Nouvelle-Calédonie-Kanaky : Un processus de décolonisation en panne

Introduction

, par CDTM 34

« Le jour le plus important, ce n’est pas celui du référendum, c’est le lendemain ».
Jean-Marie Tjibaou

La Nouvelle-Calédonie est, depuis 1999, une collectivité sui generis (collectivité d’Outre-mer à statut particulier). Ce statut tire son origine de la lutte des indépendantistes du Front de libération kanak nationale et socialiste (FLNKS) et des accords conclus, d’une part, avec les loyalistes anti-indépendantistes et, d’autre part, avec l’État français.
Les indépendantistes sont majoritairement kanak (peuple mélanésien présent avant la colonisation) et les loyalistes regroupent le plus souvent des Français·es , dont certain·es sont arrivés au 19ème siècle (appelé·es Caldoches) ou d’autres océanien·nes ou asiatiques, installé·es au siècle dernier.

Drapeau de la Kanaky
Crédit photo : Touristing (CC BY-NC-SA 2.0)

En 1988, les accords de Matignon ouvrent un processus de décolonisation alors que la Nouvelle-Calédonie se trouve au bord d’une guerre civile et l’accord de Nouméa en 1998 permet un transfert progressif de compétences au gouvernement calédonien, l’État français conservant les domaines régaliens : la sécurité, la défense, la monnaie, la justice et les affaires étrangères.
La Nouvelle-Calédonie dispose de son propre organe exécutif : le gouvernement et un·e président·e, et un organe législatif : le Congrès et un sénat coutumier. La collectivité est divisée en trois provinces, chacune possédant une assemblée et des représentant·es auCongrès.
Le partage de « souveraineté » et la création d’institutions uniques dans la République française ont donc permis de repousser de plus de 35 ans la question de l’indépendance au cœur du conflit originel.

L’indépendance, une nécessité historique

Dès 1983, les indépendantistes kanak se sont appuyé·es sur la résolution 35/118 des Nations unies pour revendiquer leur statut de peuple premier. Lors de la Table ronde de Nainville-les-Roches, l’État français a reconnu aux Kanak « un droit inné et actif à l’indépendance » et les Kanak se sont engagé·es à partager leur droit à l’autodétermination avec les autres communautés « victimes de l’Histoire » (descendant·es d’ancien·es déporté·es français·es, de mineurs asiatiques…).

Le « destin commun » deviendra ainsi, dans les années 1990, une idée directrice du « modèle calédonien » même si plusieurs crises viennent en émailler la construction. Ce modèle peine notamment à corriger les déséquilibres socio-économiques issus de l’histoire coloniale. Malgré le soutien au développement économique de la province Nord, l’inégale richesse entre les trois provinces (Sud, Nord et îles Loyauté) perdure et le statut quo sur les réformes fiscales ne permet pas un changement radical de politique économique.

L’indépendance soumise à référendum

« Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? »  
C’est à cette question que les électeur·ices de la liste référendaire sont invité·es à répondre pour la première fois en 2018. L’accord de Nouméa prévoit qu’en cas de NON majoritaire au premier référendum deux autres consultations peuvent être programmées si un tiers des membres du Congrès de Nouvelle-Calédonie le demande. Les référendums suivants devront alors être organisés dans les deux et quatre ans après la première consultation.

Lors du premier référendum, le 4 novembre 2018, la participation est de 81 %.
Le OUI à l’indépendance obtient 43,33 % contre le NON, avec 56,67 % des suffrages.
À noter la participation importante des jeunes Kanak et la séparation du territoire en deux blocs : d’une part le sud de la Grande Terre où le NON des loyalistes est majoritaire et de l’autre le Nord et les îles Loyauté où les votant·es sont principalement Kanak et indépendantistes.

Le deuxième référendum se tient le 4 octobre 2020, avec une progression très nette des voix pour l’indépendance. La participation passe à plus de 85 %.
Le OUI s’élève à 46,74 %, le NON baisse à 53,26 %.
Sous le mandat du Premier ministre Édouard Philippe, la date de ce deuxième référendum a été changée deux fois en raison de la pandémie de Covid-19 et de problèmes logistiques.
À l’approche du référendum, les indépendantistes déclarent que « l’État français pèse en faveur du “non" » , ils contestent notamment la publication par l’État de documents sur les implications du vote. Finalement, la participation progresse et l’écart entre les votes se resserre nettement, toujours très marqués par des appartenances identitaires, sociologiques et géographiques.

Lors du troisième référendum, le 12 décembre 2021, le taux de participation chute à moins de 43,90 %, les Kanak refusent d’y participer à une très grande majorité : moins d’un électeur·ice sur deux prend part au vote. L’abstention est conséquente mais moins suivie en province Sud (39,4 %) qu’en province Nord et dans les îles Loyauté où le pourcentage atteint 80 à 95 %.
En l’absence des votes kanak, les 96,50 % de NON ne règlent donc pas la question du droit à l’indépendance.

Les raisons du boycott kanak

En juin 2021, lorsque l’État fixe la date du 12 décembre pour le 3ème référendum, le territoire est soumis au confinement à cause de l’épidémie de Covid-19. De nombreux·ses Kanak sont décédé·es (c’est la communauté la plus touchée par l’épidémie) et le deuil kanak, très ritualisé et attaché aux traditions claniques, couvre une longue période. Le FLNKS demande qu’en raison de la crise sanitaire la consultation soit repoussée à septembre 2022, limite légale prévue dans l‘accord de Nouméa.
Par ailleurs, lors de la XIXème session du Comité des Signataires de l’accord de Nouméa, le Premier ministre avait « exclu qu’une troisième consultation puisse être organisée entre le milieu du mois de septembre 2021 et la fin du mois d’août 2022. »
Les loyalistes, inquiet·ètes à juste titre de la progression du OUI entre les deux premiers référendums, ne désirent pas que l’écart avec le précédent référendum se prolonge et s’opposent à une nouvelle consultation à la demande du FLNKS. L’État français, désirant que ce dossier aboutisse avant l’élection présidentielle prévue en avril 2022, décide le maintien du 12 décembre 2021.

L’impasse des trois référendums d’autodétermination

Le FLNKS conteste la légitimité du scrutin et déclare à l’ONU qu’il va saisir la Cour internationale de justice pour lui demander une réponse à cette question : Est-ce que les conditions du troisième référendum respectent le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et notamment le droit du peuple kanak ?
Les indépendantistes refusent de s’engager dans des discussions avec le gouvernement. Déclarer une victoire du NON à l’indépendance, suite à un vote auquel le peuple kanak n’a pas participé, est une absurdité qui aboutit à une impasse démocratique.

L’accord de Nouméa borné par le processus de consultation n’est pas pour autant caduc à l’issue des trois référendums. En effet, la loi organique relative à la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté stipule que les partenaires politiques se réuniront à l’issue de trois réponses négatives et que « tant que les consultations n’auront pas abouti à la nouvelle organisation politique proposée, l’organisation politique mise en place par l’accord de 1998 restera en vigueur, à son dernier stade d’évolution, sans possibilité de retour en arrière, cette irréversibilité étant constitutionnellement garantie ».
Qu’en est-il de la sortie de l’accord de Nouméa alors qu’un des partenaires ne reconnaît pas la légitimité de la consultation ?

Entre 2021 et 2023, quatre ministres se succèdent aux Outre-mer et les deux Premier·ères ministres du gouvernement s’effacent au profit du rôle prédominant accordé au ministre de l’Intérieur après le troisième référendum. Les indépendantistes qui protestent contre la « sortie de neutralité de l’État » n’acceptent qu’une seule réunion bilatérale pour parler de l’indépendance, pendant que les loyalistes s’efforcent de faire ouvrir le corps électoral des prochaines élections provinciales. La convention des Signataires est rebaptisée convention des Partenaires mais aucune réunion tripartite entre État, indépendantistes et loyalistes n’est organisée. Le ministre de l’Intérieur affirme que « pour la France il n’y a plus de colonisation en Nouvelle-Calédonie, c’est une opinion des indépendantistes. ».
Quant au président de la République, dix-huit mois après un référendum considéré comme illégitime par les indépendantistes, il déclare, dans son discours du 16 juillet 2023 à Nouméa, qu’il faut inscrire le nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie dans la Constitution française, au plus vite. Il ne dit rien des 57 % de Calédonien·nes qui ne sont pas allé·es voter en 2021.
Ovationné par les loyalistes, ce discours n’est pas apprécié par les indépendantistes ; il est qualifié de « nouveau néocolonialiste » par Gilbert Tyuienon, représentant de l’Union calédonienne.

Le devenir de la filière nickel a des répercussions politiques

Alors que la demande mondiale en nickel explose, la filière nickel en Nouvelle-Calédonie accumule des pertes depuis plusieurs années ; le nickel qui est le poumon économique de la Nouvelle-Calédonie génère 13 000 emplois directs et indirects et représente 26 % de son PIB.
Fin 2020, après l’annonce par le groupe minier brésilien Vale qui exploite le riche gisement de Goro, en province Sud, de son départ de Nouvelle-Calédonie, de violentes manifestations de protestation éclatent dans tout l’archipel ; le rachat de la mine par un consortium calédonien et international Prony Resources, dans lequel figure le négociant en matières premières suisse Trafigura, provoque la colère des indépendantistes. Iels dénoncent une opération financière défavorable aux intérêts locaux et provoquent la chute du gouvernement. Un nouveau gouvernement est élu. Les groupes indépendantistes y remportent la majorité et, après de nombreuses tractations entre les différentes branches indépendantistes, Louis Mapou du Parti de libération Kanak (Palika) membre du FLNKS, est élu à la présidence du gouvernement le 8 juillet 2021.

Tentative pour reprendre le dialogue sur l’avenir institutionnel

Après des mois de réunions bilatérales et de déplacements à Nouméa du président Emmanuel Macron et du ministre de l’Intérieur, le gouvernement réunit indépendantistes et non-indépendantistes le 6 septembre 2023 à Paris. C’est la première réunion trilatérale entre les signataires de l’accord de Nouméa depuis le référendum de 2021. Les délégations sont reçues par la Première ministre, le ministre de l’Intérieur et le ministre délégué chargé des Outre-Mer qui présentent un projet du gouvernement pour un accord sur le prochain statut du territoire.
Ce projet est constitué de sept grandes questions : le statut de la Nouvelle-Calédonie au sein de la République, les institutions locales, le corps électoral et la citoyenneté calédonienne, l’exercice de l’autodétermination, les compétences, les mesures économiques et financières, les mesures d’application de l’accord.
Le gouvernement fixe un calendrier de réunions de travail pour mettre au point un accord qui devra être validé par le FLNKS.
Mais le projet de statut présenté par le gouvernement est jugé inacceptable par l’Union calédonienne : la question du dégel du corps électoral pour les provinciales de 2024 attise les tensions, et la légitimité du 3ème référendum n’est toujours pas résolue. L’Union calédonienne suspend à nouveau ses discussions avec l’État français.

Le respect du droit à la souveraineté du peuple kanak

Malgré un modèle économique à bout de souffle, un déficit budgétaire de 220 millions d’euros, de très fortes menaces sur les opérateurs du nickel, un solde migratoire et naturel en berne et de réelles inquiétudes environnementales, la Nouvelle-Calédonie-Kanaky reste un espoir pour les militant·es indépendantistes qui refusent d’accepter que la souveraineté leur soit confisquée.

« Cette France peut tout nous prendre, mais elle ne nous prendra pas notre liberté et notre farouche volonté d’émancipation. »
Daniel GOA, extrait du discours d’ouverture de la présidence de l’Union Calédonienne, le 29 juillet 2023.