Tous les couloirs des hautes sphères du pays bruissent de conversations au sujet de la quantité de nourriture qu’il faut donner aux pauvres du pays en application de leur droit. Doit-on donner 25 kg ou 35 kg de blé par personne et par mois à un prix fortement subventionné ?
Puis ils se demandent à qui l’on doit accorder ce droit à l’alimentation : à tous les pauvres, aux très pauvres ou aux pauvres qui ne sont pas si pauvres ? Ces tergiversations sur le seuil de pauvreté font l’impasse sur deux points cruciaux. Premièrement, le Gouvernement est dans l’incapacité de dresser la liste de ses pauvres en termes de pauvreté. Deuxièmement, il n’existe pas de seuil fixe ni absolu permettant de départager les pauvres de ceux qui ne le sont pas. L’économie de subsistance des pauvres est telle qu’ils courent toujours le risque de tomber dans une plus grande pauvreté. Une mauvaise mousson, une mauvaise récolte, une maladie dans la famille peuvent faire la différence entre se situer au-dessus et au-dessous du seuil de pauvreté.
Alors que les économistes et politiques sont occupés à chicaner sur ces détails, une grande quantité de nourriture est en train de pourrir dans le pays. Près de 18 millions de tonnes de céréales alimentaires sont stockées à l’air libre ou bien conservées sans protection adéquate simplement parce que le Gouvernement ne dispose pas de lieux de stockage. Pire, un grand nombre de personnes se couchent la faim au ventre car les aliments, qui sont dans les mains du Gouvernement, ne parviennent pas à leur foyer. Chacun admet que le système de distribution alimentaire public ne fonctionne pas. Il est profondément défectueux
Mais le débat politique ne porte pas sur la manière de faire marcher ce système. On croit qu’il fonctionnera grâce aux améliorations proposées à travers des technologies modernes : le GPS pour pister les camions qui délivrent les aliments ou des cartes biométriques électroniques pour suivre la distribution aux pauvres. Je n’ai rien contre les solutions chics, mais elles sont hors de propos. Les technologies fonctionnent dans les mains des gens. Le système de distribution est hors d’usage car nous avons négligé de réparer notre système administratif qui est censé faire marcher tous les programmes publics. Le défi consiste à assurer la responsabilité des opérations de distribution du bas au haut de l’échelle, à répondre aux demandes du personnel et à s’assurer que ce qui doit être fait l’est effectivement. C’est une méthode de gouvernance jugée démodée et que personne ne veut plus suivre. La technologie ne peut être une balle en argent s’il n’y a pas de révolver qui fonctionne pour la tirer.
C’est ce que mes collègues ont appris en enquêtant sur le fonctionnement du système de distribution public au Chhattisgarh et au Tamil Nadu. Là, on a fait fonctionner le système envers et contre tous les dysfonctionnements qui assaillent les autres États. Pourquoi et comment ? Les États ont introduit de nombreuses réformes : mise à jour et informatisation de la liste des cartes de rationnement afin d’informatiser également l’approvisionnement en céréales et leur transport vers les magasins à bas prix. Mais plus important encore, ils ont investi dans des systèmes qui rend les employés responsables de la distribution et rend la population consciente de ses droits. Le point essentiel est qu’il existe, au plus haut niveau, une volonté politique de faire fonctionner le système. Et il y a une obsession à chaque niveau de s’assurer qu’il fonctionne.
Réparer ce qui est cassé ; ne pas simplement se précipiter sur une nouveauté. Nous oublions cette règle simple quand nous élaborons de nouveaux plans, de nouveaux programmes ou bien mettons sur pied de nouvelles agences pour contourner le problème de base. Prenez l’exemple du contrôle de la pollution. Nous savons que les institutions qui sont en charge de la pollution, les agences de contrôle de la pollution (pollution control boards) ont désespérément besoin de plus de personnel, de meilleures technologies et de plus de moyens, ainsi que d’une réforme administrative et du personnel. Mais régler le problème de la gouvernance administrative prend trop de temps et n’apporte aucun crédit aux promoteurs de réformes politiques. Donc, au lieu de réparer ce qui est cassé, on parle maintenant de construire une nouvelle institution, l’Agence nationale de Protection de l’Environnement. L’autre option est de simplement contourner le besoin de régulation en suggérant des solutions technologiques aux polluants. On croit communément que le système est tellement mal en point qu’il ne peut pas être réparé. Mais une nouvelle institution nécessitera aussi les mêmes réformes et les mêmes financements et moyens qui feraient fonctionner l’ancienne. Des technologies sophistiquées pour un auto-contrôle demanderont même des régulateurs encore plus sophistiqués et bien informés pour leur gestion.
L’autre réforme de rêve est d’inventer de nouvelles institutions, appelées Autorités, pour balayer la pagaille sous un tapis mythique. Mais on ne fait aucun effort pour vérifier que la nouvelle créature permettra une bonne gestion ou la responsabilisation. Et après, on regrette qu’elles ne fonctionnent pas. Prenons l’exemple de l’Autorité sur la Sécurité et les Normes Alimentaires. Elle a été mise en place par une mesure législative pour fixer le système de régulation des aliments dans le pays. Mais elle n’a pas de direction. Personne ne peut être rendu responsable car elle fait des rapports fictifs au Parlement où aucune structure claire de gestion n’a été créée. Elle a peu de compétences techniques. Les agences existantes impliquées dans l’industrie des normes alimentaires, comme le Bureau des Normes Indiennes, ont été mises à l’écart de cette nouvelle autorité. Mais elle possède un bel immeuble rutilant et de nouveaux amis puissants dans l’industrie alimentaire.
Un nouveau programme, des promesses financières (récupérées d’anciens programmes), une nouvelle autorité, un nouvel immeuble, tout cela ajoute à la grande illusion que le problème a été résolu. Et que le Gouvernement est occupé à travailler. Espérons simplement que des personnes de plus en plus nombreuses s’aperçoivent de la supercherie. Car il faut arrêter de faire semblant de gouverner.
Source : Down To Eart, 31 Octobre 2010