La désinformation & l’inaction du gouvernement alimentent l’hésitation vaccinale aux Philippines

, par New Mandala , SU Yvonne, THAYAALAN Sivakamy

Des personnes déplacées internes (PDI) à Tacloban. Crédit : Department of Foreign Affairs and Trade (CC BY 2.0)

Avec plus de 2,8 millions de cas confirmés et 50 341 de morts de la Covid-19, les Philippines sont un des pays les plus touchés de l’Asie du Sud-Est. Cependant, malgré sa situation dramatique, le pays a été contraint d’attendre les vaccins des pays riches et producteurs du vaccin. En effet, seul 38% de la population est complètement vaccinée contre le virus, contre 78% des Canadien·nes.

La désinformation sur le vaccin, les informations erronées sur la Covid-19 et le manque de connaissances sur le sujet dans les pays à faible revenu accroissent cet écart vaccinal. Selon l’OMS, nous vivons actuellement dans une « infodémie » – un trop plein d’information en période d’épidémie, dont des informations fausses et trompeuses, entraînant confusion et comportements dangereux qui peuvent nuire à la santé des personnes (comme le fait de ne pas se faire vacciner).

Les Philippines n’échappent pas à ces phénomènes.

L’hésitation vaccinale touche aussi sévèrement le pays, ce qui ralentit les campagnes de vaccination dans beaucoup de régions. De nombreux facteurs ont été avancés pour expliquer cette hésitation dans le pays, parmi lesquels les messages incohérents du gouvernement national sur la gravité de l’épidémie, une désinformation généralisée, la nouveauté du vaccin, ainsi qu’un scandale vaccinal corrélé à la mort de centaines d’enfants en 2016. En définitive, comme la sénatrice Risa Hontivero, défenseuse de la santé publique, l’a exprimé, l’hésitation vaccinale est révélatrice de l’échec du gouvernement national à susciter la confiance des citoyen·nes dans le programme de vaccination.

L’hésitation vaccinale prospère dans les sites de réinstallation de la ville de Tacloban

L’hésitation vaccinale est particulièrement préjudiciable aux communautés les plus marginalisées des Philippines.

Les 75 000 résident·es vivant dans des sites de réinstallation à Tacloban en font partie. Ce sont des maisons construites pour des centaines de milliers de personnes déplacées internes (PDI) après le passage du typhon Haiyan en 2013. En raison de leurs conditions de vie et de leurs moyens de subsistance, ces personnes sont extrêmement vulnérable à la contamination à la Covid-19. En effet, une étude de juin 2021 sur l’impact de la Covid-19 sur 357 ménages vivant dans des sites de réinstallation a démontré que beaucoup de résident·es n’ont pas reçu suffisamment d’aide financière du gouvernement national, manquent d’eau courante dans leur maison, et se soumettent à des conditions dangereuses pour maintenir un revenu (ce qui, en principe, ne peut se faire à distance) pendant la pandémie. Par ailleurs, plusieurs générations d’une même famille se partagent souvent un même espace de vie exigu. Il est par conséquent essentiel pour ces résident·es de se faire vacciner. Malheureusement, l’étude a aussi révélé que beaucoup de ces personnes hésitent.

Environ 95% des participant·es n’étaient pas encore vacciné·es et parmi ces derniers, presque 25% ont déclaré ne pas vouloir se faire vacciner même lorsqu’ils·elles en auraient l’occasion. Lors de l’étude, sur une population philippine de 110 millions, seul 4 % des Philippin·nes ont reçu au moins une dose et seul 1,4 % a reçu une deuxième dose d’un vaccin contre la Covid-19. Le manque de confiance dans le vaccin, ses éventuels effets indésirables, et les effets inconnus sur le long terme font partie des plus grandes inquiétudes des participant·es. Un·e participant·e a avoué qu’ils et elles avaient « peur des effets secondaires létaux qu’on peut voir en ligne », alors qu’un autre se disait « inquiet de l’incompatibilité du vaccin avec sa situation de santé actuelle ». Ces réponses démontrent le manque de connaissances sur le vaccin ainsi que les effets de la désinformation. En effet, 73 % des participant·es pensent être tombé·es sur des informations erronées sur la Covid-19 et 30 % ont déclaré avoir reçu des informations sur le sujet sur les réseaux sociaux où la désinformation est omniprésente. Celle-ci est portée en particulier par des « influenceurs médicaux », dont des médecins promouvant des solutions non prouvées par la science pour « se prémunir » de la Covid.

En revanche, seul un·e participant·e a affirmé se fier au gouvernement national pour s’informer sur la Covid-19. Un·e autre a fait valoir que le « gouvernement devrait créer un programme de sensibilisation visant à rassurer les gens face à l’injection vaccinale », soulignant l’insuffisance du gouvernement s’agissant d’instaurer une confiance dans le vaccin et de dissiper la désinformation.

Les implications des découvertes

L’hésitation vaccinale ne s’explique pas uniquement par l’ignorance individuelle. Le fait que le gouvernement ne se soit pas suffisamment employé à diffuser les informations relatives à la Covid-19 et à instaurer de la confiance dans le vaccin, associé à l’exposition à une désinformation foisonnante, ont, comme le montrent les résultats, nourri l’hésitation vaccinale.

Ces découvertes pourraient aussi refléter un manque de confiance dans le gouvernement national quant à sa capacité à protéger la population pendant la pandémie, particulièrement au sein des communautés les plus pauvres. En effet, l’étude a démontré que très peu de participant·es avaient le sentiment de pouvoir compter sur le gouvernement national pour les protéger de la Covid-19. Ce n’est pas vraiment surprenant si l’on considère que le pays a été soumis à un des confinements les plus stricts du monde sans que cela n’empêche les cas de se multiplier. Parmi les personnes contaminées, beaucoup de travailleur·ses du secteur informel qui ne reçoivent pas suffisamment d’aide financière de la part du gouvernement ont été humilié·es et arrêté·es, accusé·es d’être des « pasaway » [1] ou d’avoir enfreint le confinement.

Toutefois, selon un sondage récent, l’intention des Philippin·nes de se faire vacciner a augmenté, passant de 16 % en février à 43 % en juin. Tandis que la vaccination devient de plus en plus encadrée et se généralise, et face à la multiplication de nouveaux variants, il est possible que la population hésite moins à se faire vacciner.

Finalement, l’hésitation vaccinale est un problème ancré dans l’échec institutionnel et c’est sous cet angle qu’elle doit être solutionnée. Le gouvernement national doit réaliser des campagnes actives de santé publique pour informer la population locale sur le vaccin et dissiper la désinformation ainsi que pour soutenir les collectivités territoriales (auxquelles on a attribué presque toute la responsabilité de la lutte contre l’épidémie malgré la fragilité de leurs infrastructures de santé) afin d’établir une campagne vaccinale efficace, accessible et équitable.

Voir l’article original en anglais sur le site de New Mandala

Notes

[1NdT : "pasaway" signifie « Rebelle » en Tagalog, langue de base de la langue nationale des Philippines

Commentaires

Cette recherche est financée par le Conseil de recherche en sciences humaines. (Social Science and Humanities Research Council).
Cet article, initialement paru en anglais le 21 décembre 2021 sur le site de New Mandala (publié sous licence Creative Commons), a été traduit vers le français par Vanessa Mula et relu par Virginie de Amorim, traductrices bénévoles pour ritimo.