Loi climat : le gouvernement veut repeindre en vert l’industrie minière

, par Basta ! , ARCHIMEDE Samy

Avec sa « loi climat », le gouvernement entend aussi réformer le code minier, qui date de Napoléon 1er. La promesse affichée – soumettre une industrie très polluante aux exigences écologiques – risque, une fois de plus, de ne pas être tenue...

Site d’extraction minière. Crédit : Ralf Peter Reimann (CC BY-SA 2.0)

Dix-sept ans après la fermeture de la dernière mine de charbon en France, va-t-on rouvrir des mines d’or, d’étain, de tungstène ou de lithium pour pouvoir fabriquer nos smartphones, construire nos éoliennes et rouler en voiture électrique ? Chaque année, des entreprises déposent des demandes de permis de recherche dans le Limousin, en Bretagne ou en Occitanie. Pour le gouvernement, certaines matières premières cachées sous nos pieds pourraient même devenir le fer de lance d’une reconquête industrielle. Et permettre à notre pays de réduire ses importations de métaux.

Cette ambition implique toutefois de rendre « acceptable » le retour dans notre paysage d’une industrie qui a laissé derrière elle de bien mauvais souvenirs. C’est tout l’enjeu de la réforme du code minier actuellement en débat à l’Assemblée nationale, dans le cadre du projet de loi « Climat et résilience », censé traduire dans la législation les propositions de la Convention citoyenne pour le climat, mais dont la plupart des mesures ont été très affaiblies, voire abandonnées [1]. Ce code minier, issu d’une loi datant de Napoléon 1er, fixe les conditions d’octroi et de prolongation des permis d’exploration et d’exploitation des mines (métaux), carrières (sable, pierres, gypse) et hydrocarbures. Il détermine la responsabilité des acteurs face aux conséquences environnementales de cette activité.

Le code actuel néglige les enjeux écologiques et démocratiques

Réformer ce texte poussiéreux est devenu impératif car il néglige les enjeux écologiques et démocratique devenus incontournables. « Ça fait dix ans qu’il est urgent de réformer le code minier. On n’a jamais vu une urgence mettre autant de temps à aboutir », ironise Olivier Gourbinot, coordinateur de France nature environnement (FNE) dans le Languedoc-Roussillon. « Même la pire des réformes sera une avancée », lâche le juriste, car « aujourd’hui, on continue de délivrer des permis de recherche et d’exploitation sans aucune considération environnementale et sans participation du public ou presque ».

Le projet de loi « Climat et résilience » présenté par le gouvernement consacre deux articles à cette réforme du code minier. Le premier (l’article 20) traite de « l’après-mine » : il s’agit d’obliger la société mère d’une entreprise défaillante à réparer les dommages environnementaux causés par son activité passée. Un point crucial, car les entreprises ont bénéficié jusqu’à présent d’une large impunité en la matière. L’ancienne mine d’or de Salsigne, dans l’Aude, fermée en 2004, en est devenu un symbole. Jadis première mine d’or d’Europe, elle a produit des montagnes de déchets toxiques (arsenic, cyanure, métaux lourds) qui continuent de contaminer la vallée de l’Orbiel [2]. Un rapport réalisé à l’initiative de la sénatrice socialiste du département Gisèle Jourda met en cause « l’impuissance de l’État à faire assumer pleinement par les anciens exploitants leurs responsabilités en matière de mise en sécurité et de dépollution » [3].

Réformer par ordonnance : un choix qui ne passe pas

Le nouveau code minier pourra-t-il empêcher ce type d’incurie ? Difficile à dire, car la grande majorité des dispositions de la réforme du code minier sera traitée par ordonnance (article 21). Le texte ne sera donc pas débattu au Parlement, ce qui provoque l’indignation des députés de l’opposition, à droite comme à gauche. Pas de débat en particulier sur la question essentielle des « garanties financières » censées contraindre les exploitants à réparer les dégâts causés par leur activité. Contactée par Basta !, la sénatrice Gisèle Jourda ne décolère pas : « Le financement de la dépollution, où est-il ? Le gouvernement a-t-il repris l’une des cinquante recommandations de notre rapport [sur les pollutions des sols dues aux activités industrielles et minières] ? Non. Ce rapport a pourtant été voté à l’unanimité des sénateurs », fulmine-t-elle.

La France compte des milliers d’anciens sites miniers. « Certains sites gallo-romains sont encore impactants aujourd’hui alors qu’ils n’ont pas été touchés depuis 2000 ans », relève Gaël Bellenfant, chargé de coordonner l’après-mine au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) rattaché aux ministères de la Recherche, de l’Écologie et de l’Économie. « À Salsigne, la surveillance quotidienne du site coûte environ 300 000 euros par an : il faut faire des analyses de sol et d’eau, s’occuper de la maintenance de la station de traitement des eaux », explique Gaël Bellenfant. À cela, il faut ajouter des travaux ponctuels d’entretien, suite aux intempéries, débordements de cours d’eau ou effondrements de terrain qui peuvent coûter très cher. Aujourd’hui, les entreprises font des efforts pour réduire l’impact sur l’environnement, tempère le géologue, mais les techniques restent très invasives : « Notre problématique principale, c’est la gestion des résidus miniers, qui sont de plus en plus volumineux, car plus le temps passe, plus la teneur en minerai des gisements faiblit. »

Une industrie minière devenue responsable ?

Pour justifier la relance de l’activité minière, le gouvernement vante les progrès d’une industrie engagée dans un « modèle extractif responsable et exemplaire. » Un concept lancé en 2015, par Emmanuel Macron en personne lorsqu’il était ministre de l’Économie. Mais qu’est-ce qu’une filière minière responsable ? Interrogé par Basta !, le ministère de l’Écologie n’a pas souhaité nous répondre. Pas plus que l’Alliance des minerais, minéraux et métaux, qui représente les entreprises de la filière.

« Ça fait une douzaine d’années que je travaille sur cette industrie dans un grand nombre de pays et je n’ai jamais vu de mine responsable, que ce soit au niveau social ou environnemental », assène Juliette Renaud, en charge de la campagne « régulation des multinationales » aux Amis de la Terre. « Les projets miniers sont de plus en plus gigantesques et les techniques de plus en plus destructrices pour l’environnement, avec des besoins énergétiques énormes, poursuit-elle. La bonne question à se poser c’est : "faut-il extraire"  ? » Pour la responsable associative, il faut absolument mettre en place une politique nationale des ressources du sous-sol. Or, selon elle, les ordonnances du projet de loi climat ne comportent « aucun élément sur le contenu d’une telle politique ».

Extraire du lithium pour lutter contre le réchauffement climatique…

Malgré les risques inhérents à cette industrie, l’Europe tout entière est entrée dans la course aux minerais, au nom de la lutte contre le réchauffement climatique et de la transition énergétique. Étrange logique. « Pour les batteries des véhicules électriques et le stockage de l’énergie, l’UE aurait besoin de 18 fois plus de lithium et de 5 fois plus de cobalt en 2030 », détaille la Commission européenne. Mais les populations concernées ne partagent pas forcément cette vision. En Espagne, une bataille oppose actuellement la ville de Caceres, classée au patrimoine de l’Unesco, à une compagnie australienne qui veut implanter à sa porte la plus grande mine à ciel ouvert d’Europe.

En France, malgré les faibles perspectives de création d’emploi, la fièvre des métaux n’épargne pas les syndicats. « La reprise de l’activité minière est une nécessité », assure Philippe Saint-Aubin, ancien cadre CFDT de la fédération métallurgie. « On est extrêmement dépendants de minerais produits à l’étranger dans des conditions sociales et environnementales souvent inacceptables. On pourrait faire les choses moins mal qu’ailleurs », plaide celui qui fut il y a deux ans rapporteur d’un avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE) sur la dépendance de la France aux métaux stratégiques. « La réouverture d’exploitations minières redonnerait des perspectives d’avenir aux territoires ruraux et montagneux », renchérit la Fédération nationale mine énergie (FNME) de la CGT. À condition cependant de « lever l’obstacle de l’acceptation sociale », en assurant notamment la « protection des nappes phréatiques et le retour à l’état initial après exploitation ».

En Guyane, non à l’orpaillage illégal, oui aux pollueurs légaux !

L’âge d’or de l’industrie minière dans l’Hexagone remonte aux années 1960. Aujourd’hui, il ne subsiste guère que quelques mines de sel, de bauxite et de fluorine. Mais à des milliers de kilomètres de la métropole, il y a un département où l’on n’a jamais cessé de creuser : la Guyane. En juin 2020, la Convention citoyenne pour le climat proposait un moratoire sur l’exploitation industrielle minière dans cet immense réservoir de biodiversité balafré depuis plus de 150 ans par les chercheurs d’or, légaux et illégaux. C’est cette demande de moratoire qui aurait décidé le gouvernement à se lancer dans une réforme du code minier.

Le nouveau code minier en préparation est-il une bonne nouvelle pour la Guyane ? « Il y a quelques avancées sur la protection de l’environnement », admet Manouchka Ponce, coordinatrice de Guyane nature environnement. Mais « le projet de loi ne répond pas à la demande de moratoire formulé par la Convention citoyenne et n’interdit pas la technique de cyanuration utilisée par les industriels, qui pourront continuer à développer des projets de méga-mine. » Après avoir soutenu le fameux projet Montagne d’or, Emmanuel Macron a fait marche arrière. Mais quid des autres projets industriels en cours ?

« Les titres miniers délivrés ou en cours d’instruction menacent plus de 360 000 hectares de forêt guyanaise », rappelle Marine Calmet, présidente de Wild Legal et porte-parole du collectif Or de question, en lutte contre les méga-mines en Guyane. « Trois pays en Europe ont déjà banni la cyanuration et le Parlement européen a voté à deux reprises pour son interdiction », s’indigne la juriste.

L’article 21, qui habilite le gouvernement à légiférer par ordonnance sur le code minier ne la rassure pas : « Ces ordonnances offrent un blanc-seing aux mines artisanales en les exonérant d’évaluation environnementale. » Ces évaluations ne sont pas un luxe : en décembre 2020, la société Gold’or, propriétaire d’une mine artisanale près du Surinam, a été condamnée en première instance pour pollution massive et volontaire. Sa gérante Carol Ostorero, par ailleurs présidente de la Fédération des opérateurs miniers de Guyane, affirmait deux mois plus tard dans Le Monde : « La Guyane ne peut pas passer à côté d’un développement économique minier. Le potentiel est là, il est extraordinaire. »

Qui profite du nickel de Nouvelle-Calédonie ?

Lors de l’examen de l’article 21 au sein de la commission spéciale de l’Assemblée nationale chargée d’étudier le projet de réforme, l’opposition s’est inquiétée du délai de 18 mois prévu pour prendre les ordonnances, qui repousse à nouveau la révision du code minier. « On peut acter que la réforme n’aura pas lieu », a soupiré la députée Delphine Batho (Génération écologie). « Je pense qu’il y a des intérêts extrêmement puissants qui ne veulent pas que le code minier soit adapté aux règles de base de la protection de l’environnement. »

Avec ou sans réforme, la consommation de métaux indispensables aux énergies renouvelables et aux batteries de véhicules électriques (terres rares, lithium, nickel, cobalt, etc.) va continuer son irrésistible ascension. La Nouvelle-Calédonie, qui détient pas moins du quart des réserves mondiales de nickel, pourrait-elle faire partie de la solution ? Ce minerai représente un gros enjeu de souveraineté dans ce territoire français doté de son propre code minier, mais où les fruits du nickel restent inégalement répartis.

Après plusieurs mois de conflit autour de l’avenir de l’exploitation du gigantesque gisement de Goro, dans la Province Sud, les Calédoniens ont repris le contrôle de l’usine détenue jusque-là par une multinationale brésilienne. « Les titres miniers vont revenir au pays et un fonds souverain va pouvoir être créé pour les générations futures », explique Pierre Tuiteala, secrétaire général du Soenc nickel, premier syndicat du secteur. Si le syndicaliste se réjouit que les populations locales puissent récupérer la valeur ajoutée, il reconnaît aussi qu’il est impossible d’envisager des mines propres : « On peut minimiser l’impact environnemental mais il n’y aura pas d’extraction sans dégradations. »

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