La bataille pour le pétrole angolais

, par SHARIFE Khadija

 

Ce texte, publié originellement en anglais par Foreign Policy in Focus, a été traduit par Audrey Hiard, traductrice bénévole pour rinoceros.

 

L’Angola, qui regorge de ressources, est connu pour avoir été dans le passé le théâtre de la plus longue guerre civile africaine.

Aujourd’hui, l’espérance de vie y est d’environ 44 ans – soit à peu de choses près celle d’un Britannique au XIXe siècle. Plus de 70% de la population vit dans la misère, et le taux de mortalité infantile est l’un des plus élevé au monde. Et le dictateur à vie du pays en place depuis 30 ans, Jose Dos Santos, le leader du parti-libérateur-devenu-gouvernement-permanent (le MPLA), ne semble pas près de céder son trône.

Sous la surveillance de Dos Santos, depuis 1993, les réserves pétrolières angolaises ont été déversées dans les coffres des élites corrompues du régime, connues comme ailleurs en Afrique sous le nom de wabenzi (les gens aux « benz »), et des multinationales, par l’intermédiaire de prêts aux structures opaques gagés sur le pétrole.

Le MPLA a initialement justifié ces prêts comme un moyen de s’assurer des armes et une source de revenu pour lutter contre l’UNITA, un mouvement armé dirigé par le seigneur de la guerre Jonas Savimbi, soutenu par les États-Unis, et également en connivence avec la police secrète portugaise et l’Afrique du Sud de l’apartheid. Aujourd’hui, le parti corrompu au pouvoir est en train d’engloutir les ressources de la nation, et son avenir avec.

Malgré la guerre civile, durant laquelle les États-Unis ont cherché à déstabiliser politiquement le gouvernement, le MPLA a tout de même fourni aux États-Unis du pétrole bon marché via des multinationales comme Gulf, qui représentait 65% des revenus à l’exportation de l’Angola au cours des années Reagan. Le MPLA, entre-temps, a investi 60% de ses recettes pétrolières dans des armes, et le reste est principalement passé en gains privés. À présent, les revenus pétroliers représentent 80 à 90% des revenus à l’exportation, le pétrole étant principalement exporté vers la Chine et les États-Unis. Les capitaux liés au pétrole qui entrent et sortent de l’Angola restent enveloppés de mystère.

Officiellement, l’Angola n’est plus un champ de bataille, mais l’économie reste dépendante d’industries enclavées, le pétrole et les diamants représentant 99% des exportations. Bien que le gouvernement se soit engagé à développer les industries domestiques et les secteurs dévastés par la guerre, comme les infrastructures et l’agriculture, la mise en œuvre pratique de ces mesures souffre de l’absence de la volonté politique nécessaire. En tant que tels, les bénéfices liés aux exportations restent hors d’atteinte de la majorité de la population.

Des transactions obscures

Grâce à des comptes situés dans des juridictions secrètes, aussi appelées paradis fiscaux et centres financiers offshore, les transactions de pétrole angolais sont protégées des enquêtes extérieures – y compris de la part de filiales d’une même banque. Les détails des transactions sont aussi gardés secrets par la très opaque société Sonangol, détenue par l’État angolais, laquelle n’hésite pas à contourner au besoin les ministères concernés, la trésorerie générale et le parlement.

Depuis 2003, plus de 13,5 milliards de dollars ont été apportés grâce à des financements pré-exportations – principalement limités à de l’argent liquide pour de futures extractions pétrolières – par des banques majeures dont Standard Chartered, BNP Paribas, Commerz Bank, Deutsche Bank, Fortis et West LB, entre autres.

En théorie, les autorités de régulation des juridictions spécifiques surveillent ces institutions et sont elles-mêmes minutieusement examinées par des organismes mondiaux comme le Groupe d’Action Financière Internationale (Financial Action Task Force, FATF). Mais le FATF est un organisme seulement consultatif, situé dans un coin poussiéreux de l’Organisation pour le Développement et la Coopération Économique (OCDE), et il est contrôlé par les pays à hauts revenus, qui dépendent de l’accès aux ressources angolaises et des capitaux qui leur sont liées.

Sonangol reste le principal bénéficiaire des revenus pétroliers et des exemptions fiscales, mais elle est aussi capable de déduire des pertes fictives et des dépenses de loyers transférées à l’État. D’après le FMI, l’État a ainsi amputé son PIB de plus de 20% ces dernières années. Bien que l’Angola ait pris la place du Nigéria comme premier producteur de pétrole en Afrique depuis 2008, Sonangol continue de mener des audits secrets, ponctués très occasionnellement par des gestes en faveur de la transparence et de la responsabilité. Pendant ce temps, l’État continue d’invoquer l’existence d’une cloison étanche avec Sonangol, ce qui permet aux investisseurs commerciaux ou propriétés d’États de faire comme s’ils n’étaient pas impliqués dans des échanges avec un gouvernement qui viole les droits de l’homme et qui exploite les ressources publiques sous prétexte de développement. Sonangol s’efforce de rester discret en remboursant promptement ses dettes, même si c’est par le biais d’emprunts renégociés. La société s’est tenue le plus souvent à l’écart des interventions du FMI et de ses exigences de transparence financière. Elle a même remboursé 2,3 milliards de dollars de créances impayées en 2006 pour éviter les regards indiscrets des créditeurs extérieurs.

Cette politique a également avantagé les multinationales impliquées. Standard Chartered, par exemple, a qualifié la performance de Sonangol d’« irréprochable » et décrit des pays déchirés par la guerre comme l’Angola comme des « environnements propices à l’investissement » toujours plus attractifs.

Chine : une soif insatiable

Via son Export-Import Bank, la Chine a fourni plus de 24 milliards de dollars de prêts à l’Afrique, principalement au travers d’échanges de bons procédés en vue de l’extraction des ressources. En échange, la Chine a exporté des travailleurs qualifiés et du matériel, et investi dans des infrastructures afin de faciliter l’acheminement des ressources sur son sol. En fait, plus de 50% de l’ensemble des prêts chinois via son Export-Import Bank ont été effectués en Afrique, dans 36 pays différents. Ces prêts concernent aussi bien des méga-barrages que des lignes de chemin de fer, des ports et des sites d’extraction minière. Ceux-ci sont spécifiquement conçus pour favoriser les deux premiers maillons de la chaîne des matières premières – l’extraction et le transport – sachant que la production et la distribution sont stratégiquement confiées à Beijing, et que la consommation revient à des pays comme les États-Unis.

La Chine revendique aussi 60% des réserves mondiales en lanthanides à l’intérieur de ses frontières. Ces métaux stratégiques – l’yttrium, l’holmium, le lanthane, et le thulium – sont essentiels à un marché estimé à 100 milliards de dollars au niveau des utilisateurs finaux, notamment dans les technologies vertes. Beijing a demandé l’interdiction pure et simple de l’exportation de certains minéraux et a préconisé la mise en place de quotas pour d’autres. Ce qui permet à la Chine de conserver un accès prioritaire et de dominer certains marchés. Mais sa politique à l’égard de l’Afrique est exactement à l’inverse.
C’est en Angola et au Soudan que la Chine est la mieux implantée. Elle a étendu plus de 5 milliards de dollars de prêts gagés sur le pétrole et de lignes de crédits renouvelables à l’Angola. En 2007, par exemple, la Chine a offert un crédit de fonctionnement à Sonangol via la China Petroleum & Chemical Corporation. Depuis 2000, les échanges commerciaux entre la Chine et l’Angola ont été multipliés par 14. La volonté chinoise de non-ingérence politique – le fait de fermer les yeux sur la situation des droits de l’homme dans un pays par exemple – ne peut que sonner agréablement aux oreilles d’un régime tel que le MPLA.

Le rôle des États-Unis

Les États-Unis se sont eux aussi lancés dans la course à la dominance en Afrique. Par la bouche de leur tout nouveau Commandement Unifié pour l’Afrique, les États-Unis ont déclaré qu’ils comptaient s’approvisionner à hauteur de 25 à 30% de leurs importations en Afrique d’ici à 2015. Le Golfe Persique étant au cœur d’une région en proie à des turbulences politiques, Washington perçoit le Golfe de Guinée comme le « nouveau golfe ». L’Afrique contribue déjà à plus de 20% des importations de pétrole brut aux États-Unis, fournies par des géants de la production pétrolière comme le Nigéria et l’Angola, deux des principaux bénéficiaires de l’African Growth and Opportunity Act avec le Tchad, un autre pays pétrolier, gouverné par le dictateur à vie Idriss Deby.

Les relations militaires entre les deux pays se sont renforcées. L’année dernière, l’USS ELROD, un navire de la marine américaine, a jeté l’ancre dans le port de Lobito en Angola pour développer l’alliance navale et militaire entre les deux nations. L’une des quatre principales structures militaires américaines en Afrique, le Programme international de formation et d’entraînement militaire (International Military Education Training), a reçu des financements accrus sous l’administration Obama.

Les États-Unis font également des incursions dans l’agriculture, les réformes économiques et le système de santé angolais. Prenons l’exemple du partenariat de l’Angola avec USAID, l’Agence de développement des États-Unis, qui utilise ses fonds pour promouvoir des multinationales américaines comme Chevron et des technologies comme les OGM. Contrairement au delta du Niger, riche en pétrole, l’Angola ne dispose pas d’une résistance collective organisée pour faire face à la puissante alliance de l’État avec des multinationales. À la différence du pétrole du delta, dont la majeure partie se trouve à l’intérieur des terres, le pétrole angolais se trouve principalement au large, bien à l’abri.

Au cours de la Guerre froide, l’Angola a été la scène d’une guerre par procuration menée par les États-Unis, Cuba et l’Union Soviétique. Aujourd’hui, les superpuissances s’intéressent toujours au pays, mais elles luttent pour avoir la mainmise sur les vastes ressources pétrolières angolaises d’une autre manière. L’Angola peut-il tourner à son avantage la compétition en douceur entre les États-Unis et la Chine ? La richesse pétrolière déjà grandement hypothéquée profitera-t-elle à la population angolaise ? Ce sont des questions clés de l’après Guerre froide auxquelles on a bien du mal à répondre.