La communauté internationale est-elle prête à apporter son appui à un New Deal écologique en faveur de l’Afrique ?

, par Africa is a Country , TEICHER Jordan G.

Le New Deal écologique est sans conteste la stratégie la plus ambitieuse des États-Unis en matière de justice climatique à ce jour. La crise climatique est toutefois mondiale, et l’Afrique se trouve en première ligne.

Vanderbijl Park, Afrique du Sud. La raffinerie du géant de l’acier ISKOR, entourée des fermes dans la zone industrielle. @John Hogg/Banque Mondiale (CC BY-NC-ND 2.0)

Lorsque la députée états-unienne Alexandria Ocasio-Cortez a présenté à la presse sa désormais célèbre résolution sur le New Deal écologique, elle a fait remarquer que les changements climatiques constituent « l’une des plus grandes menaces existentielles qui pèsent sur notre mode de vie, non seulement pour ce qui est de notre nation, mais pour le monde entier ». Pour y faire face, selon elle, « il nous faut être aussi ambitieux et novateurs que possible ».

Il ne fait aucun doute que le New Deal écologique est la stratégie la plus ambitieuse que les États-Unis aient jamais adoptée en matière de justice climatique. Cependant, comme le rappelle Mme Ocasio-Cortez, la crise est d’ampleur mondiale. Pour y faire face avec équité, il est donc nécessaire que les efforts déployés aient une portée internationale, et ce en tenant compte des défis tous particuliers auxquels sont confrontés les pays en développement - en particulier ceux d’Afrique, le continent considéré comme le plus menacé par le réchauffement de la planète - dans le cadre de la réduction des émissions de gaz à effet de serre et de l’adaptation aux changements climatiques. La résolution de 14 pages de la jeune élue états-unienne sur le New Deal écologique ne contient toutefois qu’une seule phrase concernant les obligations des États-Unis envers le reste du monde. Par ailleurs, les autres propositions de pactes écologiques qui ont récemment vu le jour dans certains pays européens comme l’Espagne se limitent également pour l’essentiel à leurs propres frontières.

Puisqu’un New Deal écologique, par définition, est principalement axé sur la justice climatique, les plans nationaux de décarbonisation qu’il prévoit sont censés être moins préjudiciables aux autres pays. Pourtant, les pays africains ont de bonnes raisons de se méfier des programmes climatiques occidentaux, lesquels peuvent parfois s’avérer manquer de discernement. Dans un article paru dans The Conversation en février dernier, Olúfẹ́mi O. Táíwò, professeur de philosophie nigérian de l’Université de Georgetown, a fait part de sa crainte que de tels plans n’exacerbent le « colonialisme climatique » en tirant profit des ressources des pays les plus démunis. À titre d’exemple, en Ouganda, au Mozambique et en Tanzanie, des milliers de personnes ont été expulsées de force suite au rachat de leurs terres par une société norvégienne qui y mène des projets de compensation des émissions de carbone dans le secteur forestier. La République démocratique du Congo, quant à elle, a du mal à résister l’envolée de la demande de cobalt, un élément clé dans la production de véhicules électriques et de batteries à énergie renouvelable. Le pays possède la moitié des réserves mondiales de ce métal, et environ 20 % d’entre elles sont exploitées par des enfants dans des mines dangereuses et non réglementées que le gouvernement s’est révélé incapable de fermer.

La plupart des plans climatiques mondiaux précédents n’ont pas tenu compte des besoins des populations vulnérables de la planète, notamment dans le cadre du financement de la lutte contre les changements climatiques. Lors de la COP24, la session de 2018 de la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques, le président du Groupe des pays les moins avancés - un organe représentant 48 pays particulièrement exposés aux changements climatiques, alors qu’ils en sont les moins responsables - a fait remarquer aux dirigeants des pays développés que le simple fait de renforcer leurs propres plans climatiques nationaux ne suffirait pas à résoudre la crise mondiale. Gebru Jember Endalew, pour l’Éthiopie, a déclaré au nom des pays en développement que « des milliers de milliards de dollars seraient nécessaires pour couvrir les coûts de l’adaptation aux impacts des changements climatiques, pour faire face aux pertes et aux dégâts subis, et pour adopter des modes de développement permettant de réduire les émissions ».

Le Fonds vert pour le climat, qui a été créé lors de la COP16 en 2010, a pour vocation de gérer ce type d’investissements, mais il se trouve qu’il est sérieusement négligé. Initialement, les pays développés avaient convenu de verser 100 milliards de dollars par an au Fonds d’ici à 2020. Toutefois, à ce jour, seulement 10,3 milliards de dollars ont été annoncés et seulement 3,5 milliards de dollars ont été effectivement versés. Les pays africains, pendant ce temps, « croulent sous la paperasse » et doivent se démener pour bénéficier des modestes fonds qui leur sont alloués.

De récentes propositions pour un New Deal écologique à l’échelle mondiale visent à faire du financement de la lutte contre les changements climatiques un puissant levier en matière de justice climatique. Yanis Varoufakis et David Adler, du Mouvement pour la démocratie en Europe, ont proposé un New Deal écologique international qui permettrait de lever 8 000 milliards de dollars par an en faveur de l’investissement dans les énergies renouvelables et de la protection du climat, « en fonction des besoins des pays, et non pas de leurs moyens ». Le People’s Policy Project, un groupe de réflexion socialiste, propose pour sa part un « New Deal écologique mondial » dans le cadre duquel les États-Unis sont appelés à verser 680 milliards de dollars par an au Fonds vert pour le climat, et les pays de l’OCDE à contribuer équitablement. De telles propositions ne sont pas seulement sensées sur le plan moral, elles sont également justifiées sur le plan scientifique. Les émissions de gaz à effet de serre augmentent de façon vertigineuse dans les pays en développement. Afin d’éviter une catastrophe planétaire, les pays développés doivent fournir aux pays en développement l’appui technique et financier dont ils ont besoin pour passer à des économies à faible émission de carbone.

Les Africains réclament-ils à tout prix une telle transition ? Pas vraiment. Le groupe financier Bloomberg a récemment procédé à l’étude de différents sondages réalisés à travers le monde : il en ressort que les personnes interrogées dans trois pays africains - le Kenya, le Nigeria et l’Afrique du Sud – estiment que les préoccupations quotidiennes liées à l’emploi et à la sécurité l’emportent largement sur les questions climatiques. Dans un article pour le South African Mail & Guardian, par exemple, Co-Pierre Georg, de l’Université du Cap, a fait valoir que l’Afrique du Sud devait d’abord se soucier de son éducation, créer des emplois et renforcer le secteur agricole avant de s’occuper de l’état de la planète. Malheureusement, ce dont ces arguments ne tiennent pas compte, c’est que la frontière entre le développement économique et l’adaptation aux changements climatiques en Afrique est ténue et qu’elle ne fera que s’estomper encore à mesure que la température de la planète augmentera.

Malgré son rejet sans appel au Sénat en mars dernier, le New Deal écologique états-unien reste cher à Alexandria Ocasio-Cortez. Les propositions internationales, elles aussi sont axées sur la justice climatique, sont encore plus éloignées des réalités politiques. Les dirigeants africains sensibles à la crise climatique pourraient trouver la situation bien peu encourageante. Il y a aussi cependant tout lieu d’être optimiste, puisqu’il est apparemment encore temps de pousser la communauté internationale vers un plan climatique véritablement « ambitieux et novateur » - un plan non seulement adapté aux pays occidentaux, mais aussi au reste du monde.

Lire l’article original en anglais sur le site de Africa is a Country