Aurat, Azadi : le féminisme et son futur au Pakistan

, par Jamhoor

Un entretien [du média Jamhoor] avec Ismat Shahjahan sur les dynamiques et les contestations du féminisme en plein essor au Pakistan, résumé ici en français par ritimo.

Ismat Shahjahan est la Présidente fédérale fondatrice du Women’s Democratic Front (Front Démocratique des Femmes), un collectif socialiste et féministe basé au Pakistan. Parmi les activités du WDF, on retrouve pêle-mêle : rassembler les luttes progressistes des femmes des quatre coins du Pakistan par le biais de la solidarité et sur la base des axes de genre, de classe et de libération nationale ; organiser la résistance politique collective, entre autres par l’éducation politique et l’art ; la solidarité avec la gauche fraternelle de façon plus large ; et des campagnes de soutien aux victimes de désastres, de pandémies et de guerre. WDF est également membre fondateur et organisateur principal de la Aurat Azadi March [AAM – Marche pour l’Émancipation des Femmes] et co-organisateur de la Aurat March [AM – Marche des Femmes].

Une jeune femme brandit une pancarte lors de la Aurat March en 2019.

Cela fait quarante ans qu’Ismat s’est engagée dans la gauche politique et les mouvements progressistes de résistance. Elle vient d’une famille Khudai Khidmatgar, du district de Karak dans la province de Khyber Pakhtunkhwa, et a commencé sa trajectoire politique en 1983 avec la Fédération des Etudiants Pakhtun. Cet entretien discute des dynamiques et de l’essor du mouvement féministe au Pakistan, la titrisation de la politique féministe, et la possibilité d’alliance et d’une unité féministe.

Partant de la série de questions qui lui sont posées, Ismat aborde la grande diversité d’actions et de mobilisations à laquelle ont pris part les féministes pakistanaises, avec une ampleur particulière en 2018-2019 en ouvrant la voie pour de nouvelles luttes anti-militariste et anti-impérialiste ; la dure répression à laquelle ont été confrontées les actions féministes (des campagnes de désinformation et de diffamation médiatique, des violences au cours des rassemblements pacifiques, des centaines de disparitions forcées, et des poursuites judiciaires abusives) ; l’évolution des plateformes de lutte des féministes, et ses liens avec la gauche plus large.

Elle évoque également le backlash (retour de bâton) de la droite religieuse soutenue par l’État, les attaques de l’extrême-droite à coup de jets de pierres, accusant les féministes d’être des agentes blasphématoires à la solde des intérêts occidentaux, et la mise en cause de la sécurité et de l’intégrité physique des militantes. En effet, ces groupes ultraconservateurs sont très puissants, et ont réussi par exemple à faire annuler la Conférence des Femmes pour la Paix en 2021. Des mois de solidarité de toute la gauche, de pression internationale et de soutien féministe ont permis de gagner les procès pour blasphème. Cette répression a eu pour effet de diviser le mouvement féministe, avec d’un côté les féministes libérales et de l’autre les socialistes (faction à laquelle appartient le WDF), et d’affaiblir les actions organisées, avec le départ de certaines co-organisatrices.

Malgré tout, les efforts en direction d’une unité féministe persistent autour d’une plateforme féministe minimale, qui va dans le sens d’une sécularité démocratique, sans renier les divergences sur d’autres débats – notamment sur les conflits des classes et la nécessité de confronter les guerres impérialistes. Selon Ismat, les manifestations de femmes ont réussi à mettre la question du genre à l’ordre du jour dans le discours politique hégémonique. Cependant, celle-ci a été instrumentalisée par les puissances occidentales, argumentant que la contradiction principale du féminisme est la religion – un discours qui a justifié les interventions militaires occidentales dans la région, ce que conteste le WDF. Pour Ismat, c’est l’État qui est le principal soutien du patriarcat, pas l’extrémisme religieux en soi, qui est une ressource politique pour l’État : « la classe dominante tire profit des fascismes religieux et non-religieux car au bout du compte, ils servent à maintenir l’exploitation de genre et de classe ». Ainsi, le féminisme au Pakistan doit évoluer en évitant l’écueil de se voir confisquer sa capacité critique en se laissant instrumentaliser par le discours capitaliste du « féminisme corporate », d’une part ; et d’autre part, d’être écarté de la politique par son opposition à la religion. L’enjeu est donc d’ouvrir la voie à un féminisme populaire qui puisse mobiliser contre toutes les formes d’oppression. « Les organisations de résistance féministe doivent avoir une conversation sincère entre elles au lieu de se restreindre à des manifestations annuelles de femmes et aux réactions face aux attaques de la droite religieuse ».

Voir l’entretien complet en anglais sur le site de Jamhoor