Lutte contre l’effondrement climatique : le « printemps révolutionnaire » doit mettre la voix des peuples autochtones au cœur des débats

, par New Mandala , JENKINS HILL Jack, WAH Naw Esther

Dans la région autochtone du delta de l’Irrawaddy, un bateau densément peuplé descend le fleuve.

Lors de la COP 26, des représentant·es des communautés autochtones du monde entier se sont rendu·es à Glasgow pour faire entendre leur voix et tenter d’influencer les décisions qui façonneront l’avenir de notre planète. Bien qu’ils et elles aient clairement appelé à un avenir sans combustibles fossiles, respectueux des droits fonciers et forestiers des communautés locales et dans lequel les ressources naturelles seraient essentiellement exploitées pour répondre aux besoins plutôt que pour accroître sans cesse les profits, leurs revendications n’ont pas été entendues. Au lieu de cela, plus de 500 lobbyistes des combustibles fossiles ont rejoint la conférence, plaidant pour un monde dans lequel l’extraction des combustibles fossiles de la terre et le rejet des émissions de gaz dans l’atmosphère ne seraient pas révolus.

La COP 26 de Glasgow a clairement démontré que les autorités nationales, souvent sollicitées par les magnats des combustibles fossiles, n’ont pas trouvé de solution pour lutter contre l’accélération des mécanismes de destruction de notre planète. La COP 26, presque unanimement qualifiée d’échec, a omis de traiter les causes premières de l’extinction des espèces vivantes. Plutôt que de mettre un frein à la cupidité des grandes puissances industrielles et des entreprises polluantes, les dirigeant·es de la COP se sont contenté·es de proposer de compenser les émissions exorbitantes avec les terres et les forêts restantes des pays du Sud – un véritable régime colonial vert. Les grandes nations polluantes du monde ne parviennent pas à atteindre les objectifs définis lors des conférences précédentes sur le climat, même s’ils sont loin d’être suffisants pour empêcher l’augmentation rapide des températures.

Dans toute la Birmanie, les communautés et les administrations des peuples autochtones gèrent depuis longtemps de vastes étendues de forêt et de biodiversité. Certaines de ces zones constituent les plus grandes forêts intactes d’Asie du Sud-Est, protégées grâce aux efforts et aux systèmes de connaissances des communautés locales et autochtones. Un mouvement de résistance civile (printemps révolutionnaire) s’est organisé en Birmanie en opposition au coup d’État militaire du 1er février. En plus du retrait des forces militaires et de la création d’une nation démocratique et fédérale, les manifestant·es réclament une révolution verte afin de restituer les terres et les forêts aux populations locales, de mettre fin au vol et au pillage des ressources naturelles et de subvenir aux besoins d’un grand nombre d’individus plutôt que d’enrichir quelques-uns.

Vulnérabilité de la Birmanie face à l’effondrement climatique

La Birmanie est très exposée aux risques d’effondrement climatique. Classée comme le troisième pays le plus vulnérable au changement climatique sur la planète, la Birmanie a été touchée par 43 phénomènes météorologiques extrêmes au cours des 30 dernières années. En plus du régime militaire autoritaire en place, ces évènements ont été catastrophiques : en 2008 seulement, plus de 138 000 personnes ont été tuées par le cyclone Nargis. Un grand nombre de réfugié·es climatiques a dû se déplacer à l’intérieur du pays. Alors que les habitant·es des régions arides subissent de longues sécheresses, les inondations côtières dans la région du delta favorisent une salinisation des sols, ce qui en réduit leur fertilité. Irrévocablement, dans l’hypothèse d’une hausse du niveau de la mer au cours des prochaines décennies, de vastes étendues d’Yangon et des régions côtières seront submergées, les terres et les propriétés seront détruites et des centaines de milliers de personnes seront forcées à se déplacer.

Malgré cette forte exposition au changement climatique, la réponse de la Birmanie a également son incapacité. Au cours des dix dernières années, les politiques de libéralisation ont provoqué une expansion rapide de l’agro-industrie, de l’exploitation forestière, de l’industrie minière, des zones industrielles de développement, et d’autres. Des lois foncières discriminatoires telles que la loi VFV(Vacant Follow and Virgin - terre en friche) ont criminalisé les petit·es agriculteur·rices et les peuples autochtones sur leurs propres terres, tout en ouvrant leur territoire à des projets d’extraction à grande échelle, responsables du pillage des forêts et de la destruction de la biodiversité. En outre, de nouvelles réformes juridiques, notamment la loi forestière de 2018 et la loi sur l’investissement de 2016, ont montré que le gouvernement de la Birmanie était plus intéressé par les profits que par les personnes.

Emissions de CO2 par habitant·e : les émissions de dioxide de carbon (CO2) proviennent de la combustion d’énergies fossibles pour l’énergie et la production de ciment. Les changements dans l’usage des terres ne sont pas pris en compte.

Au cours de cette période, des dizaines de milliers de personnes ont perdu leurs terres, distribuées à des entreprises privées. La déforestation a augmenté : entre 2010 et 2020, 7,3 % de la superficie forestière a diminué avec le développement de projets d’exploitation forestière, d’agro-industrie et d’infrastructures. Les émissions de CO2 ont également augmenté de plus de 300 % avec l’extraction de combustibles fossiles et le développement de zones industrielles. Bien que les émissions de CO2 par habitant·e soient largement inférieures à celles des pays de la même zone géographique, la Birmanie s’est engagée sur la même voie de développement non durable qui a causé la destruction de l’environnement de cette zone.

Taux de déforestation

Les Contributions déterminées au niveau national (CDN) de la Birmanie, ces plans nationaux non contraignants soumis à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) dans l’Accord de Paris, représentent un ensemble de politiques visant à faire face à la crise climatique et impliquent l’expansion du Domaine forestier permanent (DFP) de 40 % de la couverture terrestre ainsi que l’expansion de l’hydroélectricité en tant que source d’énergie primaire. Le Domaine forestier permanent désigne principalement les zones d’exploitation forestière et d’expansion des plantations plutôt que les zones de conservation, et dans certains cas, les grands barrages qui produisent plus de méthane que les centrales électriques alimentées au charbon. Loin de soutenir la lutte contre le changement climatique, ces politiques contribuent à leur perpétuation, en entraînant davantage de dépossession et de déforestation.

Des décennies de contrôle militaire et de régime quasi civil ont contribué à causer la dégradation de l’environnement. Des mécanismes internationaux tels que le REDD+ (Reducing emissions from deforestation and forest degradation – la réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts) et d’autres crédits carbone sont au centre des débats sur le climat, mais ne cherchent qu’à élargir les enclos forestiers et à transformer les forêts, afin de profiter de la compensation carbone et de vendre aux nations et aux entreprises polluantes des pays développés du Nord. Les efforts visant à faire progresser la foresterie communautaire cherchent également à convertir les territoires autochtones en baux de 30 ans qui engagent les petites entreprises à trouver des solutions et à profiter de bénéfices locaux, modifiant ainsi la manière dont les communautés interagissent avec leurs forêts. Plutôt que de soutenir la protection des forêts et des systèmes écologiques, ces mécanismes incitent seulement à tirer davantage profit des ressources des peuples autochtones, et à considérer les forêts comme une source de revenus importante. Tant que les politiques éviteront de faire changer radicalement notre rapport à la nature, à la terre et aux populations qui en sont tributaires, elles échoueront.

Les peuples autochtones détiennent les solutions pour faire face à la crise climatique

Comme c’est le cas partout dans le monde, une grande partie des forêts et de la biodiversité de la Birmanie se trouve sur les territoires des peuples autochtones. Au cours des dernières décennies, ils ont fait entendre leur voix en faveur du changement, appelant à la restitution des territoires, au respect de l’environnement et à la reconnaissance de l’autodétermination. Malgré ces luttes incessantes, ils n’ont cessé d’être la cible d’offensives militaires, d’être marginalisés sur le plan politique et économique et de subir le vol de leurs terres et de leurs ressources.

Même si leurs droits ne sont pas respectés et leur voix n’est pas entendue, les peuples autochtones sont à l’avant-garde de la lutte contre le changement climatique. Les communautés locales en Birmanie ont protégé de vastes étendues de forêt grâce à leurs connaissances et à leurs pratiques, en mettant en place des institutions locales, des règles et des réglementations pour l’exploitation des ressources et en veillant à ce que l’environnement soit respecté et préservé pour les générations futures. Le Parc de la paix de Salween (Salween Peace Park - SPP) dans le nord de l’État de Karen, les forêts de la région de Tanintharyi, les collines de Naga et les montagnes de l’État de Shan ont démontré l’efficacité des systèmes de connaissances et des efforts des peuples autochtones pour sauvegarder les forêts et la biodiversité environnantes.

En plus de préserver les terres et les forêts conformément à leurs moyens de subsistance et à leurs pratiques communautaires, les peuples autochtones et la population locale en Birmanie ont également été des précurseurs de la lutte contre les grandes industries, responsables de l’extraction des combustibles fossiles, de la déforestation et de la pollution. Les communautés tributaires des terres et des forêts en Birmanie ont réussi à gagner des batailles contre des projets destructeurs sur leur territoire, notamment ceux de mines de charbon, de plantations de palmiers à huile, de zones industrielles et de barrages. Les peuples autochtones sont les meilleurs protecteurs de la forêt et sont en première ligne dans la lutte contre le changement climatique.

Grâce à leur sagesse et à leur savoir, les peuples autochtones détiennent de nombreuses réponses pour faire face à l’effondrement climatique actuel. Dans la communauté Karen au sud de la Birmanie, par exemple, les règles locales, les tabous et les systèmes de valeurs montrent que les ressources naturelles ne peuvent pas être utilisées à des fins privées, mais plutôt pour la subsistance de la population. Les peuples autochtones croient également que la santé des humain·es est étroitement liée et interconnectée à celle de l’environnement et par conséquent, la destruction des forêts pourrait favoriser l’émergence de maladies. Les peuples autochtones ne voient pas la terre pour ses ressources, mais la considèrent plutôt comme le prolongement de la personne humaine moyennant les forêts comme fournisseurs principaux de médicaments, de nourriture et de relations socioculturelles – et qu’il faut protéger. Il est donc nécessaire d’accorder une place majeure aux peuples autochtones, car ils ont prouvé être capables de protéger et de maintenir la biodiversité tout en respectant la santé du peuple.

Le printemps révolutionnaire peut-il inverser le cours du changement climatique ?

Au cours des 10 dernières années, durant la soi-disant transition démocratique de Birmanie, les communautés tributaires des forêts et les organisations de la société civile ont créé de nouveaux espaces pour la justice climatique. Les communautés ont renforcé le contrôle de leurs territoires, créé de nouvelles institutions de gestion durable des ressources et se sont battues contre les grands projets de développement qui menacent l’environnement. Leur lutte acharnée n’a cependant que peu été récompensée. Les droits territoriaux des autochtones se sont érodés avec les politiques d’aménagement du territoire, les politiques forestières ont privilégié les profits plutôt que la conservation des forêts, et l’exploitation des ressources minérales n’a pas cessé d’augmenter. Le printemps révolutionnaire offre de nouvelles opportunités pour agir pour la justice climatique.

Le mouvement de contestation actuel présente une occasion unique d’échapper au cycle sans fin de l’oppression militaire, du capitalisme corporatif et de la défaillance des mécanismes de régulation internationale. La voix des peuples autochtones et des communautés tributaires des forêts doit être au centre d’un nouveau modèle de démocratie fédérale. Il est primordial de rendre le contrôle local des terres et des forêts aux communautés qui en ont pris soin pendant des générations, de reconnaître le rôle des administrations ethniques dans la gestion des ressources et d’arrêter de privilégier les grandes industries polluantes face à la vie des communautés autochtones.

L’échec des approches rentables fondées sur les lois du marché en vue d’atténuer le changement climatique a largement démontré que les peuples autochtones détiennent bon nombre de réponses. Il est indispensable de tirer des leçons de l’engagement de la Birmanie vers une nouvelle transition.

Voir l’article original en anglais sur le site de New Mandala

Commentaires

Naw Esther Wah est une militante Karen de la région de Tanintharyi, au sud de la Birmanie. Elle a beaucoup travaillé avec les communautés autochtones et les organisations de la société civile dans la région de Tanintharyi ainsi qu’à travers le pays, pour soutenir protection, défense et reconnaissance des terres, des forêts et de la biodiversité communautaires.

Jack Jenkins Hill prépare un doctorat à l’University College de Londres (UCL). Il a vécu et travaillé en Birmanie pendant plus de sept ans, où il a accompagné les organisations de la société civile et les communautés tributaires des forêts dans la région de Tanintharyi entre autres, dans leurs batailles autour des questions relatives à la propriété foncière ainsi qu’au secteur forestier.

Cet article, initialement paru en anglais sur le site de New Mandala (CC BY-ND 4.0), a été traduit vers le français par Cendrine Lindman, traductrice bénévole pour ritimo.