Droits humains et sujets tabous : l’ECSI peut-elle parler de tout ?

Animateur·trices au coeur des "sujets tabous"

Du côté de l’ECSI N° 25 – décembre 2018

  • « Changez-moi cet intitulé ! »

    C’est l’histoire d’une action de sensibilisation qui ne doit pas tout à fait dire son nom. C’est une réaction à laquelle nous avons dû faire face à plusieurs reprises ici sur notre territoire du Nord de la France, si proche des côtes anglaises, de Grande-Synthe, de Norrent-Fontes, de Calais…
    Aujourd’hui c’est à l’heure d’organiser une manifestation à l’occasion du Festival des Solidarités qu’un partenaire nous fait part de la « frilosité » des élus locaux à l’égard d’une série de rencontres, d’ateliers qui pourraient s’appeler « Regard sur les migrations : déconstruire les préjugés » ou encore « Semaine d’infos sur les migrations »…. Le titre sera changé pour être plus consensuel. Plus général aussi. Les élections municipales sont dans deux ans mais déjà les candidat.e.s futur.e.s ou en place entendent soigner leur électorat, et parmi lui cette presque-majorité de citoyen.e.s qui avait choisi lors des derniers scrutins le candidat du non-accueil et de la fermeture des frontières…
    Dans une ville voisine nous avons été confronté.e.s avec l’équipe de l’association aux mêmes discussions. Et pour communiquer sur une quinzaine d’animations sur le thème des migrations et de l’accueil, c’est « Vivre ensemble » qui a été retenu. Pour les mêmes raisons d’électorat, explicitement formulées.
    Quant au contenu des interventions, il a été à la hauteur du sujet et des questions qu’il soulève. Il a concerné des classes de CM2, de 6ème et de 5ème. Avec des faits, des chiffres, un retour sur l’histoire ancienne et récente des migrations [1], dans le monde et en France. Avec des histoires lues à voix haute et imagées dont celle sur le parcours d’une famille quittant son pays en guerre [2] , celle sur l’accueil réservé à un monstre jaune sur l’ile de deux monstres vert et bleu [3], ou encore l’histoire d’un petit point qui voulait passer sur l’autre page [4]
    Une invitation à la réflexion fondée sur ces ces faits, ces histoires de vies dans les livres mais bien réelles aussi. Nous rebondissons sur les remarques des jeunes en posant des questions, en définissant simplement ce que sont les droits de l’Homme et les droits de l’enfant, les principes de justice, d’égalité, de solidarité internationale, en rappelant les richesses et les raisons de notre pays multicuturel, les richesses de l’ouverture sur le monde.
    En bref, nous constatons que le sujet des migrations n’est pas difficile à partager s’il est bien documenté et traité avec les outils adaptés, et mieux encore s’il peut faire intervenir des « témoins ». L’ECSI serait amputée si elle était freinée sur ce sujet si essentiel et prioritaire qui, s’il n’est pas « tabou » peut être déplorablement « sensible ».
    Nous constatons aussi que malgré les réticences de certains, dans les établissements scolaires, les structures éducatives, nombreux sont les enseignant.e.s et éducateur.rice.s qui souhaitent en parler, être outillé.e.s et aidé.e.s pour ça. Nous répondrons présent.e.s !

Contacts
Association CDSI - http://cdsi62200.livehost.fr
cdsiboulogne@ritimo.org - 03 21 31 12 02

Photo : Dimisvetsikak1969, mars 2016, CC0
  • La haine anti-LGBT, c’est trop sensible !

    Suite à la création de deux outils spécifiques (quizz et timeline) sur la lutte contre la haine anti-LGBT destinés à un public de lycéen.ne.s, l’association a proposé à différents établissements d’intervenir sur le sujet sur le format d’un atelier de deux heures.
    Dans un premier temps, nous avions été interpellé.e.s par une animatrice culturelle qui souhaitait répondre aux besoins de certains élèves sur la question. Alors que nous allions intervenir, l’équipe dirigeante de l’établissement a mis son veto, évoquant une problématique trop sensible.
    Suite à cela, nous avons été confronté.e.s aux mêmes difficultés dans un second établissement. Là encore les élèves souhaitaient que nous intervenions auprès de 4 classes, l’animatrice culturelle les a alors soutenu.e.s dans leur démarche. Cette fois, ce sont les professeur.e.s qui n’ont pas suivi. Aucun d’entre elleux n’a souhaité inscrire sa classe pour un atelier sur les problématiques de lutte contre la haine anti-LGBT.
    Cette expérience nous a montré que malgré notre volonté d’aborder les sujets sensibles ou tabous, nous pouvons être confronté.e.s à des obstacles malheureusement difficilement surmontables.

Contacts
Association KuriOz - http://www.kurioz.org - contact@kurioz.org, 05 49 41 49 11

  • La Palestine, un sujet tabou ?

La Plateforme Palestine est un collectif d’associations, dont Ritimo, mobilisé pour la reconnaissance des droits des Palestinien.ne.s. Est-ce que l’ECSI peut être un outil pour aborder, "sans tabou", la question palestinienne ? Trois questions-réponses pour mieux comprendre.

La plateforme Palestine fait de "l’éducation à la solidarité avec la Palestine". Est-ce que vous pourriez nous en dire plus ? Quelles sont vos activités éducatives ?

Nos outils pédagogiques s’appuient sur des pédagogies adaptées à la diversité des publiques et des contextes. En abordant de manière structurée la complexité de la question palestinienne et en utilisant les méthodologies de l’éducation à la citoyenneté et à la solidarité internationale. Nous avons créé plusieurs outils :

  • le jeu "Vivre la Palestine" est un support pédagogique interactif pour comprendre le quotidien des Palestinien.ne.s.
  • un pas en avant : il s’agit ici de susciter la discussion autour des inégalités et différentes réalités rencontrées par les Palestinien.ne.s et Israélien.ne.s selon leurs statuts (Palestinien.ne.e à Jérusalem-Est, à Gaza, en Cisjordanie, réfugié.e palestinien.ne en Cisjordanie ou ailleurs, Palestinien.ne d’Israël…)
  • un photo-langage qui se développe autour de la thématique des réfugié.e.s palestinien.ne.s et des militant.e.s anticolonialistes.
    La Plateforme propose aussi des formations permettant aux différent.e.s acteur.trice.s de se saisir de ces outils pédagogiques pour sensibiliser le public de manière active, tout en construisant un discours basé sur le droit international et le respect des droits fondamentaux.
    Et puis nos membres se saisissent aussi et font vivre ces outils lors de moments de solidarité internationale, comme le Festival des solidarités, les 8 heures pour la Palestine, l’Université d’été des mouvements sociaux, la semaine contre l’apartheid, la journée international de solidarité avec le peuple palestinien...

Dans vos animations et interventions, est-ce que vous avez senti que la Palestine était devenue un sujet tabou ? Comment est-ce que cela se manifeste ?

Nous évoluons dans un contexte rendu compliqué par les relais et soutiens de l’Etat israélien en France. Les menaces et attaques qui étaient jusqu’ici réservées aux organisations palestiniennes et israéliennes se sont, ces dernières années, étendues aux ONG internationales, européennes ou encore américaines.
L’Etat israélien a mobilisé d’importants moyens à partir de 2015 pour lutter contre les défenseur.se.s des droits des Palestinien.ne.s et contre le mouvement BDS (Boycott-Désinvestissement et Sanctions), outil de résistance non-violente. Leur réponse est d’assimiler toute entité ou personne critiquant la politique d’Israël comme promouvant le BDS, perçu par Israël comme antisémite.
Nous devons constamment nous assurer que ce que nous faisons ne peut être attaqué ou délégitimé.
La Palestine peut aussi être considérée un sujet complexe. Ceci est dû à la longueur du conflit, plus de 70 ans depuis la Nakba, au morcellement géographique de ce qui est actuellement la Palestine, aux différents statuts des Palestinien.ne.s (les Palestinien.ne.s d’Israël, de Jérusalem-est, de Cisjordanie, de Gaza, les réfugié.e.s). D’où l’intérêt de la Plateforme de développer cet axe pédagogique et éducatif permettant de décomplexifier le sujet et de le rendre accessible à tous et toutes.

Comment faites-vous pour contourner cette difficulté (du sujet tabou) ?

En nous appuyant sur le respect du droit international et des droits fondamentaux. Parler de la Palestine est bien parler du respect de tout être humain, de ses droits économiques, sociaux, culturels, environnementaux, accessibles de manière équitable. C’est ce que nous voulons promouvoir et c’est ce que la société civile (éducateur-trice-s, professeur-e-s, parents etc.), doit aujourd’hui transmettre tout autour d’elle : les droits fondamentaux sont universels.

Contacts
Plateforme Palestine - https://plateforme-palestine.org/

Notes

[1Expositions Halte aux préjugés sur les migrations, Ritimo ; Demain le monde, les migrations pour vivre ensemble, CCFD-Terre Solidaire. Livre Atlas des migrations : un équilibre mondial à inventer, Catherine Withol de Wenden, éditions Autrement, 2018.

[2Partir : au-delà des frontières, Francesca Sanna, éditions Gallimard Jeunesse, 2016.

[3Trois monstres, David Mc Kee, éditions Ecole des Loisirs, 2005.

[4Petit point, Macri Giancarlo, Carolina Zanotti, Nuinui Eds.