D’où sort ce nouveau venu de la politique espagnole et du paysage des droites extrêmes européennes ? Santiago Abascal, fondateur de Vox, était auparavant un leader régional du Parti populaire espagnol (droite), avant d’en claquer la porte il y a une dizaine d’années pour protester contre la politique d’apaisement de Mariano Rajoy au Pays basque. Son mouvement a ensuite prospéré sur fond de crise économique et profite aussi, comme tous les partis xénophobes européens, de la peur et du rejet des étrangers. La « crise migratoire » lui a offert une opportunité qu’il s’est employé à faire fructifier en ressuscitant les images de l’Espagne éternelle, de la Reconquête catholique du XVe siècle contre l’« occupant » musulman.
Cette résurgence d’un néo-franquisme est loin d’être une surprise. Si la crise catalane est souvent mise en avant pour expliquer la réapparition des vieux démons espagnols, il faut chercher plus loin les vraies raisons de cette montée en puissance de l’extrême droite. Et d’abord dans toutes les questions mises sous le tapis durant la « Transition démocratique », qui a suivi la mort de Franco (1975). Le franquisme n’a jamais réellement disparu des institutions politiques et juridiques. Celles-ci sont en partie restées dirigées par les anciens cadres ou ministres de Franco. Avant l’émergence de Vox, cette tendance était fort bien représentée au sein du Parti populaire. Vox a par ailleurs utilisé les réseaux sociaux, notamment Facebook, afin d’atteindre directement les électeurs par des posts sponsorisés dans leur fil d’actualité.
Santiago Abascal, leader de Vox : « Le féminisme veut nous opprimer »
Qui vote pour ce parti néo-franquiste ? Les premières analyses du vote Vox semblent dessiner un électorat masculin, d’hommes d’environ 45 ans, plutôt aisés dans les zones urbaines, plus populaires dans les régions rurales. Son programme, qui a recueilli l’assentiment de 2,5 millions d’Espagnol·es aux législatives anticipées d’avril, comprend pêle-mêle la déportation des immigré·es illégales·aux et l’expulsion des immigré·es légales·aux qui commettraient un délit ; une re-centralisation violente qui se traduirait par le retour dans le giron de l’État central de certaines compétences aujourd’hui entre les mains des provinces autonomes régionales – comme la santé ou l’éducation ; ou encore des baisses d’impôts, la protection de la tauromachie et de la chasse, la pénalisation de l’avortement, le rétablissement du service militaire, la fin de l’autonomie de la Catalogne et l’interdiction de tous les partis et associations indépendantistes.
Autres cibles des discours des leaders néo-franquistes, les femmes et les personnes et communautés LGBT+ ainsi que la presse. Vox promet ainsi d’abroger la loi contre les violences faites aux femmes, qui tente timidement de mettre fin aux dizaines d’assassinats de femmes par leur conjoint ou ex-conjoint commis chaque année. « Le féminisme veut nous opprimer, répète Abascal à longueur de meeting. On criminalise la moitié de la population pour son sexe avec des lois totalitaires issues de l’idéologie du genre. » Même son de cloche sur l’avortement qualifié « de mal absolu qu’il faut combattre » ou le mariage homosexuel, cible de multiples attaques des différents cadres du parti. « Si mon fils était homosexuel, j’essaierais de l’aider, il y a des thérapies pour cela », avait ainsi déclaré Fernando Paz, leader de Vox pour la région d’Albacete qui, par ailleurs, n’avait pas hésité à nier l’Holocauste. À l’instar du président brésilien Jair Bolsonaro, le leader de Vox réhabilite la dictature et réécrit l’histoire : en disant que les « 40 ans de franquisme ne furent pas une dictature », et que ce serait le « PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol) qui provoqua la guerre civile », conflit qui déchira l’Espagne de 1936 à 1939 après un coup d’État et l’insurrection militaire menées par la droite et l’extrême-droite.
Les leaders de Vox sont moins prolixes en ce qui concerne leurs sources de financement. En janvier 2019, une enquête du quotidien El Pais révélait que le Vox avait reçu entre décembre 2013 et avril 2014 un million d’euros de la part d’une source bien étrange : l’organisation des Moudjahidines du peuple iraniens. Ce bras armé du Conseil national de la résistance iranienne a financé 80 % de la campagne électorale de Vox aux élections européennes de 2014, où le parti n’avait alors récolté que 1,5 % des voix. Les fonds de l’organisation iranienne ont aussi payé, selon le journal espagnol, les dépenses « de location du siège du partir, à Madrid, les salaires de ses employé·es, et la réincarnation de son leader Santiago Abascal (alors secrétaire générale du parti) des meubles et des ordinateurs ». Pour contourner la loi espagnole sur le financement des partis politique, cet argent a été versé à travers des contributions de membres du Conseil national de la résistance iranienne dans 15 pays différents, dont l’Allemagne, l’Italie, la Suisse, le Canada et les Etats-Unis. Les contributions allaient de 60 à 35 000 euros selon El Pais. L’un des fondateurs de Vox, et président du parti en 2014, Alejo Vidal-Quadras (lui aussi venu du Parti populaire) a reconnu ce financement : « Les financements des exilé·es iranien·nes n’ont pas servi seulement à payer la campagne des élections européennes de 2014, mais aussi à mettre Vox en marche », a-t-il dit au journal espagnol.
Les autres partis de droite n’excluent pas gouverner avec Vox
Mais, de la même manière que les scandales du prêts russe du Front national ou des financements suisses illégaux du parti allemand AfD, ces révélations n’ont semble-t-il pas écorné la popularité grandissante de Vox en Espagne, ni auprès des électeur·rices, ni auprès des autres partis de droite qui n’excluent pas, sur le principe, de faire alliance avec cette nouvelle extrême droite pour gouverner. Après les élections régionales d’Andalousie, le Parti populaire et le parti de droite libérale Ciudadanos avaient clairement envisagé la possibilité d’un gouvernement commun avec Vox. Pablo Casado, le leader national du PP, avait qualifié la possibilité de gouverner en Andalousie y compris avec le soutien de Vox, de « grande opportunité que nous n’allons pas laisser passer ». Albert Rivera, le dirigeant national de Ciudadanos, avait considéré « irresponsable d’écarter un quelconque scenario ». Voilà qui n’a rien de surprenant pour Nestor Salvador, du Syndicat andalou des travailleurs (SAT). « Jusqu’en 2013 Santiago Abascal était un membre et un dirigeant du PP au Pays basque. Une grande partie des dirigeants de Ciudadanos provient également du PP. Les voir se parler, envisager de gouverner ensemble, n’est en rien une nouveauté », rappelle-t-il.
Pour Eduardo Caliz, andalou et membre du parti de gauche indépendantiste catalan), « Vox est l’enfant du Parti populaire. Le Parti populaire et Ciudadanos n’ont toujours pas condamné le franquisme. Pour diverses raisons internes et électorales, ils se sont séparés mais l’idéologie portée par Vox était jusqu’à peu encore représentée à l’intérieur du PP. Il est donc logique de les voir négocier », note-t-il. On n’aurait donc pas affaire avec Vox à l’émergence d’une extrême droite espagnole telle que dans d’autres pays européens, mais à une sorte de recomposition suite à la déliquescence et l’explosion du Parti populaire en divers mouvements. Loin d’être jusque là inexistante en Espagne, l’extrême droite était intégrée au PP, parti conservateur traditionnel.
En Andalousie, c’est finalement une alliance des droites mais sans Vox qui a formé un gouvernement, après 36 ans de gestion socialiste. Au niveau national, ce sont les socialistes qui sont arrivés en tête des législatives, mais sans majorité. Fin mai, ils n’avaient pas encore formé un gouvernement. Qu’en sera-t-il la prochaine fois, si la droite espagnole accepte de faire alliance avec Vox ?