Paraguay ou Sojaguay : les conséquences de l’agrobusiness

, par ALAI , GONZALEZ PAZOS Jesus

C’est sous le gouvernement de Horacio Cartes que l’agrobusiness a reçu sa plus forte impulsion, doublée d’une nette augmentation des processus de criminalisation des protestations sociales, autochtone et paysanne.

Champ de soja dans le département de l’Alto Paraná, Paraguay.
Crédit : Cmasi (CC BY-SA 3.0)

Il existe des pays presque anonymes, et sur le continent américain, le principal d’entre eux pourrait être le Paraguay. En Europe, la plupart du monde aurait bien du mal à situer ce pays sur la carte, ou bien à donner quelque caractéristique qui puisse le définir.

Cependant, malgré les nombreux éléments positifs de ce pays, en termes négatifs, le Paraguay pourrait bientôt se définir comme Sojaguay, le pays du soja. Dans la campagne publicitaire de 2003 d’une des principales transnationales de l’agrobusiness mondial – Syngenta à cette époque, ChemChina-Syngenta aujourd’hui – ce territoire était le centre d’une fictive République Unie du Soja, avec d’autres pays voisins comme l’Argentine et le Brésil, en plus de la Bolivie et de l’Uruguay.

Cette région était déjà l’une des principales productrices de soja au monde (et l’est toujours), en son immense majorité transgénique. Cette production est destinée à l’exportation vers l’Europe, surtout vers ses macro-fermes intensives, pour qu’elle puisse alimenter son bétail ; et par ailleurs, pour devenir la principale productrice de biodiesel du monde. Il est important de rappeler que le biodiesel se présente comme un combustible qui contribue largement et positivement au processus d’abandon des combustibles fossiles. Cependant, il faudrait nuancer, si l’on considère les conséquences sur les terres auxquelles on applique le modèle actuel de production intensive. Ainsi que l’affirment de nombreuses personnes, le problème n’est pas seulement la plante en elle-même, et en particulier sa variante transgénique, mais surtout son mode de production. Et le Paraguay est le meilleur exemple pour illustrer cette autre réalité.

Ainsi, vingt ans après cette ingénieuse promotion publicitaire, la situation a nettement empiré, non seulement pour la terre mais aussi en ce qui concerne les droits collectifs et individuels des peuples autochtones et des paysan·nes paraguayen·nes. 80 % de la terre cultivable au Paraguay sont dédiés au soja et pratiquement 85 % de l’ancienne forêt atlantique ont disparu avec la progression de l’agrobusiness, qui atteint presque 95 % de la terre en production alors que les paysan·nes ne disposent que du petit 5 % restant. Vue du ciel, la vision de la moitié orientale de ce pays montre que 40 % de son territoire est une immense mer verte transgénique où la vie de tout ce qui ne soit pas du soja, y compris humaine, s’y noie tous les jours.

Il est évident que cette destruction accélérée de l’environnement à la recherche effrénée du business du soja a des conséquences qui ne se constatent pas seulement dans la destruction de la nature. Il faut aussi ajouter les conséquences sociales qui se traduisent par l’expulsion directe ou indirecte des paysan·nes et des communautés autochtones, ce qui provoque entre autres une augmentation également effrénée de la pauvreté de ces populations et des brèches dans les inégalités. Tout cela est le résultat de l’imposition d’un modèle néolibéral (extractivisme qui privilégie les marchés plutôt que la vie dans son sens le plus ample) qui entraîne quatre principaux types de conséquences :

Environnementales : la destruction des sols provoquée par l’usage intensif de produits toxiques tels que le glyphosate (en 2019, 58 568 tonnes de produits chimiques ont été importées), l’épuisement des sols (par la disparition des nutriments), la pollution.

Sociales : le déplacement des populations paysanne et autochtone (jusqu’à 900 000 personnes ces dix dernières années) vers les périphéries urbaines ou par émigration, et la perte des conditions d’une vie digne. Une personne sur trois vivant en zone rurale vit en situation d’extrême pauvreté.

Économiques : pas de rentabilité de l’agrobusiness pour le pays mais bien pour les élites. Il ne génère que 15 % d’emplois en général précaires avec des conditions de travail minimales, et 2 % de revenus fiscaux alors qu’il représente 25 % du PIB.

Politiques : protection mutuelle des élites politiques et économiques, extension de la corruption et politiques publiques qui privilégient l’agriculture industrielle aux dépens de l’agriculture paysanne et indigène.

Au Paraguay, c’est depuis le gouvernement de Horacio Cartes entre 2013 et 2018, c’est-à-dire après avoir expulsé le président Fernando Lugo du gouvernement par un coup d’État (2012), que s’est produite la montée en importance de l’agrobusiness. Parallèlement, on assiste à une augmentation des procédures de criminalisation contre la montée de la protestation sociale, autochtone et paysanne. Dans ce panorama, l’augmentation de cette protestation tire ses racines des inégalités suite aux pertes de terres et de territoires paysans et autochtones, aux expulsions et déplacements vers les périphéries urbaines, à la disparition progressive de l’agriculture traditionnelle, à la dégradation environnementale et, enfin, à l’aggravation des conditions de vie et des droits humains. La réponse gouvernementale est, en plus de la criminalisation de la protestation, la répression contre les secteurs mobilisés.

Ainsi, environ 70 % de la violence exercée contre les mobilisations sociales sont directement liés aux objectifs des élites pour démobiliser, criminaliser et réprimer la lutte paysanne et autocthone pour la terre et le territoire. Il s’agit de maintenir le statu quo qui a régi le Paraguay durant les dernières décennies, spécialement depuis la dictature d’Alfredo Stroessner (1954-1989). Finalement, au Paraguay ou au Sojaguay, ce qui est en jeu, c’est la Vie ou les intérêts des marchés.

Voir l’article original en espagnol sur le site de ALAI