les marques de fabrique, de commerce et de service, ainsi que les noms commerciaux et les dénominations commerciales ;
– la protection contre la concurrence déloyale ; et
– “tous les autres droits afférents à l’activité intellectuelle dans les domaines industriel, scientifique, littéraire et artistique” [18] ».
« Si le droit de propriété intellectuelle représente une relation d’équilibre entre les revendications des créateurs et les besoins de la société, celle-ci « se manifeste pleinement dans l’existence d’un « domaine public », dans lequel on trouve des œuvres après un certain délai (aujourd’hui 70 ans après le décès de l’auteur, 50 ans après leur diffusion pour les interprétations musicales, 20 ans après leur délivrance pour les brevets, 70 ans après leur dépôt pour les dessins et modèles, etc.). Ce « domaine public » s’enrichit aussi des travaux créés pour la puissance publique (Lois, rapports, décisions, comptes-rendus, etc.), des découvertes scientifiques et des données expérimentales (décryptage du génome humain, théorèmes mathématiques, etc.). Enfin on voit apparaître la notion d’un « domaine public consenti », dans lequel les auteurs et créateurs eux-mêmes décident de verser leurs œuvres au moment de leur création. C’est par exemple le cas des logiciels libres, des licences d’usage de type Creative commons, des dépôts de données scientifiques, des banques de données de savoir-faire, des archives ouvertes pour la publication de la science [19] ».
« 97% des brevets sont déposés par les pays développés [20] »
Historique de la définition et de sa diffusion
Guillaume de Lacoste Lareymondie rappelle que « La propriété intellectuelle est une construction juridique récente. Elle apparaît à la Renaissance, se répand à la fin du XVIIIe siècle [21] et trouve sa formalisation complète avec la convention de Berne de 1886. Depuis cette époque, le principe est établi, et les développements ultérieurs n’ont été que des aménagements.
Le fond du droit d’auteur est simple : la loi attribue à toute personne un droit de propriété incorporelle sur les œuvres de l’esprit qu’elle crée. Ce droit porte non sur les idées, qui restent libres, mais sur leur expression […] L’invention juridique de la propriété intellectuelle a permis l’essor des industries culturelles à partir de l’imprimerie, sans empêcher la libre circulation des idées. Ainsi le droit d’auteur est-il entré dans les mœurs, en dépit de son caractère conventionnel [22] ».
Parmi les enjeux actuels autour de cette question de la propriété intellectuelle, citons le débat qui fait rage autour des projets ACTA (Accord Commercial Anti - Contrefaçon) ou des projets de lois SOPA (Stop Online Piracy Act) et PIPA (PROTECT-IP Act) aux États-Unis [23]
Utilisations et citations
« Les droits de propriété intellectuelle constituent un faisceau de normes juridiques auxquelles on peut faire appel à des fins de protection, d’indemnisation et de conservation des droits attachés à une « création intellectuelle » (invention, idée technique, œuvre artistique, design d’objets ou marque déposée, etc.). Ils recouvrent plusieurs secteurs : au centre la propriété littéraire et artistique (droit d’auteur ou copyright) et la propriété industrielle (brevet, marque déposée, dessins et modèles), mais aussi de plus en plus les règles de droit et les traités concernant les savoirs indigènes et traditionnels, la biodiversité, les droits des paysans, ou la santé publique [24] »
« Dans la culture de consommation, la plupart des images, des textes, des motifs des labels, des marques, des logos, des dessins, des airs musicaux et même des couleurs sont gouvernés, si ce n’est contrôlés, par le régime de la propriété intellectuelle » [25]
« La propriété intellectuelle n’est pas une loi naturelle, c’est une loi faite par les hommes pour promouvoir des objectifs sociaux. J’ai toujours été en faveur d’un régime équilibré de propriété intellectuelle, or nous avons perdu cet équilibre [26].
« Les traités et conventions, flanqués de leurs sigles, se multiplient - ADPIC, IT, CDB... - laissant le citoyen face à un mur d’opacité. Il y a 6 ans, des associations militantes, dénonçant les ravages dont le projet d’Accord multilatéral sur l’Investissement (AMI) était porteur, réussissaient à faire sortir la finance et l’économie internationale de leur confidentialité et de leur soi-disant difficulté technique pour les restituer aux citoyens non experts. Aujourd’hui c’est un travail équivalent qui est devant nous : les droits de propriété intellectuelle, comme tout appareil juridique, ne sont que la traduction d’une certaine vision du « vivre ensemble » et des règles nécessaires au bon fonctionnement de ce dernier. Il ne s’agit pas de transformer chaque citoyen en juriste spécialisé en propriété intellectuelle, mais de donner les éléments de compréhension essentiels du projet politique qui se construit derrière l’appareil juridique [27] ».
« C’est dans ce contexte de bouleversement culturel et technologique, de confusion entre "domaine public" et "patrimoine commun", qu’apparaît un nouveau courant de pensée, "la culture libre", entendue non pas dans le sens de la gratuité, mais dans celui de l’expression libre, de la libre entreprise ou de la libre volonté. […] La licence Creative Commons, entendue au sens global, est une véritable révolution juridique et culturelle. [...] La révolution de la gestion des droits de propriété intellectuelle est en marche [28] ».