En Louisiane, les militant·es pourraient être en train de gagner une bataille contre le racisme environnemental

, par Truthout , LUDWIG Mike

Les analystes du secteur de l’énergie ont déclaré que l’énorme complexe pétrochimique proposé par Formosa Plastics dans la paroisse de Saint James en Louisiane n’est « pas viable financièrement » à cause des conditions du marché, de l’incertitude juridique et réglementaire, et de la vague d’opposition politique et d’accusation de racisme environnementale qui est en train de gagner une visibilité internationale. Les militant·es espèrent une victoire précieuse pour la justice environnementale dans le couloir industriel qui longe le Mississippi, connu sous le nom de « L’Allée du Cancer » en raison de sa concentration de nombreux pollueurs. Mais le combat n’est pas encore terminé.

Les usines chimiques concentrées dans cette région de la Louisiane sont connues sour le nom de "Cancer Alley," l’Allée du Cancer. Crédit : Gina A. Sanchez (CC BY-NC-ND 2.0)

Dans un rapport publié cette semaine, l’Institut pour l’Économie de l’Énergie et l’Analyse Financière (IEEFA), un groupe de réflexion sur les énergies propres financé par des fondations traditionnelles, exhorte Formosa à abandonner sa proposition de construire un complexe pétrochimique de plusieurs milliards de dollars dans L’Allée du Cancer. Un tel complexe fabriquerait des produits chimiques pour faire des produits plastiques comme des bouteilles jetables ou de l’AstroTurf (de la pelouse artificielle) à la périphérie de Welcome, en Louisiane, une petite communauté à majorité noire ou les militant·es locales·aux ont gagné le soutien de l’opinion publique internationale avec leur campagne contre le projet.

Les résident·es proches du site proposé vivent déjà avec un air plus toxiqueque 99 % des États-Unis, et si Formosa construisait ce complexe pétrochimique tentaculaire, les émissions cancérigènes pourraient doubler dans la paroisse de Saint James et tripler aux autour de Welcome.

Le complexe proposé « conduirait Formosa à faire les mauvais produits, au mauvais moment, au mauvais prix, au mauvais endroit et avec les mauvais calculs financiers » affirme dans un communiqué Tom Sanzillo, directeur de l’analyse financière de l’IEEFA et co-auteur du rapport.

Dans un contexte où l’industrie pétrochimique se ruait sur la construction de nouvelles usine de fabrication de plastique afin d’absorber une surabondance de combustibles fossiles créée par le boom du fracking [1], Formosa a été attiré en Louisiane par des allégements fiscaux lucratifs et des politicien·nes pro-industrie. Cependant l’entreprise doit faire face à des coûts croissants et à une forte opposition de la part des résident·es qui ont organisé des manifestations et ont travaillé avec des groupes environnementaux pour contester les permis de Formosa devant les tribunaux.

Les militant·es ont attiré l’intention internationale sur « L’Allée du Cancer » où l’industrie a une longue histoire de pollution et de déplacement des communautés noires à faibles revenus. Sharon Lavigne, une résidente de Welcome et co-fondatrice du RISE St. James, un groupe confessionnel de justice environnementale qui s’oppose à Formosa, a témoigné devant le Congrès, et plus récemment devant les Nations Unies. Des sites funéraires ont été découverts sur les terrains d’anciennes plantations que Formosa a achetés pour construire le complexe, et les membres de la communauté pensent que leurs ancêtres y ont été enterré·es après avoir travaillé dans les champs de la plantation en tant qu’esclaves. Lavigne affirme que la communauté veut qu’un mémorial soit érigé en l’honneur de leurs ancêtres, et pas une énorme usine pétrochimique.

La semaine dernière, les législateur·rices démocrates de la Chambre des représentant·es ont exhorté l’administration Biden à révoquer les principaux permis pour le projet Formosa, et le président Biden a récemment mentionné nommément « L’Allée du Cancer » lors de la promulgation des décrets sur le changement climatique et la pollution. Aux Nations Unies, un panel d’expert·es a également récemment déclaré qu’il fallait mettre un terme au racisme environnemental de « L’Allée du Cancer ».

« Formosa est Goliath, et Rise St. James est David » déclare Lavigne sur Facebook Live après avoir témoigné dans les le panel de justice environnementale des Nations Unies jeudi. « Et David va gagner ce combat » conclut-elle.

Pendant ce temps, selon l’IEEFA, le marché pour les produits de Formosa semble beaucoup plus restreint qu’il ne l’était quand l’entreprise est arrivée pour la première fois à St James quelques années auparavant. L’industrie pétrochimique étend rapidement sa capacité à manufacturer du plastique à partir de combustibles fossiles, en particulier en Chine, ce qui pourrait diminuer la demande d’exportation des États-Unis. Au niveau mondial, les économies pourraient ne pas se remettre assez rapidement de la pandémie du Covid-19 pour créer une demande suffisante de produits chimiques de base pour produire du plastique qui seraient manufacturé par Formosa en Louisiane. La demande à long terme de « plastique vierge » devrait également baisser à mesure que le recyclage et l’interdiction de plastiques à usage unique se généralise.

Les coûts de construction du complexe augmentent également, réduisant les potentiels bénéfices futurs de Formosa. Le coût estimé de la construction a grimpé de près de 24 %, passant de 9,7 milliards à 12 milliards, et pourrait continuer d’augmenter avec le prix des matières premières comme le cuivre et l’acier. De plus, l’IEEFA estime que les revenus annuels du complexe s’élèveraient à environ 2,5 milliards de dollars, soit environ 20% de moins que ce que les consultant·es de l’entreprise avaient prévus en 2018.

Formosa affirme que la construction du projet – baptisé « Projet Sunshine » en raison de sa proximité avec le « Pont de Sunshine » – a été retardée par la pandémie de Covid-19, qui a compliqué l’évaluation des coûts de construction pour l’entreprise avant de commencer. Selon un communiqué envoyé par email à Truthout par FG LA, la division de Formosa Plastic qui opère en Louisiane, les obstacles légaux ont également contribué à ce délai.

Grâce aux efforts des militant·es, des permis clefs pour le projet sont retenus devant les tribunaux, créant encore plus d’incertitude quant au futur du projet. L’année dernière, un juge d’état a ordonné aux régulateur·rices de l’État de reconsidérer la situation et l’Army Corps of Engineers a suspendu un permis crucial après que des avocat·es écologistes aient fait valoir que les agences n’avaient pas pleinement pris en compte la manière dont la pollution d’un tel complexe impacterait une communauté majoritairement noire déjà accablée. Pendant ce temps, l’administration Biden est de plus en plus sous pression pour qu’il réponde au racisme environnemental, et pour limiter la production de plastique jetable qui étouffent les océans et s’accumulent dans les décharges et les communautés.

Dans la paroisse de St James, Formosa est sur la sellette, mais l’entreprise ne s’est pas encore retirée. L’entreprise affirme avoir « reporté des travaux de construction importants » jusqu’à ce que la pandémie s’atténue ou que les vaccins deviennent facilement disponibles. À la même époque l’année dernière, RISE St James signalait que l’entreprise avait commencé la construction en violation de l’ordonnance de Louisiane relative au confinement lié au Covid, et selon Lavigne, la construction avait rapidement été interrompue. Malgré les mauvaises perspectives financières publiées par l’IEEFA, une porte-parole de Formosa a communiqué à Truthout que l’entreprise restait « engagée dans le projet et continue de surveiller de près tous les facteurs pertinents ».

Lavigne, elle, affirme : « Nous les surveillons sous tous les angles, et nous ne les laisserons pas venir à St James, détruire nos vies, bouleverser notre façon de vivre et nous polluer encore plus ».

Lire l’article original en anglais sur le site de TruthOut

Notes

[1NdT : le fracking fait référence à la fracturation hydraulique, une technique d’extraction du gaz naturel particulièrement polluante.

Commentaires

Cet article, initialement paru en anglais le 27 mars 2021 sur le site de TruthOut, a été traduit vers le français par Charlotte Lily Fouillet, traductrice bénévole pour ritimo, et republié avec la permission explicite de TruthOut.