Au Pakistan, les Kalash, un peuple vivant !

Introduction

Un peuple qui résiste pour préserver sa culture

, par CIIP , SAVOYE Philippe

Le Pakistan (« le pays des Purs »), avec ses 207 millions d’habitants, est le 5ème pays le plus peuplé du monde [1]. Sa population se répartit en différents groupes ethniques à l’importance inégale ; les six principaux, représentant 94 % de la population, se décomposent principalement en fonction de leur origine linguistique : Pendjabis 45 %, Pathanes 15 %, Sindhis 14 %, Saraiki 8 %, Muhadjirs 8 %, Baloutches 4 %. De nombreuses minorités peuplent également le pays, réduites le plus souvent à quelques dizaines de milliers de membres dont, fréquemment, une partie vit également dans l’un des pays limitrophes (Aujla, Balti, Bourouchos, Brahouis, Cachemiris, Cheema, Kakazai, Khojas, Umrani, Whakis, etc.).

L’une d’entre elles, qui selon les ethnologues a préservé ses croyances depuis 2300 ans, composée de 40 000 membres au milieu du siècle dernier et seulement d’un dixième aujourd’hui, constitue la plus petite minorité du pays. Il s’agit du peuple Kalash.

Photo Philippe Savoye

Au nord du Pakistan, à la limite de l’Afghanistan, les Kalash sont les derniers survivants des peuplades dites « païennes » de l’Hindu-Kush, région montagneuse entaillée de profondes vallées, où culminent les plus hauts sommets de ces deux pays, à plus de 7 500 mètres d’altitude. Les musulmans désignaient les Kalash sous le terme générique de Kafirs (« les infidèles »). Cette expression englobait, au siècle dernier, une importante population vivant de part et d’autre de l’Hindu-Kush, au sein de laquelle on peut cependant distinguer deux sortes de Kafirs : les Safed-posh Kafirs (“Kafirs au manteau rouge”) du côté afghan et les Siah-posh Kafirs (“Kafirs au manteau noir”) ou Kalash, du versant indien, aujourd’hui pakistanais [2].

Pratiquant la même religion que les Kalash, côté afghan, les habitants du Kafiristan (« le pays des païens » [3]) ont pris ce nom car ils pratiquaient une sorte d’hindouisme ancien mêlé à un syncrétisme local. A la fin du 19ème siècle, encouragée par les Britanniques, l’armée afghane menée par l’émir Abdur Rahman Khan massacra, soumit à l’esclavage ou convertit de force de 70 000 à 100 000 d’entre eux. Le territoire fut rebaptisé « Nuristan », « terre des lumières de l’islam » et les habitants des Nuristanis. Un certain nombre de Kafirs de la vallée du Bashgal trouvèrent refuge de l’autre côté de la frontière.

Aujourd’hui seuls subsistent les Kalash (Kalash signifie « Homme, fidèle à la coutume »), peuple millénaire indépendant, fier de sa langue -le kalasha-, de sa religion, de ses valeurs. Leur origine demeure entourée d’un certain nombre de théories et de controverses. Les Kafirs, Kalash et autres peuples de la région de l’Hindu-Kush trouvent vraisemblablement leur origine chez les envahisseurs aryens qui, vers le milieu du deuxième millénaire avant notre ère, conquirent l’Inde. Les Kalash, arriveraient à Chitral par le sud, à partir des 10ème et 11ème siècles, sans que l’on connaisse précisément leur provenance. Les guerres menées à partir du 14ème siècle par les tribus musulmanes du nord et les progrès de la conversion repoussent les tribus kalash jusqu’aux vallées reculées qu’elles occupent aujourd’hui [4]. L’environnement pluriethnique et plurireligieux de la région permet aux Kalash de vivre en paix et de pratiquer leur religion et leur culture. Leur isolement géographique de longue date et un strict respect collectif des traditions maintiennent la culture kalash vivante, cependant la pression musulmane se fait sentir toujours davantage.

Un regroupement au nord du pays

Le peuple Kalash vit aujourd’hui dans trois vallées isolées : Bumburet (en kalasha : Mumuret), Rumbur (Rukmu) et Birir (Biriu), situées dans la province du Khyber Pakhtunkhwa au nord-ouest du pays (anciennement North West Frontier Province). Elles appartiennent au district de Chitral, vaste et peu peuplé, le plus septentrional de la région, frontalier avec l’Afghanistan, dont la capitale du même nom se situe à une vingtaine de kilomètres de piste des trois vallées. Une partie de la population travaille et vit (du moins en semaine) à Chitral, ville de 50 000 habitants, et à Ayun, porte d’entrée vers ces trois vallées.
L’entrée dans la région de Khyber Pakhtunkhwa nécessite un laissez-passer spécifique. Dans le district de Chitral au fort potentiel touristique (trek, environnement préservé, etc.) la présence d’étrangers est réglementée et encadrée : ils ne peuvent se déplacer sans être accompagnés par un policier en arme "pour leur sécurité" !... Ils furent 780 en 2017, contre 2574 en 2001, avant les attentats du World Trade Center aux États-Unis.
Entre les flancs de montagne couverts principalement de forêts de chênes-houx, les vallées fertiles permettent une agriculture intensive essentiellement manuelle. Les puissantes rivières alimentent les moulins et arrosent les champs à partir des canaux d’irrigation. Le blé, le maïs, les abricots, les noix, les pommes, les mûres et le raisin (essentiellement pour le vin) constituent les principales cultures.

La plus petite minorité ethnique du pays

Les Kalash représentent moins de 0,002% de la population pakistanaise. Si des données variables circulent quant au nombre de Kalash (dans une fourchette comprise entre 2000 et 6000 [5]), plus vraisemblablement autour de 4000 [6], une chose est sûre : leur nombre n’a aucune comparaison possible avec le 19ème siècle où la population s’évaluait à 100 000.
Selon des données approximatives, le décompte des habitants des trois vallées se répartit ainsi :
• Rumbur Valley, composée de sept villages - Baladesh, Kotdesh, Tchatauru, Kalsha-Grom, Battet, Grum et Balanguru - : 8000 habitants, dont 1600 Kalash
• Bumburet Valley, sept villages également – Darasguru, Anish, Brun, Batrik, Kandarisar, Krakal et SheKhanandeh - : 10 000 habitants, dont 1800 Kalash
• Birir Valley, six villages - Guru, Aspar, Gasguru, Bial, Gri et Jaggar - : 1200 Kalash pour 5000 à 6000 habitants
Depuis une petite trentaine d’années, les Kalash ont stoppé la spirale démographique qui tendait vers leur extinction. La jeunesse de ses membres, la diminution de la mortalité, une plus longue longévité l’expliquent en partie notamment grâce à l’installation de structures médicales de proximité. Cependant, les Kalash sont devenus largement minoritaires dans « leurs vallées », vierges de tout habitant lors de leur implantation.

Une langue : le kalasha
Le linguiste norvégien Georg Morgenstierne fut le premier à étudier les langues de la région de Chitral vers 1860. Il recensa onze langues différentes avec leurs dialectes. Le kalasha est une langue orale, dardique qui se situe dans le sous-groupe des langues indo-aryennes ; de nombreux termes du vocabulaire sont très proches du sanskrit.
A partir de 1983, des Kalash instruits, en utilisant l’alphabet anglais, l’ont transcrit, mais seule l’une des trois écoles kalash (Kalash Dur à Brun dans la Bumburet Valley) possède des ouvrages dans cette langue, signe de perspectives nouvelles, phase essentielle pour la transmission de la culture et des traditions.

Une société patrilinéaire
Deux éléments « caractérisent » fortement la société kalash dans cet environnement musulman : la place des femmes et… la consommation d’alcool !
Dans cette société patriarcale, la liberté des femmes suscite des interrogations, des envies, des frustrations parfois, car elle est vue comme un outrage ou, au contraire, comme le moyen de se divertir au regard de l’environnement strict et contraignant dans lequel les musulmans évoluent.
Cette liberté d’action est « encadrée » : les activités sont spécifiques pour l’un et l’autre sexe, fondée sur une approche normée de « pureté » des hommes et d’ « impureté » des femmes. Cependant, cette conception ne cloisonne pas hommes et femmes en deux mondes clos. Les relations hommes-femmes sont libres, quotidiennes, sans tabous ni interdits, le divorce est accepté, tant pour les femmes que pour les hommes ; les femmes vivent sous le regard social de la communauté, sans voile ni burqa. Cependant, une femme ne peut hériter, elle ne possède rien, hormis ses bijoux. La transmission des biens s’effectue par les hommes : le fils aîné hérite de l’étable, les terres et le troupeau sont répartis à parts égales entre les fils et le plus jeune des garçons reste dans la maison des parents.

Si les hommes kalash ont adopté depuis quelques décennies le « shalwarkameez », la tenue habituelle pakistanaise, les femmes sont restées fidèles à leur tenue traditionnelle. Non voilées, elles portent une longue robe noire (d’où le surnom donné par les musulmans « d’infidèles noires ») égayée de broderies et une coiffe, « la shutshut », composée de perles et de cauris. Lors des cérémonies se surajoute la kupa qui consiste en une longue et épaisse pièce de laine, recouverte de cauris, de perles, de pendentifs métalliques, de cloches et de boutons. Les cauris représentent la fertilité et symbolisent la force de vie et une roue, un bouclier contre le mauvais œil. La kupa est offerte aux filles par leur oncle maternel vers l’âge de cinq ans.

La consommation d’alcool est inscrite dans la culture kalash. Les Kalash sont connus comme « des buveurs de vin » qu’ils vinifient eux-mêmes : le raisin est écrasé en le foulant aux pieds, puis le jus est conservé dans des jarres jusqu’à la fermentation.
Mais la consommation d’alcool constitue un « outrage à l’islam » parce qu’elle est interdite au Pakistan. Aussi, en 2001, des musulmans détruisent une partie du vignoble kalash… Ce qui n’empêche nullement les Pendjabis de profiter de leur venue (voire de l’organiser à cet effet) pour consommer clandestinement cette boisson [7].

L’éducation

Selon la Constitution, le système éducatif pakistanais, marqué par l’héritage britannique, offre une éducation gratuite et obligatoire pour les enfants âgés de 5 à 16 ans.
Seules trois écoles kalash existent, dont une seule possède des livres scolaires en kalasha et enseigne dans cette langue, la kalasha Dur à Brun dans Bamburet Valley. Cette école étant trop exiguë, chaque famille ne peut y inscrire qu’un seul de ses enfants. Elle accueille 112 élèves, autant des deux sexes, pour les cinq premières années de scolarité. Acte « militant » pour des enseignants rémunérés de 12 000 à 14 000 roupies (moins de 100 €), contre 35 000 roupies dans une école d’État.
Cette école, ainsi qu’une bibliothèque et un petit hôpital, ont été financés par l’ONG Greek Volunteers liée à l’organisme gouvernemental grec Hellenic Aid (initialement motivé par le mythe qui voudrait que les Kalash descendent des soldats d’Alexandre le Grand). Illustration du contexte : en 2009, Athanasion Larounis, porteur grec de ce projet, est kidnappé par les talibans qui ne le libèrent qu’à la condition qu’il quitte le pays.

Aujourd’hui l’école fonctionne avec quelques soutiens extérieurs et les reliquats de l’ONG ; l’avenir est incertain. Avec de faibles moyens, quelques associations -locales comme étrangères- cherchent à perpétuer les valeurs culturelles à travers le maintien de la langue, la protection de l’environnement, la scolarisation, la médecine traditionnelle, etc.

En fin de primaire, les enfants rejoignent les écoles publiques d’État où ils reçoivent un enseignement obligatoire sur l’islam présenté comme « une religion supérieure », alors que, dans d’autres régions, les non-musulmans suivent un cours de morale au lieu des cours d’islam. Gulshahein, professeur d’anglais à la kalasha Dur, fait partie des rares femmes à avoir suivi ses études à Islamabad pour revenir dans la vallée et faire partager ses connaissances : “je suis partie étudier car il y a un énorme besoin d’éduquer les enfants et les femmes ici, mais je savais que je reviendrais car cette vallée est unique et je souhaite qu’elle le reste”. Selon elle, pour préserver les traditions, il est essentiel que les Kalash deviennent plus forts et cela commence par l’instruction car la majorité des Kalash ne savent ni lire ni écrire. Ils doivent avoir accès aux études pour fournir leurs propres professeurs, leurs propres médecins, leurs propres ingénieurs… [8]

Les activités économiques

Historiquement les Kalash sont des éleveurs et agriculteurs. Les hommes montent dans les pâturages d’altitude avec leurs troupeaux, tandis que les femmes cultivent les champs, dans les vallées, près de leurs villages. Autrefois, un troupeau de chèvres, une ou deux vaches et une agriculture de subsistance mesurait la richesse individuelle. Aujourd’hui, la situation a évolué, même si pour nombre d’entre eux la vie s’articule toujours autour de cette double activité traditionnelle. Depuis ces dernières décennies, des hommes travaillent à Chitral et ne rentrent que le week-end, ce qui modifie le fonctionnement familial.
« Malgré l’image qui en est parfois renvoyée, précise Subhan habitant de Krakal, tous les Kalash ne sont pas pauvres. Certains ont de bonnes ressources liées à leur activité : Maison d’hôte, commerce, emploi sur Chitral, etc. Aujourd’hui environ 50 % des Kalash sont dans le business et, comme ils consomment peu, leur argent sert pour construire une maison, par exemple. »
Une modeste activité touristique contribue également à la sphère économique kalash. Pour répondre à des visiteurs, des petits hôtels, maisons d’hôtes et boutiques sont érigés, mais le plus souvent tenus par des musulmans.
La société kalash se caractérise par l’absence d’artisans professionnels masculins, même si nombre de travaux sont réalisés pour un usage familial. Par contre, les femmes développent le tissage, la broderie, la vannerie pour la confection de leurs propres vêtements, mais également pour la vente aux visiteurs de passage. Ces revenus complémentaires tendent à s’accroître ces dernières années.

Le tourisme : un mal pour un bien
« Les vallées kalash stimulent la beauté sereine, verdoyantes, fermes fruitières : un lieu touristique idéal non seulement en termes de beauté, mais également de découvertes » énonce un dépliant touristique. Dans les années 1990, l’éphémère gouvernement démocratique perçoit qu’il peut développer la région habitée par les Kalash, du point de vue touristique : une population indigène attrayante pour son folklore (et non pour ses croyances). Des pistes carrossables sont aménagées, l’électrification permet de sortir de l’isolement. Il y a peu, un représentant gouvernemental ne précisait-il pas :"Nous essayons de relancer le tourisme dans la région en préservant la culture kalash car il s’agit de la meilleure attraction touristique du pays" ?
Si cette ouverture draine quelques dizaines, voire de petites centaines de touristes étrangers, la population « indigène » sert d’attraction pour son folklore à un tourisme national voyeur et irrespectueux. Lors des fêtes, les vallées sont envahies de « Pendjabis » venus assister à un folklore sans fondements religieux : spectacles où l’on peut boire à volonté, se prendre en photo avec des gens « exotiques », à l’opposé de l’approche kalash où ces fêtes participent aux fondements même de leurs croyances et à la sauvegarde de leur identité. Il est paradoxal qu’au moment où les tambours kalash appellent à la festivité du jour réponde en écho l’appel à la prière du muezzin… Ne risque-t-il pas de transformer le particularisme kalash en folklore inoffensif et rentable ?
L’entrée dans les vallées nécessite un (nouvel) enregistrement et le versement d’une taxe de 200 roupies (1,50 €) par personne officiellement pour « préserver et prendre soin du peuple kalash et de sa culture ».

Les croyances

La culture du peuple kalash est unique. Certains auteurs décrivent la religion kalash comme syncrétique, d’autres animiste, voire « d’hindouisme ancien » ne se référant pas à un texte sacré. Les Kalash sont polythéistes, chaque dieu a une fonction précise et la nature joue un rôle hautement significatif et spirituel dans leur vie quotidienne. Ce panthéon de dieux a évolué au cours de l’histoire pour répondre à des changements sociaux ou politiques et comporte de nombreuses divinités, masculines ou féminines, honorées sur des lieux de culte spécifiques et en des occasions bien déterminées.
Khodaï est le Dieu créateur : il a créé l’univers, il est tout, il est partout. A ses côtés, des dieux intercesseurs : Balumain le plus ancien et le plus important, il conduit le peuple kalash. Sajigor le protecteur des troupeaux. Mahendéo dieu de la famille. Djestak déesse, symbole de la vitalité du peuple kalash, etc. Esprits de la nature, les fées forment un peuple d’êtres surnaturels qui n’atteignent pas la grandeur des dieux. Elles aident à la chasse et tuent les ennemis. Elles habitent un ciel « plus bas », c’est-à-dire les domaines les plus élevés de l’environnement humain : les sommets des grandes montagnes, les cols… Sans oublier les esprits des ancêtres de chaque lignage qui protègent leurs descendants et s’assurent du bon respect de la coutume.

Autrefois, le Dehar, chamane kalash, avait une place centrale dans les rites religieux. Il était l’intermédiaire privilégié entre le monde naturel et le monde surnaturel, en rapport direct avec les divinités, invisibles pour les autres hommes, il prédisait l’avenir et rapportait la volonté des dieux. Si le peuple kalash ne possède plus de chamane, des femmes et des hommes soignent et auraient des visions et prémonitions, selon le dire des anciens…

Les valeurs et rituels
Comme pour toute religion, celle des Kalash repose sur des croyances, des valeurs et induit pratiques et rituels. Au centre des coutumes se trouve la notion de « Pur » (Onjesta) et d’« Impur » (Pragata). « Le Kalash doit suivre un chemin de vie dont la pureté n’est définie qu’en évitant toutes les impuretés qui l’environnent et menacent en permanence l’équilibre de la communauté tout entière. Pour puiser la force nécessaire et échapper aux souillures de l’impur, les hommes demandent régulièrement l’intervention du sacré par des sacrifices et offrandes propitiatoires » [9].

La verticalité des valeurs : pur et Impur
L’univers kalash s’inscrit dans le paysage et dans une certaine « verticalité » et y trouve l’essence même de son équilibre. Les hommes et les hauteurs (sommet des montagnes) appartiennent au « Pur », les femmes et les régions basses (la vallée) à l’ « Impur ». Ainsi, seuls les hommes peuvent s’occuper durablement des troupeaux de chèvres dans les pâturages élevés, tandis que les tâches domestiques restent strictement le domaine des femmes dans les vallées en contrebas. La référence à la pureté est à la base de la vie des Kalash. Les femmes sont considérées par nature comme « impures » en raison des périodes menstruelles et ne peuvent se rendre dans les montagnes environnantes ; c’est pourquoi elles cultivent les champs à proximité immédiate des villages.

La bashali
Lors des périodes menstruelles, les femmes se rendent dans cette maison isolée car, « quelle que soit la cause primordiale de l’impureté, c’est le sang, dans son inquiétante et anormale manifestation mensuelle, qui révèle la souillure des femmes » précise l’ethnologue Jean-Yves Loude. « Elles vivent ces exclusions périodiques plutôt comme une période de loisirs, soulagées pendant cinq jours de toute activité domestique, d’efforts physiques, de travaux des champs. ». Elles y accouchent et doivent y séjourner une vingtaine de jours après la naissance de l’enfant.

Devenir « gadera [10] »
Le « titre » d’ancêtre à sa mort s’acquiert de nos jours par la « générosité ». Pour sa renommée, l’homme kalash va donc chercher à accumuler des biens matériels -qui ne seront que « richesses fugaces »-, qui se transformeront en dons, sacrifices et fêtes. Cependant, chaque Kalash sait que sa fortune, la prospérité de ses champs, la croissance de son troupeau dépendent avant tout de la bienveillance des fées et des esprits de la nature.

Des festivals
Le rythme annuel de la vie kalash est marqué par les festivals, inscrits dans les fondements des traditions religieuses. Ces fêtes rituelles constituent des moments de célébration, de partage, de sacrifices pour remercier des ressources abondantes dont les Kalash bénéficient, mais également de purification où l’ensemble de ce peuple se retrouve dans un temps à la fois festif et ritualisé.

Joshi la fête du printemps
Les Kalash se concilient ainsi les bonnes grâces des fées, propriétaires et gardiennes pendant l’hiver des alpages. Message de paix au monde célébré en mai, Joshi marque l’arrivée du printemps, les premières transhumances, et consacre une invocation pour obtenir des récoltes favorables et la protection des troupeaux. Le premier jour de Joshi est Chir Pi, le « jour du lait », où de ferme en ferme les Kalash offrent des libations de lait. Les cérémonies reposent sur la « purification » : Gulparik, purification des bébés (c’est-à-dire des enfants nés depuis Joschi précédent), en quelque sorte baptisés avec du lait, puis celle des femmes « Shishao » qui sont purifiées à partir de la fumée de genévrier. Moment d’inscription des racines dans le présent, quand les kasis, les gardien-ne-s de la tradition, participent à des joutes oratoires : transmission de l’histoire des ancêtres, de leur culture, des légendes coutumières au milieu de la population dansante. Musique, chants et danses ritualisées, voire sensuelles, imprègnent les cérémonies d’un ton joyeux et jubilatoire, d’une dimension sociale de retrouvailles et de partage entre les familles.

Chaumos, au solstice d’hiver
Chaumos est la fête du solstice d’hiver qui associe les cultes funéraire et de fécondité. C’est aussi l’hommage rendu à Balumain pour sa venue car le grand dieu du panthéon kalash ne visite les vallées qu’une fois l’an. Ce festival marque la fin du travail de terrain et de la récolte de l’année, au cœur de danses et de sacrifices de caprins. Il sert également à purifier tous les membres de la communauté. « Chaque Kalash accomplit ces actes pour prouver son appartenance à la communauté : car un Kalash n’est Kalash que d’année en année et est tenu de réaffirmer à chaque solstice d’hiver, en sacrifiant et en se purifiant, sa fidélité aux dieux et aux siens » (Erik Robert & Sharakat Baya, Terre & peuple).

Deux autres festivals, de moindre importance, rythment l’année : Uchau, fête des moissons fin août est un moment d’offrande au dieu Mahandeo. Phoo, mi-octobre, est un moment de remerciement pour les récoltes qui marque le retour des troupeaux des pâturages d’été.