Promotion des DESC dans le secteur de l’artisanat au Mali

La mise en place de comités DESC : plaidoyer, revendication des droits et redynamisation des chambres des métiers

, par TDHF

La création des comités DESC : une volonté d’action et de mobilisation locales et spontanées

Le Programme d’Appui à la Promotion des DESC (PAPDESC), s’est, dans un premier temps, concentré sur la formation des artisans et sur la vulgarisation de leurs droits, des droits peu connus, peu maîtrisés, ignorés de la plupart. Ce fut l’étape de l’éveil des consciences : plus de 60 séances de formation, 80 cadres de l’administration formés, 11 Chambres de Métiers mobilisées à Bamako, Ségou, Sikasso, Mopti, Koulikoro et Kayes et quelque 3 200 artisans formés. (Voir la fiche de capitalisation n° 2)

Rapidement, au sein des Chambres de Métiers initialement ciblées dans chacune des six communes de Bamako, les élus consulaires (les artisans élus au sein des Chambres des Métiers et chargés de leur gestion/animation) formés pour devenir à leur tour formateurs ont décidé d’aller plus loin, de s’organiser de manière plus formelle afin de poursuivre cet effort de vulgarisation, de l’étendre mais également de porter la voix des artisans, de capter et de relayer leurs doléances, de défendre activement leurs droits et d’en exiger le respect.

Les comités DESC (droits économiques, sociaux et culturels) sont nés de cette volonté de mobilisation spontanée.

Le président du comité DESC de la commune I de Bamako se souvient : « Nous sommes trois à avoir été initialement formés. La formation sur les droits nous a vraiment édifiés, nous avons pris conscience de notre responsabilité mais aussi de notre capacité à nous les artisans de peser sur le débat public, d’interpeller les autorités et de défendre nos droits. Nous avons relayé ce message au sein de la Chambre et des organisations socioprofessionnelles de la commune. De trois, nous sommes passés à cinq membres lors de la création du comité en 2007.Aujourd’hui nous sommes 18 : 5 élus consulaires et 13 représentants des associations professionnelles ».

Madani Koumaré de l’ONG GUAMINA a accompagné ce processus de structuration : « Nous n’avions pas prévu cela, c’est vraiment une demande qui est venue d’eux, mais tout de suite nous avons compris qu’il y avait là un fort potentiel de mobilisation et de changement. »

Un outil de plaidoyer et un mécanisme de revendication et d’exigibilité des droits des artisans

Les comités DESC ont été créés au sein des Chambres de Métiers, lesquelles sont en charge de l’organisation et de l’encadrement, à la base, du secteur de l’artisanat. Les comités sont donc placés sous l’autorité des présidents de ces Chambres, lesquels peuvent aujourd’hui s’appuyer sur eux pour les actions de plaidoyer qu’ils ne sont pas en mesure de porter seuls ou directement, comme l’explique Bakary Konaté, président de la Chambre de la commune III de Bamako : « La Chambre est un établissement à caractère public, je représente l’État, c’est donc difficile pour moi d’interpeller d’autres services de l’État, la commune ou l’administration des impôts par exemple, c’est délicat. C’est là que les comités DESC peuvent intervenir. Souvent quand il y a une réunion ou une négociation à la Mairie, je les envoie là-bas, ils ont été formés, ils connaissent les droits et les techniques de négociation, je sais qu’ils sont capables d’argumenter et de défendre l’intérêt des artisans. Ils occupent un espace qui, jusque-là, était vide… personnellement, cela m’aide beaucoup. »

Et dans les communes et les localités, les dossiers ne manquent pas. Accompagnés par GUAMINA depuis leur création, les comités DESC interviennent sur certains enjeux majeurs qui affectent de manière directe tant les conditions de travail et de production dans lesquelles se trouvent les artisans que la rentabilité et le revenu qu’ils tirent de leurs activités. C’est notamment le cas en matière de fiscalité. Les comités se mobilisent alors pour obtenir de l’administration une fixation juste et transparente de l’impôt. Dans certains cas, en collaboration avec les organisations professionnelles, les comités collectent l’impôt eux-mêmes auprès des artisans, une manière de négocier collectivement et « de lutter contre l’arbitraire, les tracasseries et les arrangements à l’amiable », comme l’explique un membre du comité DESC de la commune I (voir fiche de capitalisation N° 4).

L’accès aux espaces d’exploitation et la sécurisation des artisans sur les parcelles qu’ils occupent (via l’obtention de titres de propriété), mais desquelles ils sont nombreux à être régulièrement expulsés, sans compensation ni relocalisation est un autre cheval de bataille pour les comités, principalement à Bamako. Ils y ont mené de nombreux combats afin de rétablir ces artisans « déguerpis » dans leur droit et ont enregistré plusieurs succès importants comme l’illustrent les différents témoignages qui sont présentés à la fiche n° 5.

Dans les régions, les comités ont été formés de manière plus spécifique sur les enjeux de la décentralisation et le suivi des politiques publiques. Certains se sont impliqués directement dans l’élaboration des plans de développement communaux ou, comme ce fut le cas à Ségou, ont obtenu leur révision et l’intégration dans ces plans des principales revendications portées par les artisans et leurs associations. (Voir la fiche n°6)

Enfin, l’accès aux marchés publics en tant que vecteur de développement et de consolidation des petites entreprises artisanales maliennes fut un autre thème sur lequel le programme PAPDESC s’est concentré. Au niveau national, de récents gestes politiques ont été posés par les plus hautes autorités en faveur de l’artisanat.
Localement, dans les communes et les localités, certains artisans s’organisent déjà, proposent leurs services aux autorités, aux entreprises ou aux ONG (construction de mobilier de bureau, confection d’uniformes, etc.). Ils ont été formés dans le cadre du programme et décident, petit à petit, eux aussi, de tenter leur chance, de s’imposer et de trouver une place sur un marché très concurrentiel. (Voir à la fiche n° 7 le témoignage de Cheick Sidibé, tailleur dans la commune II)

La redynamisation des Chambres et un renforcement des liens de collaboration avec les organisations professionnelles

« Il y avait parfois un leadership négatif et de graves dysfonctionnements au sein de certaines chambres des métiers. Les élus avaient déserté, ne remplissaient pas leur rôle. Certains - après avoir été élus - ont compris que c’est un travail bénévole, au service de nos artisans et ont préféré rentrer dans leurs ateliers… il fallait les remobiliser » se rappelle Mamadou Traoré, président de l’APCMM. « C’est pour cela que nous avons demandé à GUAMINA d’organiser la formation sur le rôle et les responsabilités des élus », une formation qui a réuni l’ensemble des élus consulaires des Chambres de Métiers partenaires ainsi que les représentants des associations professionnelles et dont l’impact fut significatif tant sur le fonctionnement et la gouvernance internes des Chambres que sur les liens de collaboration entre elles, les artisans et leurs différentes associations.

« Avant à Ségou, la Chambre de Métiers et la coordination régionale de la FNAM, chacune travaillait de son côté », explique Karamoko Coulibaly, représentant de la coordination. « Grâce à la formation, nous avons mieux compris le travail, le mandat et la mission de nos organisations respectives. Nous avons le même objectif, nous sommes là pour la même chose : le développement de notre secteur. Nous devons collaborer et dorénavant, nous le faisons. »

Un avis partagé par Ansoumane Diarra, membre du comité DESC de la commune I de Bamako : « Avant, il y avait de la méfiance, la chambre était parfois déconnectée de sa base. Mais depuis la formation sur le rôle des élus, cela a changé. Nous avons mis en place un réseau d’informations : chaque mois, nous nous retrouvons avec les associations pour échanger des informations, leur communiquer les décisions qui sont prises au niveau de la commune ou des impôts… Les associations sont très bien implantées dans les quartiers, cela nous permet de mieux comprendre ce qui se passe à la base. Puis, quand il y a des problèmes, on intervient ensemble, cela nous donne plus de poids, les autorités nous prennent au sérieux. »

Le statut des comités, leur reconnaissance officielle et leur mise en réseau

Individuellement, certains comités DESC ont obtenu la reconnaissance officielle de leur structure par les autorités locales avec lesquelles ils collaborent, cela permit de renforcer leur légitimité ainsi que leur capacité d’action et de revendication. C’est notamment le cas du comité de la commune I de Bamako. « Nous avons envoyé des lettres de reconnaissance à la mairie, à la police, à l’administration fiscale, même au ministère de l’Artisanat et ils ont répondu favorablement », raconte son président. « Nous ne sommes plus n’importe qui ». Pour les comités ne jouissant pas encore de cette reconnaissance, les démarches sont en cours.

C’est que, depuis 2010, les comités - encouragés par GUAMINA - ont décidé de collaborer plus étroitement et de travailler en réseau. Ils se rencontrent régulièrement, échangent leurs expériences, discutent des difficultés qu’ils rencontrent, des actions qu’ils entreprennent. Un plan d’action unique existe pour le district de Bamako et s’inspire des plans d’action que chaque comité a élaboré, « une manière de s’organiser, de planifier nos actions, mais aussi de pouvoir en faire le suivi et l’évaluation »explique Omar Maiga de la commune II.

Et au titre des priorités communes définies par les comités de Bamako : la poursuite et l’extension des formations sur les DESC, l’installation de points focaux dans les quartiers « afin de pouvoir mobiliser plus facilement et plus rapidement notre base et capter de manière régulière et directe les doléances qu’expriment les artisans » poursuit-il et, finalement, la formalisation du réseau des comités DESC… un débat en suspens depuis quelques mois, l’articulation de ce réseau à la structure de l’Assemblée Permanente des Chambres de Métiers (APCMM) dont les comités dépendent étant toujours en discussion.

Quoi qu’il en soit, ce réseau des comités DESC peut déjà se targuer d’une action au retentissement médiatique important : l’interpellation des candidats à l’élection présidentielle de 2013.

L’interpellation des candidats à l’élection présidentielle de 2013 : pour une mise à l’agenda des revendications des acteurs de l’artisanat.

En juillet 2013, l’élection présidentielle a marqué le point de sortie de la profonde crise politico-sécuritaire qu’a connu le pays pendant près de deux ans. Une crise initiée par le coup d’État de mars 2012 et dont le pays, en cours de stabilisation et de reconstruction, se remet progressivement. À l’approche de cette élection, les comités DESC décidèrent de s’inviter dans la campagne électorale, une manière de porter la voix des artisans, de participer au débat et surtout d’encourager la mise à l’agenda des principales revendications portées par les artisans, leurs syndicats et leurs structures de représentation.

Encouragés par GUAMINA et encadrés tant par l’APCMM que la FNAM, ces comités s’associèrent, se mirent d’accord sur la stratégie et sur le contenu de leur communication et organisèrent une séance d’interpellation des candidats à l’élection présidentielle. Cette séance fut diffusée en direct sur la télévision nationale malienne et fut également relayée par de nombreuses radios. » Cette action a eu un fort retentissement et une très bonne couverture médiatique », se rappelle Madani Koumaré. « Les comités ont réussi à faire connaître les principales préoccupations du monde de l’artisanat et à peser dans le débat préélectoral »

Lors de cette séance, un mémorandum fut présenté aux candidats par les comités DESC. Sa mise en application fera l’objet, dans les prochains mois et les prochaines années, d’un suivi régulier et attentif de la part de ces mêmes comités afin de s’assurer que les paroles des nouvelles autorités se traduisent en actes.