Le secteur de l’artisanat est l’un des piliers de l’économie malienne, un secteur qui depuis une vingtaine d’années, s’organise, se mobilise et se structure… progressivement.
L’artisanat malien, c’est près de 20 % du PIB du pays et plus de 170 métiers répertoriés, de la mécanique automobile, à la ferronnerie en passant par la teinture, la coiffure, le tissage, la couture. C’est aussi l’un des principaux employeurs : on estime à 40 % la part de la population active qui travaille dans ce secteur et qui dépend directement des revenus que génèrent leurs activités de production, de réparation, de transformation. Dans leurs garages et leurs ateliers, ils sont donc des centaines de milliers d’hommes, de femmes et de jeunes, des maîtres-artisans, des ouvriers ou des apprentis à exercer leur métier, dans des conditions de production le plus souvent précaires, parfois dangereuses faute d’espace, d’équipement ou d’infrastructures appropriées. « Le secteur de l’artisanat, c’est aussi la plus grande école du Mali, un vecteur essentiel d’insertion pour nos jeunes », explique Madani Koumaré, chargé de programme chez GUAMINA.
Chaque année, quelque 50 000 jeunes quittent le circuit de l’enseignement conventionnel : certains sont en décrochage scolaire, d’autres - la plupart - abandonnent à défaut de pouvoir couvrir les frais de leur scolarité. L’apprentissage des métiers constitue alors pour ces jeunes la principale, sinon l’unique alternative.
Mais au Mali, la capacité d’accueil des centres de formation professionnelle reste limitée, largement en deçà des besoins, tandis que les conditions d’admission et les diplômes exigés pour y accéder excluent de fait une large majorité de ces jeunes.
C’est alors auprès des artisans, dans les ateliers que s’organise la formation… un mode d’apprentissage « traditionnel », encore largement informel, mais qui s’organise et permet de mettre en activité, chaque année, des milliers de jeunes, de les former, de les préparer et de leur offrir de nouvelles perspectives.
Dans un pays où 48 % de la population a moins de 15 ans et où le niveau de pauvreté (90 % de la population vit avec moins de 2$ par jour) reste un obstacle majeur à la scolarisation « conventionnelle », le secteur de l’artisanat - grâce à cette capacité d’absorption et d’encadrement - joue un rôle économique et social essentiel, indispensable.
Un secteur longtemps délaissé par les pouvoirs publics et de nombreux défis à relever
Depuis le début des années 90, les acteurs de l’artisanat malien se mobilisent et s’organisent : des syndicats ont été créés, des Chambres de Métiers ont été mises en place dans les communes et les localités, des centaines d’associations socioprofessionnelles ont vu le jour… une manière pour les artisans de défendre leurs droits, de peser sur des politiques publiques les ayant longtemps négligés, une manière aussi de promouvoir leur secteur, de contribuer à son développement et à sa structuration.
C’est tout le combat de la Fédération Nationale des artisans du Mali (FNAM) qui regroupe plus de 900 de ces associations et qui s’impose aujourd’hui comme une interlocutrice incontournable. « Nous, les artisans, avons longtemps été marginalisés », explique sa présidente, Madame Assitan Traoré.« La plupart des artisans n’ont pas été à l’école, nous faisons des métiers manuels, souvent difficiles et pénibles, mais peu valorisés, peu considérés par la société et par les autorités. Mais cela change, nous nous organisons et notre voix commence à être entendue. Le Mali se reconstruit et nous sommes une pièce maîtresse de cette reconstruction… mais il y a encore beaucoup de travail. »
Et de fait, les défis ne manquent pas…
La fiscalité est souvent jugée excessive, inadaptée et arbitraire. « Les impôts qu’ils me demandent de payer augmentent chaque année, parfois ils doublent, cela ne correspond pas du tout à la réalité de mon activité », raconte un artisan mécanicien installé dans la commune I de Bamako. (Voir fiche de capitalisation n° 4)
Autre enjeu majeur : l’accès aux espaces de production. La grande majorité des artisans maliens ne possède aucun titre, aucun droit sur les parcelles qu’ils occupent, des parcelles souvent exiguës, parfois insalubres. Les cas d’artisans expulsés sans compensation, ni relocalisation, sont fréquents.
Un problème que Baba Keïta, président de la Chambre de Métiers de la commune III de Bamako explique en ces termes : « Il existe un plan d’aménagement de la commune qui prévoit des sites réservés aux artisans, mais ces plans ne sont jamais respectés, ces espaces sont morcelés, ils servent à autre chose ou sont revendus. C’est pour cela que vous voyez tous ces abris au bord des routes, les artisans n’ont pas d’autres choix que de s’installer là-bas, illégalement. » (Voir la fiche n° 5)
L’accès aux financements, aux crédits et aux marchés publics est un autre problème récurrent… faute d’information ou de moyens –les dépôts de garantie étant impossibles pour la plupart des artisans - cet accès leur est tout simplement impossible. A nouveau, cela limite toute perspective d’investissement, de modernisation de l’outil de production et explique en partie la fragilité et la faible rentabilité des petites entreprises artisanales maliennes. (Voir la fiche de capitalisation n°7)
L’accès à la formation technique et professionnelle reste également un challenge, comme l’explique Mamadou Traoré, président de l’APCMM Assemblée Permanente des Chambres des Métiers du Mali : « les artisans sont de plus en plus confrontés à la concurrence des produits importés, surtout d’Asie… ils doivent constamment se réinventer, innover, se perfectionner.
La formation des artisans et des apprentis est essentielle. L’offre de formation a beaucoup évolué ces dernières années, les fonds publics disponibles aussi, mais c’est encore insuffisant. La demande et les besoins sont énormes. » (Voir aussi la fiche n°8)
Face à ces défis et malgré leur contribution essentielle à l’économie du pays, les conditions de vie et de travail des artisans maliens restent précaires et incertaines. Les enjeux sont pourtant énormes, le développement du secteur étant de toute évidence l’un des leviers majeurs de la lutte contre la pauvreté et les inégalités dans un Mali en pleine reconstruction.
GUAMINA et Terre des Hommes France (TDHF)
20 ans de partenariat en faveur du secteur de l’artisanat, de son organisation, de son développement.
Vingt ans que l’association de solidarité internationale TDHF et son partenaire l’ONG malienne GUAMINA sont engagés en faveur du secteur de l’artisanat, un combat qui a débuté en 1994, dans la foulée des plans d’ajustements structurels imposés au
Mali dans les années 80 et en réponse à leurs effets désastreux sur l’économie : coupes budgétaires drastiques, privatisation des sociétés et entreprises d’État, licenciements massifs, explosion du chômage, tout particulièrement chez les jeunes. « Il fallait absolument répondre à cela, rapidement, et nous avons d’abord choisi de cibler cette jeunesse malienne désœuvrée, sans emploi, sans opportunité », explique Madani Koumaré.
C’est ainsi que fut lancée - avec le soutien du Ministère français des Affaires étrangères - la première phase du programme d’Appui au Secteur Populaire de l’Economie Urbaine (ASPEUR 1994-1997), axée sur l’insertion socioprofessionnelle des jeunes via l’apprentissage des métiers, la formation en gestion d’entreprise et l’appui à la création, au financement et au lancement, par ces jeunes, de micro-entreprises dans les différents domaines de l’artisanat. Fort des bons résultats enregistrés, le programme fut reconduit pour trois années supplémentaires, de
1999 à 2002, et cibla cette fois, outre la jeunesse, des artisans en activité, pour les mettre à niveau et contribuer au développement de leurs entreprises. Au total, sur ses deux phases, ASPEUR aura ainsi permis de former plus de 4 600 jeunes et quelque 5 800 artisans, des formations à la fois techniques et managériales.