Les entreprises responsables de la crise climatique reçoivent 20 fois plus de fonds que la lutte contre elle

, par El Salto Diario , DE AMORIM Virginie (trad.), FOUTREL Emilie (trad.)

Le monde est à la traîne dans sa lutte contre la crise climatique et a besoin d’un changement de cap en matière économique, et cela nécessite des fonds. Cependant, l’argent ne semble pas aller là où il le devrait si l’humanité veut freiner le changement climatique. Un rapport publié le 14 septembre dernier révèle que les banques internationales allouent dans les pays du Sud Global 20 fois plus de financement aux principales industries responsables de la crise climatique qu’aux gouvernements pour qu’ils la combattent.

L’étude, intitulée "Ainsi l’argent circule : les banques alimentent la crise climatique" [1] et publiée par Alianza por la Solidaridad-ActionAid en collaboration avec Profundo, un organisme de recherche axé sur les questions environnementales, quantifie l’argent reçu dans les pays les plus défavorisés à la fois à destination de l’industrie des combustibles fossiles et de l’agriculture —le second secteur le plus responsable du réchauffement climatique—.

3 600 milliards

L’industrie des énergies fossiles, principale cause de la crise climatique, a reçu un soutien financier d’une valeur d’au moins 3 200 milliards de dollars au cours des sept dernières années dans les 134 pays du Sud global étudiés par l’équipe de recherche. Les dates correspondent aux années 2016-22, c’est-à-dire la période écoulée depuis l’adoption de l’Accord de Paris jusqu’à aujourd’hui.

Parmi les principaux bénéficiaires du financement destiné à l’extraction, au traitement et à la commercialisation des combustibles fossiles dans le Sud Global, figure l’entreprise chinoise State Power Investment Corporation, qui a reçu 203,9 milliards de dollars depuis 2016, ainsi que d’autres entreprises chinoises productrices d’énergie investissant massivement dans le charbon. Le négociant en matières premières Trafigura ; et des sociétés pétrolières mondiales telles que Saudi Aramco, Petrobras, Eni, Exxon Mobil, BP et Shell figurent également sur la liste des entreprises ayant reçu des financements par millions.

Les grandes entreprises du secteur agro-industriel —le deuxième secteur global le plus impactant sur la crise climatique— actives dans les pays les plus défavorisés ont également reçu des fonds millionnaires. Elles ont reçu au moins 370 milliards de dollars sur la même période, selon le rapport.

Pancartes contre le "Co2onialisme" lors d’une manifestation à Londres. Photo Alan Denney via flickr - CC-BY-NC-SA 2.0

Bayer, propriétaire de la controversée multinationale biotechnologique et agrochimique Monsanto, est le plus grand bénéficiaire de fonds dans le secteur agricole du Sud global, avec 20,6 milliards de dollars en sept ans, selon les données recueillies par Profundo et ActionAid. Sur la liste des plus grands bénéficiaires, figurent également ChemChina (Syngenta), COFCO Group, Archer-Daniels-Midland (ADM) et Olam Group, toutes impliquées dans la vente de produits agrochimiques, d’aliments pour animaux et de biocarburants contribuant à la déforestation.

Banques sales

Parmi les institutions émettrices de fonds, ce sont HSBC, BNP Paribas, Société Générale et Barclays qui se démarquent en Europe ; et Citibank, JPMorgan Chase, Bank of America en Amérique. Cependant, ce sont les institutions financières chinoises qui dominent largement leurs homologues occidentales. Trois institutions de ce pays asiatique — Industrial and Commercial Bank of China, China CITIC Bank et Bank of China — ont fourni 420 milliards d’euros à l’industrie fossile et agricole des pays en développement, avec plus de 120 milliards d’euros chacune.

L’équipe de recherche souligne que « beaucoup de ces banques se sont engagées à atteindre « zéro émission nette » ou « la neutralité carbone » dans leur portefeuille de financement d’ici 2050, mais aucune ne dispose de politiques adéquates pour véritablement décarboner leur portefeuille ». De plus, plusieurs institutions — dont Barclays, BNP Paribas, HSBC et Citigroup — ont pour objectif à long terme de supprimer progressivement les prêts au charbon, mais continuent néanmoins à financer certains des plus grands producteurs d’électricité et entreprises minières de charbon.

ActionAid rappelle que le financement public a le potentiel de contribuer grandement à résoudre la crise climatique, mais reste une grande partie du problème. « Les gouvernements continuent de canaliser des fonds publics vers les énergies fossiles et l’agriculture industrielle via un réseau de subventions publiques, d’entreprises et de banques publiques, de fonds souverains, de fonds de pensions et d’aide publique au développement », déplore l’ONG.

Désinvestissement fossile et réorientation financière

Isabel Iparraguirre, responsable de la Transition Écologique chez Alianza por la Solidaridad-ActionAid, souligne que « les banques doivent assumer leurs responsabilités et les dommages qu’elles causent aux communautés et à la planète, accélérer leurs plans de désinvestissement et cesser de financer la destruction causée par les combustibles fossiles et l’agriculture industrielle de toute urgence ».

À ce sujet, le rapport propose des alternatives à ce qu’il considère comme des « investissements nocifs ». Un financement approprié pour des projets d’énergies renouvelables démocratiques et une priorisation des activités qui favorisent la souveraineté alimentaire comme objet de financement sont deux des recommandations clé.

« Cette transformation exige que les gouvernements et les financiers donnent la priorité à la souveraineté alimentaire, passant d’une approche extractive centrée sur la production de matières premières destinées à l’exportation et l’utilisation excessive de produits agrochimiques, à une approche centrée sur les contributions des petit·es agriculteur·ices, et en particulier des femmes agricultrices », suggère ActionAid. « La promotion de l’agroécologie nécessite un soutien financier et technique accru, notamment une formation professionnelle sensible aux questions de genre, un soutien à la commercialisation et l’accès aux marchés, des incitations en matière de subventions et des investissements dans les infrastructures et les installations de production et de traitement ».

« Les gouvernements et les institutions financières doivent soutenir davantage ces initiatives qui, à grande échelle, contribuent à mettre fin à la déforestation et à l’utilisation excessive de produits chimiques pour la production alimentaire. Soutenir ce type de solutions, c’est investir dans notre avenir, plutôt que dans notre destruction », affirme Isabel Iparraguirre.

Lire l’article original en espagnol sur El Salto Diario