Les peuples indigènes du monde entier sont confrontés à une discrimination systémique qui prend racine dans le racisme et le colonialisme. Ces peuples qui ont été forcés à vivre dans des pays gouvernés par les descendants des colonisateurs ou les élites dominantes sont victimes de discrimination, de dépossession et de perte de pouvoir. De nombreuses communautés indigènes ont été délocalisées par la force après que leurs terres leur aient été confisquées, leurs forêts détruites, leurs montagnes minées et leurs vallées inondées par la construction de barrages.
Ceux qui souffrent le plus des conséquences des déplacements forcés sont les enfants (filles et garçons) indigènes : ils sont déplacés dans des internats, ils vivent des situations traumatisantes en quête d’intégration et sont même obligés de fréquenter des écoles où on ne parle pas leur langue ni leur enseigne les connaissances et valeurs de leurs peuples. Ils ont été contraints de vivre sous des gouvernements qui ne sont pas les leurs, dans lesquels ils ne peuvent ni participer ni avoir une influence quelconque. Ces conditions de racisme et de discrimination systémiques conduisent aussi à la violence contre la femme indigène.
La violence contre les femmes et les filles indigènes
Quand une majorité de la société considère les peuples indigènes comme citoyens de seconde catégorie, la possibilité de souffrir de situations de violence de genre qui restent impunies augmente.Les innombrables femmes indigènes du Canada qui ont été assassinées, violées ou ont disparues en sont un exemple notable. Parmi les agresseurs se trouvent les colons, les militaires, les policiers, les travailleurs étrangers, et même les touristes. En effet, les femmes et les filles indigènes ont plus de risque d’être victimes de violence sexuelle et d’être violées que les femmes et filles non indigènes. Ceci inclue une plus grande exposition à la violence, à la traite sexuelle et à la violence domestique.
La violence contre les femmes et filles indigènes est monnaie courante dans des contextes de conflits armés, de militarisation de ses territoires, de mise en œuvre de projets de développement, d’investissement et d’extraction et quand elles défendent leurs droits humains. Dans certains cas, ce type de violence a une motivation politique. Le cycle de pauvreté marginalise disproportionnellement les femmes les plus vulnérables : les femmes, les filles qui sont forcées de se marier, les orphelines, les veuves, les personnes de la communauté LGBTQ+ et les femmes avec un handicap. Ceci se perpétue de génération en génération et les place dans le niveau plus bas de la société, où la violence et l’impunité est même plus profonde.
Les femmes indigènes souffrent de discrimination et de violence dans l’exercice de leurs droits économiques, sociaux et culturels. Les filles sont exposées à un plus grand risque de violence sexuelle quand elles vont à l’école et en reviennent ou quand elles s’éloignent de leurs communautés pour étudier et travailler. Même l’école n’est pas un lieu sûr pour elles. Ces dernières années, au Canada, au Guatemala et au Bangladesh, les médias ont publié des rapports épouvantables sur les étudiantes des écoles indigènes qui ont été abusées sexuellement par leurs professeurs.
Quand les peuples indigènes migrent après avoir été déplacés de leurs territoires, cela augmente le risque de violence et de pauvreté. En 2015, la Rapporteuse Spéciale des Nations Unies sur les Droits des Peuples indigènes de l’époque, Victoria Tauli-Corpuz, a documenté des situations où les femmes migrantes qui accèdent aux services de santé relatifs à la grossesse, à l’accouchement ou au post-accouchement sontstérilisées sans leur consentement ou forcées à utiliser des contraceptions. La violence obstétrique contre les femmes indigènes est une pratique répandue dans de nombreux pays du monde. Des cas selon lesquels elles ont été obligées d’accoucher en position couchée et non dans la position verticale qu’elles préfèrent ou qu’on leur a interdit l’accouchement traditionnel ou la pratique de leur médecine traditionnelle ont été signalés.
Victimes de violence sexuelle
L’intérêt économique sur les territoires indigènes fait que les femmes soient piégées au milieu de situations conflictuelles et qu’elles soient soumises à la violence militaire. Au Bengladesh, en Inde, au Myanmar, au Népal, au Kenya, aux Philippines, en Thaïlande et au Timor Oriental, la militarisation sur les terres indigènes a donné lieu à des cas de viols collectifs, à l’esclavage sexuel et à des fémicides de femmes et filles indigènes. La militarisation les rend particulièrement vulnérables au travail forcé et au trafic sexuel.
Les femmes et filles indigènes qui laissent leur famille et leur communauté pour échapper aux conditions socioéconomiques difficiles ou de conflits armés sont plus susceptibles de devenir victimes de trafic, d’exploitation économique et sexuelle ou de violence sexuelle. Au Népal, les femmes et filles indigènes représentent presque 80% des victimes de traite de personnes, bien que la proportion des peuples indigènes dans le pays soit seulement de 37% environ.
En Amérique Latine, les activités de développement sur les territoires indigènes augmentent les risques de violence sexuelle contre les femmes et filles indigènes. La présence de camps de travailleurs temporaires ou de personnel de sécurité armé dans des zones reculées a entraîné une augmentation de la prostitution involontaire de filles indigènes, de grossesses non désirées, de maladies sexuellement transmissibles et de violence sexuelle.
L’expansion rapide du tourisme dans certaines zones augmente aussi le harcèlement sexuel, l’insécurité et la souffrance des femmes et filles indigènes. De même que les problèmes de santé liés à la pollution environnementale générée par les projets de développement sur leurs territoires ne font que croître.
De la persécution des femmes dirigeantes à la violence domestique
De la même manière, les dirigeantes indigènes et les organisations de droits humains qui militent pour la défense des droits des femmes ont pour habitude d’être une cible d’intimidation, de menaces, d’attaques contre leur vie. Elles font face à la criminalisation basée sur de fausses accusations et sont sujettes à des poursuites pénales non fondées et emprisonnées dans le but de les démoraliser, paralyser leur activisme et délégitimer leurs causes. Rachel Mariano et Betty, femmes indigènes et défenseuses des droits humains des Philippines, ont été arrêtées sur de fausses accusations. La violence conte les défenseurs de droits et les multiples formes de discrimination dont elles sont victimes créent des conditions qui engendrent et perpétuent les violences de genre.
Il est nettement plus probable que les femmes et filles indigènes de toutes les régions soient victimes de violence domestique en comparaison avec les femmes non indigènes ; qu’elles soient ou non en couple avec une personne indigène. Dû à la discrimination raciale, l’histoire coloniale ou l’intérêt des hommes non indigènes à se marier avec des femmes indigènes pour avoir accès aux terres, il est plus probable que la relation soit marquée par une agression physique ou verbale.
Les femmes et filles indigènes ressentent la violence domestique de manière plus forte dû au manque d’accès aux services de soutien et de justice.
Le traumatisme colonial et la discrimination systémique augmentent aussi les problèmes de santé mentale et d’alcoolisme. Certaines communautés d’Afrique du Sud ont le taux le plus élevé au monde du Syndrome d’alcoolisation fœtale dû à la pratique coloniale de payer une partie du salaire aux travailleurs agricoles en alcool, connu sous le nom de système dop.
Un autre exemple des effets de ce traumatisme avec les statistiques présentées par la CIDH qui montrent la prévalence de la violence domestique subie par les femmes autochtones sur le continent américain. D’un autre côté, un Rapport National sur l’Etat de la Population du Cameroun démontre que 55% des femmes indigènes Mbororo ont subi une forme de violence avant leur 15 ans. Les femmes et les filles indigènes ressentent la violence domestique de manière plus forte dû au manque d’accès aux services de soutien et de justice de même que par leurs circonstances économiques et culturelles spécifiques.
Quand la violence contre les femmes vient de leurs propres peuples
Parfois, la violence est générée par leurs propres peuples. Les mêmes communautés de femmes et filles indigènes violent leur droit à l’intégrité physique à travers des pratiques traditionnelles qui rendent vulnérable leur corps et leur autonomie. En Afrique subsaharienne et au sud et au sud-est asiatique, le mariage précoce ou d’enfant continue d’être une des plus grandes préoccupations liées aux droits des filles indigènes. Le mariage précoce est intimement lié à l’abandon scolaire, à la violence domestique, aux complications durant la grossesse et l’accouchement et au traumatisme psychologique.
Bien qu’elle soit considérée internationalement comme une violation des droits humains, la Mutilation Génitale Féminine persiste entre les communautés indigènes de près de 30 pays d’Afrique, ce qui occasionne de grands dommages physiques, psychologiques et des difficultés au plein épanouissement de la vie sexuelle. Les motifs pour lesquels ils sont mis en œuvre sont divers et dépendent de chaque pays et chaque ethnie ; dans certains cas, c’est considéré comme un rite de transition à la vie adulte, dans d’autres cas une manière de contrôler la sexualité des femmes et filles, d’augmenter la féminité ou par croyance relative à la santé, l’hygiène et l’esthétique. Dans les pays où elle est pratiquée, la proportion de filles et femmes qui souhaitent mettre fin aux mutilations a doublé ces 20 dernières années.
Dans la région de Samburu, au Kenya, il existe une pratique de viol de filles très habituel connue sous le nom de « beading » : le groupe de « guerriers » peut avoir des relations sexuelles consenties avec des filles à partir de l’âge de 9 ans en échange d’ornements et autres biens. En Inde, les femmes indigènes font face à des violations de droits quand leurs communautés les traitent de sorcières. Par conséquent, les femmes sont rejetées par leurs communautés dans le meilleur des cas et dans le pire des cas elles sont lapidées, torturées et assassinées.
Il est important de reconnaître que plusieurs pratiques indigènes basées sur les coutumes privilégient les mères indigènes et réaffirment leur position dans les communautés telles que le démontre la tribu matrilinéaire Khasi qui habite en Inde et au Bangladesh. De même que les kreung du Cambodge maintiennent une coutume qui permet aux couples récemment mariés de vivre dans la communauté de la fiancée et plus tard dans celle du fiancé pour ensuite décider conjointement où ils préfèrent vivre. Dans la tradition les femmes kreung sont celles qui gèrent les revenus de la famille.
Dirigeantes de la lutte pour les droits indigènes
Bien que les femmes et filles indigènes fassent face à d’énormes défis, violences et discrimination, elles ne doivent pas être présentées seulement comme victimes ou groupes vulnérables. Les femmes indigènes sont des vecteurs du changement et d’importantes dirigeantes sont des moteurs de la lutte pour les droits de leurs communautés. Elles ont construit un mouvement mondial et continuent de lutter pour que s’ouvrent de nouveaux espaces où traiter leurs problèmes, tant au sein du propre mouvement indigène comme au sein du mouvement global des femmes.
Les femmes indigènes ont agi de manière résiliente et constante pour que leurs messages arrivent à différents niveaux et divers espaces, de la famille jusqu’au domaine mondial, parce qu’ils ont des priorités spécifiques et ont besoin que tous leur prête attention pour pouvoir transformer la réalité. Les femmes indigènes ont aussi établi leurs propres structures politiques et sociales, même de manière parallèle quand on ne leur a pas autorisé d’espace suffisant au sein de leurs structures nationales (ou indigènes) établies.
IWGIA a publié une analyse de toutes les recommandations réalisées depuis 2011 par les Nations Unies en lien avec les femmes indigènes et se focalise principalement au Bengladesh, au Népal, en Inde, au Myanmar, au Kenya, en Tanzanie, en Colombie et au Pérou. Si bien qu’entre 2011 et 2021 ont été réalisées 271 recommandations liées aux femmes indigènes ; un fossé énorme reste au niveau de la mise en route. En général, la mise en œuvre effective des recommandations pour mettre fin aux différents défis qu’affrontent les femmes indigènes a été trop lente pour pouvoir être concrétisée.
La prise en main de la situation demande une approche holistique pour rompre le cercle de discrimination et d’exclusion. Cela requiert une volonté politique de la part des Etats, la distribution de ressources financières, des campagnes pour créer une conscience dans la société et la participation effective et inclusive des propres femmes indigènes dans le processus de prise de décisions. De même, les lois, la législation et les projets doivent être une priorité dans le processus de formation jusqu’à leur mise en place. Le mouvement de femmes indigènes continuera à faire pression sur les responsables pour qu’ils accomplissent leur devoir envers elles.
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* Sifne Leth est Conseillère Senior de International Work Group for Indigenous Affairs (IWGIA) où elle coordonne le travail des organisations en Asie et est référente pour les droits des femmes indigènes.