Créée en 2005, la Plate-forme DESC du Mali s’est imposée comme un acteur incontournable en matière de promotion et de protection des droits économiques, sociaux et culturels.
Aux origines de la Plate-forme (PF) DESC malienne, deux organisations : GUAMINA et le Mouvement des Peuples pour l’Éducation aux Droits Humains (PDHRE) et un objectif clairement affirmé : fédérer les organisations de la société civile autour de la défense et de la protection des DESC. Autre objectif clairement affiché : le suivi des engagements pris par le gouvernement en matière de protection des droits, via principalement son adhésion au Pacte international relatif aux DESC (PIDESC) et la signature, en 2009, de son Protocole facultatif.
Mohamed El Moctar Mahamar, chargé de programme au sein de la Plate-forme, explique : « Les pays signataires du PIDESC sont tout d’abord tenus de produire tous les cinq ans un rapport officiel sur l’état des DESC auprès du Comité des DESC de l’ONU. En 2005, près de 30 ans après avoir ratifié le Pacte, le Mali n’avait toujours pas produit son premier rapport. Le ministère des Affaires étrangères a alors invité quelques organisations de la société civile pour une consultation sur cette question. C’est à ce moment que nous avons compris avec GUAMINA qu’il fallait que l’on s’organise, pour accompagner le gouvernement dans l’élaboration de son rapport, mais aussi, le cas échéant, pour produire un rapport alternatif ».
Le PIDESC prévoit en effet la possibilité pour la société civile d’un pays signataire de produire ses propres rapports. Ceux-ci sont dits alternatifs. En 2005-2006, face aux hésitations et à l’inaction du gouvernement, la Plate-forme s’est donc lancée dans un vaste travail de recherche et de collecte de données à l’échelle nationale afin de dresser un état des lieux général des DESC dans le pays et de produire ainsi son premier rapport alternatif.
Une trentaine d’organisations ont été mobilisées, formées, outillées et ont déployé dans toutes les régions du pays de petites équipes de chercheurs chargées de travailler chacune sur un type spécifique de droits : le droit à la santé à Sikasso, le droit à l’alimentation à Kidal et Gao, le droit à l’éducation à Mopti, etc. Après plusieurs mois de travail, d’analyse et de compilation des données, le rapport alternatif de la PF DESC fut finalement publié en décembre 2006 et marqua incontestablement une étape majeure dans la structuration de la société civile autour de la promotion des DESC.
De nombreuses conférences de présentation du rapport furent organisées au Mali, dans les régions, puis à Bamako en présence des plus hautes autorités du pays. Le rapport fut également présenté lors deuxième Forum mondial des droits de l’Homme de Nantes, puis envoyé au Comité DESC des Nations Unies où l’initiative de la société civile malienne fut très largement saluée.
Mohamed El Moctar s’en souvient : « Notre rapport a été très apprécié en grande partie parce qu’il est rare de trouver une société civile qui, comme nous l’avons fait, associe aussi directement l’État dans la production et la diffusion du rapport. Souvent, l’État et la société civile se regardent en chiens de faïence. Nous, nous avons tout fait pour travailler en parfaite intelligence et en symbiose avec l’État. Nous avons impliqué ses services à toutes les étapes du processus pour créer un débat contradictoire, pour leur laisser la latitude de contester nos résultats et nous donner la possibilité de les défendre, de les étayer, de les expliquer. Le processus a été très participatif, c’est essentiel : cela permet une plus forte appropriation et une réelle acceptation du rapport et de ses conclusions ».
Depuis la diffusion du rapport, la Plate-forme s’est considérablement élargie et compte aujourd’hui 56 organisations membres qui se sont formées, mises à niveau et outillées. Cela permet d’élargir et de renforcer la mobilisation de la société civile autour des DESC, mobilisation qui ne se limite pas à la seule production des rapports alternatifs et à leur actualisation.
C’est ce qu’explique Madani Koumaré de GUAMINA : « À la création de la PF, les autorités pensaient que c’était un effet de mode, comme cela se voit souvent : créer une structure pour une situation donnée puis, après cela, disparaître. Heureusement pour nous, ce ne fut pas du tout le cas. Dix ans ont couru et aujourd’hui, la PF prend chaque année de l’ampleur, elle élargit son champ d’intervention et son membership (56 membres actuellement). Nous accueillons de nouvelles organisations pour constituer une masse critique capable de peser lourdement et durablement sur les autorités. Cela donne plus de légitimité à nos actions de plaidoyer, notamment en ce qui concerne le suivi des recommandations que nous formulons. Nous mettons en évidence des manquements et proposons des plans d’actions concrets, c’est notre devoir d’en suivre la mise en œuvre.
Autre enjeu : à ce jour l’État n’a toujours pas produit son rapport officiel, nous devons maintenir la pression ».
En 2011, la mise en place par le gouvernement d’un comité interministériel en charge de l’élaboration du rapport officiel et les consultations organisées avec la PF DESC avaient alors été perçues comme autant de signaux positifs, laissant présager la production prochaine d’un tel rapport. Mais cette dynamique fut brutalement interrompue par le coup d’État de mars 2012 et la profonde crise politico-sécuritaire qui s’en est suivie.
Aujourd’hui, alors que le Mali se stabilise et se reconstruit, la PF tente de remettre cette question à l’agenda, mais les défis ne manquent pas. « Il y a encore une intense action de sensibilisation à mener », constate Mohamed El Moctar Mahamar, chargé de contenus de la PF. « Les acteurs changent, se renouvellent, il faut à chaque fois recommencer tout ce travail d’information et de mobilisation. Il y a une méconnaissance des textes et parfois un manque de volonté. Le gouvernement doit comprendre que c’est une opportunité, pas une menace. Un rapport, c’est un tableau de bord, un outil de planification. Sans rapport, vous naviguez à l’aveuglette, vous faites alors le sapeur-pompier pour régler tel ou tel problème mais sans apporter de réelles réponses aux besoins de la population. »
Le PAPDESC et la PF DESC : un objectif commun et une collaboration stratégique
La Plate-forme DESC fut constituée quelques mois après le lancement du PAPDESC. GUAMINA en fut l’une des principales instigatrices, ce qui permit de créer rapidement de profonds liens de collaboration entre ces deux initiatives. En effet, là où les comités DESC mis en place et soutenus par GUAMINA travaillent localement, dans une commune ou une région (voir fiches de capitalisation 4 à7), la PF DESC, elle, intervient donc à l’échelle nationale. « Il s’agit d’un dispositif qui permet de travailler à différents niveaux », explique Madani Koumaré. « Il y a des enjeux qui dépassent les comités DESC, qui ne sont pas à leur portée. Dans ce cas-là, c’est la Plate-forme qui peut intervenir, relayer les préoccupations et mobiliser les autorités au plus haut niveau. A contrario, la plate-forme a besoin des comités et de ses partenaires qui travaillent à la base, ce sont des vecteurs de mobilisation et de précieuses sources d’informations. »
Autre axe de cette collaboration entre le PAPDESC et la PF DESC : la campagne de plaidoyer en faveur de la ratification du Protocole facultatif se rapportant au PIDESC. Adopté par les Nations Unies en 2008 et signé par le Mali l’année suivante, le Protocole facultatif pose les bases de la justiciabilité des DESC en donnant au comité DESC des Nations unies la possibilité de recevoir et d’examiner des plaintes individuelles portées contre les États en cas de violation des droits économiques, sociaux et culturels.
« La justiciabilité des DESC, c’est essentiel », rappelle Madani Koumaré. « Il s’agit de construire un mode de saisine interne pour que les titulaires de droits et les associations de protection des droits de l’Homme puissent veiller à ce que l’État n’enfreigne pas les droits économiques, sociaux et culturels de ses citoyens et que, lorsque c’est le cas, il y ait un chemin reconnu légalement pour assigner l’État en justice. Mais les procédures sont longues. Un citoyen seul ne peut se lancer dans une telle procédure, d’où tout l’intérêt de la PF pour mener ce type de combat. »
Si la signature du Protocole par le Mali constitue en soi une avancée majeure – seuls 45 pays l’ont signé à ce jour – sa ratification (qui impliquerait sa transposition dans la législation nationale malienne et ainsi sa mise en application) est maintenant obligatoire pour l’État après la recommandation du jury international de l’Espace d’Interpellation Démocratique, le 10 décembre 2013, et une recommandation de l’examen périodique universel en juin 2013.
Pour en arriver là, la PF en partenariat avec le PAPDESC, a développé une stratégie nationale de plaidoyer dans le cadre de laquelle de nombreuses actions de sensibilisation et de mobilisation ont été organisées.
Portées par l’ensemble des 56 organisations membres de la PF, elles ont réuni à plusieurs reprises des représentants des autorités politiques (Assemblée nationale, ministères, etc.), des médias et de la société civile et ont permis, sinon la ratification du Protocole, tout au moins sa mise à l’agenda. « C’est un enjeu dont tous les acteurs ont pris conscience, cette question est régulièrement discutée », explique Kadidja Sangaré, présidente de la Commission nationale des droits de l’Homme, « Mais, c’est une question sensible, c’est un processus…nous devons encore maintenir et intensifier la pression sur nos autorités. »