Manifeste de Piaraçu : Les représentants des peuples amazoniens unis contre Bolsonaro

, par Autres Brésils

600 dirigeant.es ont élaboré ce manifeste en défense de la forêt et des peuples autochtones.

Mebengokrê, à Piaraçu, n’a pas été choisie par hasard : elle se trouve loin des grands centres urbains, sur les rives du fleuve Xingu, en pleine forêt vierge.

L’objectif principal de la réunion : former une union sacrée pour faire face aux projets du gouvernement Bolsonaro qui menacent selon ces caciques le mode de vie des peuples autochtones, notamment une loi qui autoriserait les activités minières sur leurs terres.

Rencontre Mebengokrê • du 14 au 17/01/2020 • Aldeia Piaraçu/MT.
Des leaders indigènes de différentes régions ont participé à la réunion qui s’est tenue au parc du Xingu. Sous la direction du Cacique Raoni, ils ont discuté des stratégies de lutte pour l’année et de l’organisation du mouvement indigène dans le pays.
Photo prise le 16 janvier 2020 par Mídia NINJA (CC BY-NC 2.0)

Des dirigeant.es et chef.fes autochtones du Brésil réuni.es à Piaraçu

Nous, représentants de 45 peuples autochtones du Brésil, soit plus de 600 participants, avons été conviés par le cacique Raoni à nous réunir, du 14 au 17 janvier 2020, dans le village de Piaraçu (Terre indigène de Capoto Jarina), afin d’unir nos forces et de dénoncer le projet politique de génocide, d’ethnocide et d’écocide que mène le gouvernement brésilien.

L’État brésilien doit comprendre qu’il a une dette historique envers les peuples autochtones. Nous sommes les premiers habitants de notre pays. Nous ne défendons pas seulement l’environnement : nous sommes la Nature elle-même. Détruire l’environnement, c’est nous tuer. Nous voulons préserver la forêt sur pied, non pas parce qu’elle est belle, mais parce que tous les êtres qui l’habitent font partie de nous et courent dans notre sang.

L’État brésilien reconnaît les droits des autochtones dans les articles 231 et 232 de la Constitution fédérale de 1988, que nous avons contribué à élaborer, ainsi que dans d’autres normes juridiques nationales et internationales, telles que la convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT). Nous exigeons donc que notre droit à une consultation libre, préalable et informée soit respecté chaque fois que sont prévus des projets et des décisions susceptibles de nous affecter et de menacer nos territoires et nos modes de vie.

Nous n’avons pas besoin de détruire pour produire. Notre richesse ne peut être vendue pour de l’argent qui ne la vaut pas. Si notre territoire est très riche, nous ne sommes pas riches en argent liquide, nous sommes riches en diversité et toute cette forêt dépend de notre culture pour subsister. Ce qui compte pour nous, c’est notre terre. Cela vaut plus que la vie. Et c’est nous qui pouvons protéger la nature, nous qui ne détruisons ni ne polluons jamais notre rivière. Nous prenons soin de notre terre, nous savons à quel point elle est précieuse. Nous devons protéger ce que nos ancêtres nous ont légué.

Les menaces et les discours de haine du gouvernement actuel encouragent la violence contre les peuples autochtones, l’assassinat de nos dirigeants et l’invasion de nos terres. Aujourd’hui, nous devons nous préparer à faire face, non seulement au gouvernement, mais aussi à réagir à la violence de certains secteurs de la société, qui exprime très clairement du racisme à notre encontre, simplement parce que nous sommes autochtones.

Les femmes autochtones présentes à la réunion, dirigeantes et guerrières, génératrices et protectrices de la vie, réaffirment leur lutte contre les violations auxquelles sont confrontés leurs corps, leurs esprits et leurs territoires. Ce sont les femmes qui garantissent nos modes de vie et notre langue. Elles garantissent notre existence au sein de notre communauté. Nous, femmes et hommes autochtones, luttons côte à côte pour le droit à la terre qui nous nourrit et nous guérit.

Les jeunesses autochtones présentes à cette réunion réaffirment l’engagement à poursuivre la lutte des dirigeants pour la défense de nos vies, de nos territoires et de notre droit à l’existence. Les connaissances et les traditions que nos grands-parents nous ont enseignées constituent la solution fondamentale aux menaces qui pèsent sur nos peuples et sur nos territoires, et à la crise climatique qui approche. Cette nouvelle génération est prête à faire valoir les solutions qui lui ont été enseignées.

Nous sommes les seuls à pouvoir parler de nous et pour nous-mêmes. Nous ne tolérons pas que l’on manque de respect à nos chefs, comme l’a fait Bolsonaro, en 2019 lors de la réunion de l’ONU, dans son discours à l’encontre du chef Raoni. Nous affirmons que le chef Raoni est notre chef OUI, il nous représente ! Il est et sera notre référence, pour sa lutte ferme et pacifique, de leadership : aujourd’hui et toujours. C’est pourquoi nous soutenons sa candidature au prix Nobel de la paix. Nous exigeons que le Congrès reconnaisse légalement les autorités autochtones comme les premiers dirigeants de ce pays. Nos terres sont gouvernées par nos chefs, autorités autochtones qui décident en faveur des communautés, sur la base de revendications collectives plutôt qu’individuelles.

L’actuel président de la République menace nos droits, notre santé, notre territoire. Le gouvernement actuel prévoit de libérer l’extraction de minerai et l’élevage de bétail sur nos territoires.

Nous avons joint nos forces, nous sommes unis et avons montré par ce document notre détermination à poursuivre nos luttes qui sont portées par nos petits-enfants. Le gouvernement actuel nous attaque, il veut nous arracher la terre des mains. Nous n’acceptons pas l’orpaillage, les exploitations minières, l’agro-industrie et la mise en location de nos terres ; nous n’acceptons pas les exploitants forestiers, les pêcheurs illégaux, les centrales hydroélectriques et autres entreprises, comme Ferrogrão, qui nous atteignent de manière directe et irréversible.

Nous sommes contre tout ce qui détruit nos forêts et nos rivières. Nous n’acceptons pas que le Brésil soit mis en vente à d’autres pays qui ont un intérêt à explorer notre territoire. Nous voulons avant tout le respect de nos vies, de nos traditions, de nos coutumes et de la Constitution fédérale, qui protège nos droits.

Nous avons rédigé ce document comme un cri, afin que nous, les peuples autochtones, puissions être entendus par les trois pouvoirs de la République, par la société et par la communauté internationale.

Les processus de consultation doivent garantir notre droit de dire NON aux initiatives du gouvernement et du Congrès. Les consultations doivent respecter nos formes traditionnelles de représentation et d’organisation politique, ainsi que nos protocoles autonomes de consultation et de consentement.

Nous avons clairement indiqué que les autochtones qui occupent actuellement des postes au sein du gouvernement fédéral sans que nous ayons participé à leur nomination, et qui d’une certaine manière soutiennent le gouvernement Bolsonaro, ne nous représentent pas.

Nous exigeons le respect de notre droit originel sur nos territoires par la délimitation et l’homologation des terres autochtones revendiquées. Nous rejetons la thèse du seuil temporel imposé et exigeons que les processus de démarcation arrêtés soient immédiatement repris, comme Kapot Nhinore, revendication ancienne du cacique Raoni.

Nous sommes contre la municipalisation de la santé indigène et contre l’indication politique des partis pour les postes au sein du SESAI. Nous exigeons l’autonomie politique, administrative et financière des Districts Sanitaires Spéciaux de Santé Indigène - DSEI et le renforcement du contrôle social par la recréation du Forum des Présidents des Conseils de District de Santé Indigène - CONDISI, éteint par le décret 9.759/2019. Nous exigeons la garantie d’une main-d’œuvre qualifiée et adaptée à notre service.

Nous exigeons le respect de l’Accord d’ajustement de conduite - TAC signé entre le ministère de la Santé, la FUNAI, le SESAI, le Bureau du Défenseur public fédéral et le ministère public fédéral, qui garantit la continuité des services liés à la politique de santé indigène. Et nous exigeons la tenue de la 6e Conférence nationale sur la santé des autochtones. Nous exigeons l’application de la politique indigéniste de la FUNAI et du SESAI en matière de responsabilité pour tous les peuples et terres autochtones du Brésil et pas seulement pour les terres autochtones homologuées.

Nous dénonçons les persécutions et les tentatives de criminalisation de nos dirigeants, organisations autochtones et indigénistes, collaborateurs et partenaires.
Nous exigeons l’assurance de l’intégrité physique et morale de nos communautés et de nos dirigeants et la punition de ceux qui tuent nos proches.

Nous demandons à l’État brésilien de respecter sa responsabilité constitutionnelle de protéger les territoires autochtones et l’environnement en réprimant les activités illégales et en punissant les criminels. Nous exigeons également que le gouvernement assume la responsabilité de l’empoisonnement de l’air, du sol et des rivières causé par l’utilisation irresponsable et incontrôlée d’agrotoxiques autour de nos terres.

Nous exigeons le respect des politiques publiques de protection des peuples isolés et de contacts récents.

Nous exigeons une éducation différenciée et de qualité pour nos enfants, leur permettant de compléter leur éducation, du primaire au secondaire, sur nos territoires. Nous n’acceptons pas la mise au rebut des universités publiques et nous demandons la garantie de la continuité des bourses pour les jeunes autochtones qui étudieront à l’université, en ville. La formation universitaire des jeunes est importante pour la continuité de notre lutte. C’est un espace qui garantit que nous soyons prêts à faire face aux changements qui nous menacent. C’est pourquoi les jeunes tiennent fermement au stylo qu’ils ont en mains ainsi qu’aux enseignements de leurs grands-parents pour lancer la flèche qui leur a été léguée afin de continuer le combat. Être à l’université n’a de sens que si nous exerçons notre spiritualité. Pour cela, nous demandons à la société brésilienne de se joindre à nous dans la lutte pour l’accès à une université plurielle et démocratique, pour une éducation universitaire qui valorise et reconnaît la science du territoire.

Nous voulons des politiques qui renforcent les alternatives économiques durables pour nos territoires, sans l’utilisation d’agrotoxiques, et qui favorisent l’économie de la Forêt sur pied, mettant l’accent sur la culture, les connaissances traditionnelles, l’extractivisme et les technologies propres.

Nous sommes des êtres humains, nous sommes les peuples premiers du Brésil. Nous faisons partie du Brésil et le Brésil fait partie de nous. Nous n’acceptons pas qu’il soit dit que nos territoires sont trop grands, car cela n’est pas comparable à la taille et à la force de notre culture et à ce que nous avons contribué à maintenir, non seulement nos vies et nos modes de vie, mais aussi la vie de tous les habitants de la planète. Celui qui est né le premier n’était pas le Brésil, nous étions les peuples premiers et nous avons été massacrés, mais nous continuons à résister pour exister.

Nous ne sommes pas seuls. Dans cette grande réunion, nous déclarons la reprise de l’Alliance des peuples de la forêt, qui comprend la Caatinga, le Pantanal, le Cerrado, la Forêt atlantique et l’Amazonie. Nous défendrons ensemble la protection de nos territoires. Cette lutte n’est pas seulement celle des peuples autochtones, mais celle de nous tous pour la vie de la planète.

Nous concluons avec la certitude que 2020 sera une année de haute lutte et nous appelons tous les parents et partenaires des Peuples Autochtones, au Brésil et à l’étranger, pour une année de grandes mobilisations où nous devrons être présents avec la force et l’énergie de nos ancêtres à Brasilia et dans les rues du monde entier. La lutte continue aujourd’hui et toujours de génération en génération !

Village de Piaraçu, le 17 janvier 2020.

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