Ma série de 15 articles porte sur les mouvements sociaux et environnementaux en Inde et en Colombie. Au travers de ces articles, j’ai tenté de montrer l’énorme pression que le modèle de développement fondé sur la croissance économique exerce sur l’environnement. Le discours énonçant le progrès économique comme une nécessité pour les pays en développement se répète dans divers documents de politique, rapports de projet et ordonnances judiciaires. Afin d’atteindre cet objectif, on présume que plusieurs régions cruciales par leur biodiversité et sources de subsistance pour les communautés marginales telles que les autochtones et habitants des zones forestières, les pêcheurs et les paysans sans terre sont disponibles pour être converties en zones de production industrielle d’énergie, de biens et de services. Ces articles présentent de nombreux exemples de projets tels que des barrages, des usines et des centrales nucléaires qui ont été construits ou sont en cours d’élaboration dans différentes parties de l’Inde. Tandis que plusieurs de ces projets risquent de provoquer le déplacement des communautés de leur lieu de résidence, la plupart d’entre eux empiètent sur les paysages habités par la population locale et ne laissent à cette dernière presque aucun autre choix que de subir les conséquences des changements causés par ces projets. Les conséquences insidieuses telles que les maladies chez l’homme liées à la pollution, une baisse de la productivité des terres et du bétail, la perte de récoltes et l’échec de la pêche artisanale ne peuvent être directement liées au fonctionnement des projets. De plus, des projets tels que des barrages et des centrales nucléaires rajoutent aussi considérablement aux risques auxquels les fortes populations sont confrontées en cas d’accidents ou de catastrophes naturelles comme les tremblements de terre et les cyclones.
Les lois formant le cadre réglementaire en matière d’environnement et les pratiques de mise en œuvre de ces lois sur le terrain ont laissé leur propre marque sur la manière dont les questions environnementales sont comprises par la bureaucratie et le pouvoir judiciaire. L’introduction de procédures telles que les études d’évaluation d’impact environnemental et les audiences publiques ont offert des possibilités d’entreprendre des projets de développement d’une manière soigneusement planifiée. Toutefois, les intérêts des entreprises ont été autorisés à s’emparer de ces espaces créatifs de règlementation. Le système bureaucratique étant dirigé par des spécialistes et la protection de l’environnement ayant plus ou moins déçu le citoyen, un grand nombre de discussions sur les projets et les impacts sur l’environnement requiert l’intervention des tribunaux. La plupart des « affaires » de négligence environnementale, de violations des lois et les conséquences de la non-conformité doivent être prouvées devant les tribunaux par le biais de démarches très fastidieuses, au bout desquelles des vies humaines sont déjà touchées.
Dans le but d’analyser les corrélations entre nature et culture, j’ai examiné plus particulièrement deux régions dans cette présentation : la région nord-est de l’Inde et le Chocó en Colombie. À travers les articles sur ces deux régions, j’ai tenté de démontrer comment la politique est empêtrée dans les questions de nature/d’environnement, d’identité et de citoyenneté. Ces deux régions sont dotées d’une histoire unique qui a fait d’elles des zones en marge de leurs nations, ignorées et oubliées. Suite aux changements intervenus dans l’ordre économique mondial et l’ouverture des économies nationales, un nouveau débat sur le développement durable a émergé et, depuis, les ressources biologiques de ces régions sont devenues cruciales pour le progrès économique de leurs pays respectifs. Ces régions considérées « arriérées » qui étaient cachées de l’œil administratif sont devenues des plaques tournantes du commerce sur la carte nationale. Les nouveaux plans et projets pour le « développement » de ces régions répondent à l’expérience historique qu’ont vécue les populations de la région en tant que peuples autochtones et d’ascendance africaine installés à l’intérieur des frontières nationales respectivement de l’Inde et de la Colombie. J’essaie d’élaborer sur le fait que de telles convergences conduisent à réorienter le débat sur le développement et l’environnement autour de la nature et de la culture, de l’identité et du territoire.
Je suis reconnaissante à mes amis et collègues en Inde et en Colombie pour leur collaboration qui m’a permis de me rendre dans leurs foyers et leurs régions, pour avoir partagé avec moi leur vie publique et personnelle et s’être intéressés à la mienne. De telles opportunités d’apprentissage ne sont pas données à tout le monde et représentent un privilège rare.
Lire le dossier original en anglais : Environmental and social movements in India and Colombia
Traduction : Alessandra Stanimirov
La chercheuse Manju Menon travaille sur les conflits entre environnement et développement en Inde. Elle est actuellement doctorante au Centre for Studies in Science Policy, JNU, New Delhi. Contact : manjumenon1975(@)gmail.com