Les défenseur·ses de l’eau d’Hawaï intensifient leur action pour la fermeture d’un site de carburant de la Marine après une fuite toxique

, par Waging NonViolence , CARLINER Sam

En effet, à la suite d’une fuite importante sur un site de la Marine qui a contaminé l’approvisionnement en eau d’O’ahu, les défenseur·ses de l’eau ont trouvé des allié·es improbables parmi les familles de militaires scandalisées.

Des drapeaux portant le slogan "Water is life" (L’eau, c’est la vie)
Crédit : Peg Hunter (CC BY-NC 2.0)

Plus de 100 défenseur·ses de l’eau se sont rassemblé·es devant le Capitole de l’État d’Hawaï à Honolulu le 10 décembre. Leur plus grande crainte venait de se réaliser. Des réservoirs contenant du carburant en décomposition étaient stockés par la Marine à seulement 30 mètre au-dessus d’un aquifère qui servait de principale source d’eau potable sur l’île d’O’ahu. Ces réservoirs ont récemment laissé échapper du kérosène dans l’aquifère, empoisonnant des milliers de personnes et causant des dommages irréversible pour l’approvisionnement en eau d’O’ahu.

Shelley Muneoka, une Kanaka Maoli (peuple hawaïen) et membre de la coalition d’organisateur·rices et de membres de la communauté des défenseur·ses de l’eau d’O’ahu, avait mis garde contre un tel accident depuis 2014. Elle s’exprime sur l’augmentation croissante d’intérêt de la part de la plus grande communauté d’O’ahu pour les défenseur·ses de l’eau.

« D’une part, [nous nous sentons] vraiment dévasté·es d’en arriver là et nous avons vraiment peur de ce que cela signifie pour l’avenir de la vie sur O’ahu », a déclaré Muneoka. « D’autre part, [nous] devons vraiment creuser pour passer à l’action et motiver. Et puis, soudainement, tout à coup, des milliers de choses se passent ».

Les défenseur·ses de l’eau d’O’ahu organisent des manifestations et des actions de sensibilisation communautaire dans tout Honolulu. La coalition a obtenu un soutien croissant autour d’une revendication : « La fermeture du Red Hill », c’est-à-dire du Red Hill Bulk Fuel Storage Facility (l’installation de stock de carburant en vrac), le nom officiel de l’installation du complexe de réservoirs de carburants souterrains.

Jusqu’à présent, les défenseur·ses de l’eau ont organisé deux actions très médiatisées et ont touché la communauté locale par le biais de moments pédagogiques et d’entraide, afin de renforcer le soutien local à leur cause. Ils et elles ont également utilisé les réseaux sociaux pour sensibiliser le public sur le problème des cuves stockées en vrac aussi près d’une source d’eau. Face à la Marine qui a résisté aux demandes et a nié sa responsabilité, s’opposant même à un ordre de l’État émis le 6 décembre, de vider les réservoirs de Red Hill, le soutien de la communauté et l’attention du public sont particulièrement nécessaires.

L’inquiétude a commencé à grandir au sujet des réservoirs de Red Hill en 2014, date du premier cas connu de fuite majeure. En janvier 2014, 27 000 gallons de carburant ont fui d’un réservoir, ce qui a entraîné un accord de 20 ans entre l’Agence de Protection de l’Environnement, la Marine, l’Agence de logistique de la Défense et le ministère de la Santé d’Hawaï pour étudier des améliorations à l’installation.

Malgré cet accord entre diverses organisations gouvernementales, l’Agence de protection de l’environnement et d’autres départements chargés de surveiller la responsabilité de la Marine ont abandonné leurs poursuites, selon le Sierra Club.

La passivité des institutions fédérales et étatiques a poussé le Sierra Club à mener une action juridique qui a permis des avancées majeures en matière de reconnaissance de responsabilité. En 2017, l’organisation environnementale a poursuivi le ministère de la Santé d’Hawaï au sujet d’une politique qui exemptait Red Hill des réglementations habituelles sur le stockage des réservoirs souterrains. Auparavant, le permis de la Marine d’utiliser les réservoirs était automatiquement renouvelé à chaque fin de contrat. Le travail du Sierra Club a forcé l’État à abandonner ce renouvellement automatique. L’organisation a également utilisé son site Web pour documenter et communiquer toutes les données et études disponibles sur la menace environnementale posée par Red Hill.

Bien que le précédent d’une fuite majeure ait été établi cinq ans plus tôt, la demande de fermeture de Red Hill n’était pas soutenue par le public. Le rôle important de la Marine dans l’économie hawaïenne et le nombre important d’anciens combattants et de militaires sur l’île explique l’hésitation à remettre en question la Marine. L’industrie militaire est le second pilier de l’économie d’Hawaï, employant 101 500 personnes, soit 16,5 % de la main-d’œuvre de l’État.

Dans Honolulu Civil Beat, Eric Stinton décrit comment l’armée a réussi à esquiver les critiques en renvoyant les commentaires négatifs à son égard en tant qu’institution, vers une condamnation individuelle de membres du service.

« Même les petites critiques sur l’armée provoquent généralement une indignation patriotique, comme si une critique institutionnelle spécifique revenait à cracher au visage de votre oncle qui a pris une balle pour son pays », explique-t-il. « La culture militaire est particulièrement efficace pour s’identifier aux personnes la composent ; il est donc facile de comprendre pourquoi la critique de l’armée est souvent perçue comme une critique directe des militaires. »

Ann Wright, vétérane, anti-guerre et résidente d’O’ahu, a été active dans le mouvement de fermeture de Red Hill. Elle affirme que le rôle économique de l’armée a expliqué la complaisance du gouvernement avec la Marine.

« A part le tourisme, c’est l’argent du ministère de la Défense qui finance l’État, donc tou·tes nos représentant·es au Congrès sont les pistonné·es qui mènent des projets militaires ici », a déclaré Wright. « Donc, l’État a suivi, n’a pas vraiment poursuivi d’enquête et s’est assuré que les permis soient délivrés. »

Alors que la Marine a longtemps manipulé l’opinion publique et collaboré avec des représentant·es de l’État pour se soustraire à ses responsabilités, elle n’a pas été en mesure d’éviter les réactions suite à une autre fuite majeure des réservoirs de Red Hill ces derniers mois. C’est parce que cette fois-ci, la Marine est confrontée à un nouveau type d’opposition : celle de ses propres militaires ainsi que les familles de militaires vivant sur la base commune de Pearl Harbor-Hickam. Après avoir constitué une menace pour le résident moyen d’O’ahu, les fuites des réservoirs ont empoisonné des familles de militaires vivant à Hawaï. L’indignation a alors enfin grandi.

Vers la fin du mois de novembre, les épouses des militaires vivant dans les casernes autour de la base militaire ont signalé que l’eau sentait l’essence. Les membres des familles des militaires se sont mis à développer des symptômes, tels que des maux de tête, des éruptions cutanées et de la diarrhée. Au départ, les porte-paroles de la Marine ont assuré aux familles que l’eau était potable. Ils n’ont pas pu longtemps tenir cette ligne.

« Si c’était arrivé dans la partie de la ville où je vis, la Marine n’aurait même pas levé le petit doigt à ce sujet », nous dit Wright. « Mais là, ce sont des familles de militaires et il n’y a rien de pire qu’une femme de militaire en colère. Ayant été dans l’armée pendant 29 ans, je sais quand les choses tournent mal sur une base militaire ; lorsque les femmes se fâchent, ça devient l’enfer. »

Face à la gronde des familles des militaires, la Marine a tenu une assemblée publique le 6 décembre au cours de laquelle les familles concernées ont exprimé leur sentiment de trahison face à la négligence de la Marine. « Pourquoi nous avez-vous dit que l’eau était potable, qu’on pouvait l’utiliser pour se laver en attendant des résultats que vous aviez déjà ? », a demandé une conjointe de militaire à de hauts responsables de la marine locale. « Je suis ici pour vous demander pourquoi vous ne m’avez pas aidé à protéger mon fils de 13 mois... pendant que je lui donnais une tasse pleine d’eau de mon robinet alors qu’il vomissait depuis des jours ».

Muneoka affirme qu’avant, les militant·es hawaïen·nes autochtones faisaient face à des réactions négatives chaque fois qu’ils·elles critiquaient l’armée, mais dernièrement, elle a senti que les sentiments de la communauté à l’égard de l’armée commençaient à changer. Même les élu·es qui n’avaient jamais réussi à demander des comptes à la Marine commencent à la dénoncer et à remettre en question publiquement ses actes.

« Je pense qu’il y a un décompte en cours », dit Muneoka. « Pour les familles des militaires, toute la vie dépend de la croyance en ce système. Pour ces familles, je pense qu’il y a vraiment un choc et un sentiment de trahison. En revanche, pour le reste des Hawaiien·nes ce n’est pas une surprise. »

Il faut ajouter à l’essor du mouvement « Fermez le Red Hill », l’expérience des dirigeant·es hawaïen·nes autochtones qui ont passé les dernières années à mener une lutte pour la défense de la montagne Mauna Kea. Le volcan endormi, sacré pour les Hawaïen·nes autochtones, avait été choisi comme site de construction pour un observatoire de 1,4 milliard de dollars. Les dirigeant·es autochtones avaient lancé un mouvement pour résister à sa construction, en bloquant les routes et en occupant le terrain. Au plus fort des manifestations, plusieurs milliers de personnes s’étaient jointes à cette occupation. Ces manifestations ont réussi à arrêter la construction en janvier 2020 et depuis lors, une grande partie de la contestation se joue dans l’arène juridique.

De nombreux Défenseur·ses des terres du Mauna Kea dirigent maintenant les manifestations publiques autour de la fermeture de Red Hill. En plus du Capitole de l’État, une coalition d’organisations hawaïennes appelée Ka’ohewai a fait du quartier général du Commandement du Pacifique de la marine américaine un centre de manifestations. À l’aube du 12 décembre, environ 70 Hawaïen·nes autochtones ont organisé une cérémonie à la porte du commandement et ont construit un autel en pierre au dieu hawaïen de l’eau. Le but de l’autel est d’attirer les gens, à la fois littéralement mais aussi spirituellement, vers la question de la pollution.

Muneoka et Wright expliquent tou·tes les deux que, bien qu’une grande partie des actions en cours soit contraire au souhait de la Marine de laisser les réservoirs de carburant en place, l’armée ne fermera probablement pas Red Hill, sauf si le président Biden lui ordonne de le faire.

« Lorsque le secrétaire à la Marine répond à l’ordre du gouverneur indiquant que les réservoirs doivent être vidangés et fermés, ‘Je considère que c’est une requête’, cela vous donne une idée de ce qui se passe », déclare Wright.

« Il y a tellement de gens qui viennent à Hawaii pour leurs loisirs ou leurs vacances », ajoute Muneoka. « qu’il faut s’en servir comme un levier pour faire quelque chose. Nous avons vraiment besoin de pression sur le président Biden, mais ça semble trop haut, trop éloigné de nous. En revanche, aux États-Unis, le commandement de la Marine est très puissant, et les gens peuvent facilement se cacher derrière ses ordres. Nous avons besoin de cet ordre du sommet pour fermer les réservoirs de carburant de Red Hill. »

Le 27 décembre, le sous-procureur général David Day du ministère de la Santé s’est rangé du côté de la demande du gouverneur que la Marine vide les réservoirs. Les défenseur·ses de l’eau d’O’ahu ont écrit une déclaration à l’appui de la décision de Day, mais ont ajouté que ce n’était qu’une première étape dans ce qu’ils avaient l’intention de faire : créer un mouvement plus large pour démilitariser Hawaï.

Voir l’article original en anglais sur le site de Waging NonViolence.

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Cet article, initialement paru en anglais le 3 janvier 2022 sur le site de Waging NonViolence (CC BY 4.0), a été traduit vers le français par Emilie F et relu par Jac Forton, traducteur·rices bénévoles pour ritimo.