#HandsOffOurLibraries : des universitaires s’opposent au retrait de livres « subversifs » dans les universités aux Philippines.

, par Global Voices , MANGAYA Karlo Mikhail

Les universitaires concernés lancent un site Internet dédié aux archives des publications « menacées ».

Philippines : universitaires, bibliothécaires et étudiant‧e‧s prennent position contre le retrait de livres « subversifs » dans les bibliothèques universitaires.
Source : Twitter

Les bibliothèques aux Philippines subissent des menaces de la part des forces de l’ordre anticommunistes du gouvernement Duterte, le NTF-ELCAC (National Task Force to End Local Communist Armed Conflict - forces de l’ordre chargées de la lutte contre les conflits armés des communistes locaux), qui leur retirent des livres jugés « subversifs ». Mais de telles attaques contre la liberté académique, qui rappellent les autodafés de livres perpétrés par les nazis, ont également suscité l’opposition du milieu universitaire.

Le 1er septembre 2021, des policiers et des militaires ont forcé un·e bibliothécaire à retirer des livres « radicaux » de la bibliothèque de l’Université d’État de Kalinga à Tabuk, ville située à 458 kilomètres au nord de Manille, la capitale des Philippines. Une semaine plus tard, l’Université d’État d’Isabela, située dans la province d’Isabela, au nord de l’île Luçon, a « volontairement » remis des livres « communistes » de sa bibliothèque au service de renseignements philippin (NICA - National Intelligence Coordinating Agency).

L’Université d’État d’Aklan, située à Panay, l’île centrale des Philippines, a fait de même en « remettant » les livres de sa bibliothèque soi-disant « dangereux pour la santé mentale », suite à un contrôle de la police de la province d’Aklan. De même, l’Université d’Antique a déclaré aux forces de l’ordre anticommunistes de l’île de Panay que ses bibliothèques ne possèdent « aucun livre subversif ».

Ces intrusions dans les universités se produisent alors que le gouvernement Duterte intensifie une guerre de contre-insurrection avec la rébellion communiste la plus ancienne au monde. Des étudiant·es, des professeur·es et des établissements universitaires ont été la cible de marquages rouges immoraux ou d’accusations telles que « rebelles communistes », des signes souvent avant-coureurs d’arrestations sous des motifs fallacieux, ou pire, d’exécutions extrajudiciaires.

Pétitions en ligne

Des universités, des bibliothécaires, des chercheur·ses et d’autres membres de la communauté académique se sont regroupé·es dans le cadre de différentes initiatives afin de faire reculer le gouvernement de Duertete et l’expansion de sa croisade « anti-communiste » jusque dans les espaces universitaires.

L’union académique pour la démocratie et les droits humains (ADHR - Academics Unite for Democracy and Human Rights), une alliance d’enseignant·es, de chercheur·ses, d’administrateur·rices scolaires et d’autres professionnel·les de l’éducation aux Philippines, a lancé une pétition en ligne qui a recueilli 422 signatures au moment de la publication de cet article.

Voir la traduction du twitt et de la déclaration adjointe en note de bas de page [1]

Une alliance de défenseur·ses de la paix (CAJP - Citizens’ Alliance for Just Peace) affirme que la censure des livres exercée par le gouvernement Duterte aura un impact négatif sur de futures négociations concernant d’éventuels accords de paix afin de mettre fin au conflit armé :

« Sous prétexte d’« éviter aux jeunes et aux étudiant·es d’être dupé·es et recruté·es par les communistes », le NTF-ELCAC étouffe en réalité toute pensée critique et toute étude sans opinion arrêtée à propos des racines socio-économiques des conflits armés. Alors que cette nation divisée a besoin de préparer ses générations futures à bâtir la paix plutôt qu’à faire preuve de bellicisme, les administrations scolaires sont amenées à accepter une censure pure et simple et un contrôle de la pensée. »

Karl Castro, concepteur de livres (« book designer ») et également maître de conférences à l’Université Ateneo de Manille, a fait la remarque suivante sur le site du média indépendant Rappler :

« Les idées qui changent le monde gagnent souvent du terrain grâce aux livres et aux espaces qui les abritent. Les livres qui défendent l’idée que le soleil est le centre de notre système solaire, comme ceux de Copernic et de Galilée, ou tout simplement l’idée d’une nation des Philippines, comme les romans de Rizal, ont jadis été considérés comme hérétiques et subversifs. Quel est alors l’ordre ambiant « subverti » par l’idée du respect des droits humains, ou l’idée qu’un autre ordre est possible, voire nécessaire ? »

Capture d’écran du site Internet « Aswang sa Aklatan » accessible ici

Le site Internet « Aswang sa Aklatan »

L’ADHR a également lancé le site Internet « Aswang sa Aklatan » (Aswang à la bibliothèque) le 1er novembre 2021. Un aswang est une créature redoutée du folklore philippin qui se déguise en citadine ordinaire le jour mais se nourrit de chair humaine la nuit.

La doyenne Mary Grace Golfo-Barcelona de l’École des sciences de l’information et des bibliothèques (SLIS – School of Library and Information Studies) de l’Université des Philippines à Diliman s’est exprimée lors du lancement du site internet, indiquant que le véritable aswang est celui qui s’en prend aux bibliothèques et aux échanges d’idées :

« Les aswangs dont nous devrions avoir peur ne sont pas les écrits qui font avancer la libre pensée et la connaissance mais ceux qui répriment la libre information et la liberté intellectuelle de tous ceux qui entrent dans la bibliothèque ».

Le nouveau site Internet présente des mises à jour de la campagne #HandsOffOurLibraries, des liens vers des articles de presse couvrant la frénésie militaire pour la censure des livres et une compilation des déclarations sur cette question par les acteurs de différents secteurs.

Compilation des déclarations et appel à l’action dans le site Aswang sa Aklatan

Le site Internet accueille également un système d’archivage qui fournit « une ressource gratuite et facilement accessible de livres et de documents menacés », y compris des livres élémentaires et radicaux sur les pourparlers de paix inscrits sur la liste noire de l’armée ainsi que des références sur l’ère de la dictature Marcos.

Parmi les livres qui ont été saisis par l’armée, se trouvent des livrets sur les accords de paix entre le gouvernement philippin et le parti national démocratique des Philippines (National Democratic of the Philippines), y compris, entre autres, « The Comprehensive Agreement on Respect for Human Rights and International Humanitarian Law » (CARHIHL - Accord global sur le respect des droits humains et du droit international humanitaire). Des livres de Jose Maria Sison, fondateur du Parti communiste des Philippines ont également été confisqués.

Le référentiel en ligne est surnommé « Multong Aklat », ce qui signifie en français « spectre des livres » et fait allusion à la première ligne du Manifeste du parti communiste de Karl Marx et Friedrich Engels.

Lien vers Multong Aklat : système d’archivage des livres menacés dans le site "Aswang sa Aklatan"

#HandsOffOurLibraries

Alors que la campagne #HandsOffOurLibraries (« Bas les pattes, ne touchez pas à nos bibliothèques ») continue de résonner, les attaques contre les libertés s’intensifient. Dernier épisode en date : la défense de la Commission de l’enseignement supérieur (CHED - Commission on Higher Education) pour le retrait des livres jugés « communistes-terroristes » des bibliothèques, comme s’il s’agissait d’une « activité pour la liberté académique ».

Le bureau du CHED de la région administrative de la Cordillère a récemment publié une note de service appelant toutes les universités et facultés à remettre les livres et documents dits « subversifs » aux autorités.

Pendant que le gouvernement Duterte cherche à renforcer son contrôle sur le libre échange des idées et de la pensée critique, de plus en plus de personnes répondent à l’appel pour défendre les bibliothèques et la liberté académique.

CONTEND UP #NoToRedTagging #JunkTerrorLaw
@CONTEND_UP
REGARDEZ : Des bibliothécaires, des professeur‧e‧s, des chercheur‧se‧s et des étudiant‧e‧s de l’Université des Philippines et autres universités et collèges d’État prennent position contre la censure des livres et les atteintes à la liberté académique ! #HandsOffOurLibraries !
« La bibliothèque est le cœur de l’université ».
#DefendAcademicFreedom !

Voir l’article original en anglais sur le site de Global Voices

Notes

[1Attaquer la bibliothèque c’est attaquer le cœur même d’une université. Cela constitue une atteinte à la liberté de pensée et à la liberté d’expression qui elles-mêmes garantissent la liberté académique.

Merci de signer la pétition en cliquant ici :
https://t.co/WhZ2H8zqnn?amp=1

#HandsOffOurLibraries

Défendez la liberté académique, ne touchez pas à nos bibliothèques

« La bibliothèque est le cœur de l’université ». Charles Eliot, président de l’Université de Harvard (1869-1909)

Attaquer la bibliothèque, c’est attaquer le cœur même d’une université. Cela constitue une atteinte à la liberté de pensée et à la liberté d’expression qui elles-mêmes garantissent la liberté académique.

La prise du pouvoir de l’Allemagne par les nazis a été proclamée par les autodafés notoires du 10 mai 1933. Des bibliothèques publiques et universitaires ainsi que des librairies ont été dévalisées et des dizaines de milliers de livres furent saccagés. Les écrivains de gauche et les livres considérés « subversifs » étaient en haut de la liste noire des nazis. Peu après la destruction des livres par le feu est venue l’élimination physique systématique des êtres humains.

Aux Philippines, la pratique meurtrière du marquage rouge contre les étudiants, la faculté et les professionnel‧le‧s du secteur académique a considérablement augmenté durant l’administration Duterte. Tandis que le gouvernement s’applique a suivre les promesses de sa campagne, les attaques contre la liberté académique ont récemment pris des proportions alarmantes. Les livres et les bibliothèques sont devenus des cibles.

À l’Université d’État de Kalinga (KSU) à Kabuk, un‧e bibliothécaire a été forcé‧e de retirer des livres jugés « subversifs » de leurs étagères, suite à l’irruption d’un groupe de policiers et de militaires dans la bibliothèque de KSU pour y procéder à une inspection le 1er septembre dernier. Juste une semaine après, le président de l’Université d’État d’Isabela (ISU) a imposé l’interdiction de livres « communistes » dans la bibliothèque d’ISU qu’il a remis de son plein gré aux services de renseignements des Philippines (NICA – National Intelligence Coordinating Agency). Cet événement a été suivi par l’Université d’État d’Aklan qui a rapidement « remis » tous les « manuels et les documents didactiques » de sa bibliothèque lorsque la police de la province d’Aklan (APPO – Aklan Police Provincial Office) a « pénétré » dans les locaux d’ASU afin de « réclamer » les livres considérés comme « dangereux pour la santé mentale » des étudiant‧e‧s.

Brigadier-général Danilo Benavides, commandant de la 501ème 1B et Dennis Godfrey Gammad, directeur général du service de renseignements philippin (NICA – National Intelligence Coordinating Agency) ont tous les deux félicité l’ISU d’avoir soutenu les opérations du gouvernement contre l’insurrection. Le procureur Flosemer Chris Gonzales, porte-parole des forces de l’ordre régionales chargées de la lutte contre les conflits armés des communistes locaux (Regional Task Force to End Local Communist Armed Conflict) dans la région des Visayas occidentales, a également félicité l’ASU pour avoir accepté d’obtempérer lors des opérations menées par le gouvernement afin de « protéger les étudiant‧e‧s » de toutes idéologies subversives. Entre-temps, le porte-parole d’APPO et sergent-major Jane Vega, a encouragé d’autres écoles de la province à « ne pas hésiter à rendre » des documents similaires à la police.

Les livres eux-mêmes ont été criminalisés. Des documents didactiques indésirables qualifiés « subversifs » sont « remis » aux autorités qui les placent en « détention ». De façon ironique, beaucoup de livres qui ont déjà été « remis » contiennent des documents qui ont été conjointement signés par le gouvernement des Philippines et par le front démocratique national (NDFP – National Democratic Front) lors de négociations précédentes en vue d’un accord de paix. Cependant, l’appel de la part des militaires et de la police envers les autorités universitaires pour remettre les soi-disant livres « subversifs » et « dangereux pour la santé mentale » signifie qu’ils visent à soumettre les bibliothèques à plus de procédures de nettoyage et de censure générale. Ce qui risque de causer de graves et dangereux préjudices pour la société dans son ensemble. Les forces de l’ordre chargées de la lutte contre les conflits armés (NTF-ELCAC) n’a absolument pas le droit de s’imposer et de porter atteinte à nos universités et à nos bibliothèques.

Nous demandons donc à tous‧tes les étudiant‧e‧s, les professeur‧e‧s, les bibliothécaires, les professionnel‧le‧s de l’éducation, les éditeur‧trice‧s, les écrivain‧e‧s et à celles et ceux qui attachent de l’importance à la liberté académique et au développement de l’intelligence, à faire front commun pour protéger nos bibliothèques et nos universités de l’incursion militaire et policière.

#HandsOffOurLibraries #DefundNTFELCAC

Academics Unite for Democracy and Human Rights (union académique pour la démocratie et les droits humains)
le 2 octobre 2021

Commentaires

Divulgation : L’auteur est membre de l’union des universitaires pour la démocratie et les droits humains (Academics unite for Democracy and Human Rights).

Cet article, initialement paru le 5 novembre 2021 sur le site de Global Voices (CC BY 3.0), a été traduit vers le français par Cendrine Lindman, traductrice bénévole pour ritimo.