Des migrations mondialisées et criminalisées

Aujourd’hui des migrations mondialisées

, par RTM

L’ONU comptabilise comme migrants internationaux les personnes nées à l’étranger ou, à défaut de données disponibles, les ressortissants étrangers. En France, les études statistiques définissent comme immigrée une personne née étrangère à l’étranger (ce qui exclut les Français nés à l’étranger et inclut les migrants qui ont acquis ensuite la nationalité française)

Mondialisation et transformation des courants migratoires

Les migrations internationales

Même si l’écrasante majorité de la population mondiale demeure sédentaire, le nombre de migrant·es augmente régulièrement :
77 millions en 1965,
111 millions en 1990,
140 millions en 1997,
175 millions en 2000 (2,8 % de la population mondiale),
281 millions en 2020 ( 3,6 % de la population mondiale)
soit 1 personne sur 30 [1].

On constate une mondialisation des courants migratoires : le nombre de pays et de régions de départ et d’accueil augmente sans cesse et chaque État est plus ou moins touché par le phénomène, qu’il soit pays de départ, pays de destination ou pays de transit ou les trois à la fois.

Ce sont les États de la péninsule arabique qui comptent le plus grand pourcentage de personnes migrantes dans leur population, avec 88 % pour les Émirats arabes unis.
En 2020, plus d’un·e migrant·e sur cinq vivait aux États-Unis, pays répertoriant le plus grand nombre de personnes migrantes, suivi par l’Allemagne, l’Arabie saoudite et la Russie.
La Turquie accueille le plus grand nombre de réfugié·es (3,6 millions en 2022), principalement des Syrien·nes. Viennent ensuite la République islamique d’Iran qui accueille surtout des Afghan·es puis la Colombie avec 2,5 millions de Vénézuélien·nes. L’Allemagne occupe la quatrième place avec 2,1 millions de réfugié·es.

En janvier 2022, l’Union européenne comptait 23,8 millions de citoyen·nes non européen·nes sur 446,7 millions d’habitant·es, soit 5,3 % de sa population avec d’importants écarts selon les pays (47 % au Luxembourg, 8 % en France, 0,8 % en Roumanie…). Parmi ces personnes, 36 % se sont installées en Europe pour des raisons familiales, 20 % pour des raisons professionnelles, 9 % pour demander l’asile et 4 % pour leurs études.

Différents traits distinguent fortement les nouveaux flux migratoires des anciens.
Tout d’abord, les « couples migratoires » hérités de l’histoire coloniale et de relations privilégiées entre pays ont perdu de leur force : France - Algérie, Allemagne - Turquie, Royaume-Uni - pays du Commonwealth, etc.
On assiste à une diversification croissante des zones de départ à destination de pays sans lien apparent avec les nouveaux : Iranien·nes en Suède, Roumain·es en Allemagne, Vietnamien·nes au Canada et en Australie, Bangladeshi·es au Japon, Maghrébin·es et Égyptien·nes dans les pays du Golfe ou en Libye... Ainsi, presque autant de migrant·es vont maintenant vers le Sud que de migrant·es vont vers le Nord.

Aux frontières, tou·tes les migrant·es n’ont pas les mêmes droits
La circulation de l’information et des biens, le développement des transports, l’internationalisation du modèle occidental de consommation ou son refus, tous ces effets de la mondialisation contribuent à une intensification des flux migratoires. Cependant, aux frontières, tous les migrant·es n’ont pas les mêmes droits, cela dépend du pays dont iels sont originaires.
Les situations socio-économiques, les conflits et violences et les conditions politiques restent les premières raisons qui poussent à émigrer. Le dérèglement climatique et les désastres environnementaux, importants dans les déplacements internes ou régionaux, commencent à prendre une place dans les causes d’émigration. À cela s’ajoutent des situations économiques ou démographiques de pays de destination qui ont un besoin d’immigration sans toujours l’accepter ; sans migration, la population européenne aurait diminué d’un demi-million en 2019.

Il n’est pas possible de stopper le phénomène mondial de l’immigration. On ne peut pas empêcher que les conflits internationaux et le dérèglement climatique déclenchent des mouvements massifs de réfugié·es. On ne peut pas plus interdire la migration économique.

L’Europe et les parcours de migrations

Vintimille, zone d’attente (camp informel) des migrants bloqués par la frontière française
Photo Geneviève Rouy, 02 09 2023

Des parcours de plus en plus périlleux.
Depuis plus de trente ans, les pays membres de l’Union européenne (UE) tentent de restreindre l’arrivée des personnes migrantes par des politiques de contrôle, de refoulement et d’externalisation. Faute de voies légales, les routes de l’exil sont de plus en plus meurtrières et enrichissent les réseaux trafiquants.

Pour les personnes étrangères en exil, la mer Méditerranée est le passage obligé pour rejoindre l’Europe, trois routes sont nettement plus utilisées que les autres :

  • La route de la Méditerranée orientale, utilisée par les populations venant de Syrie, d’Afghanistan, d’Albanie ou d’Irak pour rejoindre la Grèce, la Bulgarie ou Chypre. Le nombre de personnes migrantes arrivant en Europe par cette route a considérablement diminué depuis l’accord signé avec la Turquie le 18 mars 2016.
  • La route de la Méditerranée occidentale qui permet de rejoindre l’Espagne via le détroit de Gibraltar ou les enclaves de Ceuta et Melila en escaladant les barrières de barbelés rasoirs. Le Maroc est une zone de transit pour les personnes migrantes venant de Guinée, de Côte d’Ivoire ou du Mali ; les États du Maghreb constituant une zone tampon entre l’Afrique subsaharienne et l’Europe.
    Bateau sauveteur et pirogue au large des Canaries
    La seule photo "sauvée" de la pirogue de Toumani SISSOKO au large des Canaries. Iels étaient 64 à bord dont 14 femmes. Quand iels sont monté·es sur le bateau sauveteur iels avaient le choix entre vider les photos et casser la caméra ou perdre leur téléphone.
  • La route de la Méditerranée centrale, passage privilégié pour les populations provenant d’Afrique subsaharienne et d’Afrique du Nord qui rejoignent l’Europe en transitant par la Libye ou la Tunisie. Depuis 2018, on constate sur la route de la Libye une diminution du flux migratoire due aux traitements inhumains des personnes étrangères et aux actions menées par l’Europe pour limiter le nombre d’arrivées et une augmentation considérable des passages par la Tunisie.

Frontex

Créée en 2004, Frontex, agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, a pour mission d’aider les États membres de l’UE et les pays associés à l’espace Schengen à protéger les frontières extérieures de l’espace de libre circulation de l’UE, à soutenir les retours et à lutter contre la criminalité transfrontalière. Elle est financée par l’UE et les États membres.
Ses garde-frontières en nombre de plus en plus important, sont habilités à mener eux-mêmes des contrôles aux frontières et à recueillir des informations sur les exilé·es. Ils ont aussi la possibilité de débarquer des personnes arrêtées en mer dans un port considéré comme « sûr » en dehors de l’Europe. De plus, avec Frontex, l’UE dispose d’une présence installée dans les pays de départ pour empêcher l’émigration.
De nombreuses alertes portent sur les objectifs et sur les pratiques de Frontex, accusant l’agence de non respect des droits fondamentaux des personnes migrantes.
En tentant de bloquer les flux migratoires vers l’Europe, Frontex contraint sans cesse les migrant·es à modifier leurs itinéraires. Cela a pour conséquence la mise en danger des vies et le non-respect des accords internationaux fondés sur le droit de quitter son pays.
En voulant protéger les frontières et limiter leur passage, on les rend plus meurtrières.

Au danger de la mer s’ajoutent les conditions épouvantables de la traversée de certains pays. « Nous avons enregistré plus de 29 000 décès au cours des périples migratoires vers l’Europe depuis 2014 », a déclaré Julia Black, auteure d’un nouveau rapport de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) sur les données du projet « Migrants disparus » en Europe pour 2021. On estime que ce nombre est largement sous-estimé et il est impossible d’avoir des chiffres précis.

Les mineur·es non accompagné·es (MNA)

Sur les routes de l’exil dans le monde, la moitié sont des enfants. Certain·es ne sont accompagné·es d’aucun de leurs parents ou représentant légal, on les appelle des mineur·es non accompagné·es (ou MNA). Fuyant la guerre, les violences ou espérant trouver un avenir meilleur, iels risquent leur vie tout au long d’un périlleux parcours.
L’article 20 de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 20 novembre 1989) stipule que « tout enfant temporairement ou définitivement privé de son milieu familial, ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciale de l’État y compris les enfants demandeurs d’asile, réfugiés ou migrants, sans considération de leur nationalité, de leur statut au regard de l’immigration ou de leur apatridie ».

La protection des MNA en France est insuffisante
La France ayant ratifié cette convention, les MNA qui arrivent sur le territoire français ont droit à la même protection que tout autre enfant. Iels doivent donc bénéficier de la protection de l’Aide sociale à l’enfance (ASE).
Le 31 décembre 2019, 31 009 MNA étaient pris·es en charge par les Conseils départementaux dans le cadre de l’ASE. D’après la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), 9 524 mineur·es non accompagné·es ont intégré le dispositif de protection de l’enfance en 2020 et 10 486 au 10 décembre 2021. Iels viennent en grande partie d’Afrique de l’Ouest et du Nord.
Malheureusement ces enfants sont avant tout considéré·es comme des migrant·es et non comme des enfants en danger. Dans la synthèse du Défenseur des droits, « Les mineurs non accompagnés au regard du droit 2022 », on peut lire :
« En 10 ans, se sont succédé évolutions et modifications du cadre légal qui leur est appliqué, opérant un glissement progressif du droit commun de la protection de l’enfance vers un véritable droit d’exception s’alignant sur le droit des étrangers. Progressivement, s’installe l’idée que ces mineurs devraient être considérés comme des migrants, et donc traités comme tels, et non comme des enfants que le droit impose de considérer avec une particulière attention. En parallèle de ces évolutions législatives, le regard que la société porte sur ces mineurs a évolué au gré de divers évènements. Ils sont tour à tour l’objet de soupçons - sur leur âge, leur trajectoire, leur histoire et les motifs de leur arrivée – ou d’admiration lorsque certains d’entre eux sont portés au-devant de la scène médiatique, érigés en modèles de réussite. »

Dans certains départements, près des trois quarts des jeunes se présentant comme MNA se voient refuser toute protection à l’issue d’une évaluation subjective sommaire ou encore sur des méthodes médicales de détermination de l’âge unanimement contestées. Iels se retrouvent alors exclu·es des dispositifs de protection de l’enfance sans être majeur·es donc ne bénéficiant pas des dispositifs pour adultes. « Mijeur·es », ils doivent alors faire appel à la justice pour contester cette décision et seules les associations sont là pour les soutenir dans leurs démarches.
De plus, la loi Collomb du 10 septembre 2018 a permis la création d’un fichier biométrique pour les enfants et adolescent·es non accompagné·es. Ce fichier se révèle être un redoutable instrument de lutte contre l’immigration irrégulière.