Les défis du socialisme démocratique de Xiomara Castro

, par Nueva sociedad , ALONZO Ninoska

L’investiture de Xiomara Castro au Honduras a suscité un grand enthousiasme populaire et mis fin aux dérives autoritaires qui ont suivi le coup d’État de 2009. Son discours sur le changement nourrit de multiples espoirs. Néanmoins, comme le montre la crise au nouveau Parlement, les défis seront nombreux, et parmi eux, la résistance aux changements de la part des groupes d’intérêt.

Prise de fonction de Xiomara Castro en tant que présidente du Honduras
Crédit : 總統府 (CC BY 2.0)

Le 27 janvier dernier, Xiomara Castro Sarmiento a assumé la Présidence du Honduras. Castro qui a été, le 28 novembre 2021, la candidate présidentielle avec le plus grand nombre de votes dans l’histoire du pays, a pris ses fonctions dans le Stade National Chelato Uclés. Tout juste rénové, ce stade a porté pendant près d’un siècle le nom de Tiburcio Carías Andino, dictateur du Honduras de 1933 à 1949, largement connu pour sa politique de soumission aux États-Unis et pour sa stratégie visant à démanteler toute opposition à son régime. Le changement de nom de cette scène sportive a été l’une des premières mesures prises par le nouveau gouvernement, soit un acte symbolique fort pour démontrer au peuple hondurien que la refondation de l’État est imminente.

L’arrivée au pouvoir de Xiomara Castro et du Parti Liberté et Refondation (LIBRE) est chargée de symboles. En plein cœur de la crise du pouvoir législatif, la Police Nationale a été contrainte de retirer les barrières qui interdisaient l’accès aux bâtiments du Parlement. Des petites filles et des petits garçons se sont assis·es sur les sièges des parlementaires et ont pris leurs micros, des vendeuses et des vendeurs du marché informel sont entré·es dans le bâtiment pour vendre de l’eau et des noix aux gens qui s’y étaient regroupés afin de reprendre possession cet espace public. Dans tous les villages et sur toutes les places du pays, l’ancien drapeau national dont la couleur renvoyait à celui du Parti National du Honduras a été retiré et remplacé par l’ancien drapeau bleu turquoise, réhabilité par le nouveau gouvernement. Dans les rues, les petites filles voient en Xiomara la première présidente, ouvrant la voie à d’autres femmes au pouvoir au Honduras.

La débâcle du régime de Juan Hernández Alvarado et du Parti National se joue dans une guerre symbolique relevant d’une véritable situation révolutionnaire, sans précédent dans l’histoire hondurienne. Cependant, comme dans tout cycle progressiste latino-américain, le gouvernement du « socialisme démocratique » (comme l’a défini Castro dans son discours du 27 janvier) devra faire face à l’énorme contradiction entre la promesse de mettre en place un projet « refondateur » et la pression de l’élite locale et transnationale pour préserver son hégémonie et ses intérêts socio-économiques dans le pays.

C’est une contradiction dont a parfaitement conscience le gouvernement dirigé par Castro. C’est ce qu’elle a elle-même exprimé dès le début de son discours au Stade National, lorsqu’elle a évoqué l’état de l’administration publique et de ses moyens, pour lesquels les défis sont assez clairs : « La catastrophe économique dont j’hérite n’a aucun équivalent dans l’histoire du pays et l’augmentation de 700 % de la dette est emblématique des répercussions que cela entraîne dans le quotidien de la population. La pauvreté a augmenté de 74 %, ce qui fait de nous le pays le plus pauvre d’Amérique Latine […]. Il est pratiquement impossible de venir à bout de la dette. Le seul moyen est de mettre en place un processus de restructuration globale par le biais d’un accord avec les créanciers privés et publics. […] La question que tous les Honduriens, nous nous posons par rapport à ce budget, c’est : combien d’argent parvient aux gens pauvres ? Au service de qui est le budget ? Qui contrôle ce budget et son exécution ? Qu’en est-il de la corruption budgétaire ?

Cette contradiction apparaît également dans la formation de son cabinet, annoncé ce même 27 janvier. Bien qu’il soit composé en grande partie de membres et de cadres de son parti, LIBRE, on peut remarquer la participation de cadres issu·es du Parti Salvador du Honduras (PSH), avec lequel une alliance d’opposition a été scellée au cours de la joute électorale, ce qui a été fondamental pour garantir le triomphe de Castro face au candidat présidentiel du régime Nasry Juan Asfura Zablah.

L’élément le plus frappant est la participation du chef d’entreprise Pedro Barquero à la coordination du Cabinet Sectoriel de Développement Économique. Cette institution stratégique pour l’élaboration de la politique économique du pays est fondamentale pour un gouvernement du « socialisme démocratique » qui aspire à résoudre le grand problème de l’extrême inégalité dans la répartition des richesses au Honduras, ainsi qu’à soulager les conséquences de la politique extractiviste soutenue par le gouvernement de Juan Orlando Hernández dans la dernière décennie. De son côté, Barquero, qui avant de s’engager au PSH, a été président de la Chambre de Commerce et des Industries de Cortés (CCIC), représente bien davantage les intérêts du capital privé national que du projet « refondateur ».

Il est prévisible et compréhensible que dans le champ de la Realpolitik se produisent des accords de cette nature pour former un gouvernement. Cependant, cela crée de fortes tensions dans un pays qui tente de surmonter les dégâts causés par le régime autoritaire qui a suivi la destitution de Manuel Zelaya, époux de Castro, dans le coup d’État de 2009.

Les transitions post-dictature, comme l’expérience latino-américaine l’a montré, sont des périodes propices à l’assainissement des blessures profondes, non seulement sur le plan institutionnel ou législatif, mais surtout dans la vie de la population. Depuis le coup d’État jusqu’à aujourd’hui, plus de 5000 femmes ont été victimes de féminicide et plus de 300 personnes LGBT+ ont été assassinées. Selon des données de l’Office du Haut-Commissaire des Nations Unies pour les Droits de l’Homme au Honduras (OACNUDH), au moins 23 personnes ont été assassinées durant la crise post-électorale de 2017 qui a culminé avec le maintien au pouvoir de l’ex-président Hernández. De nombreux crimes ont été commis contre la population, et les revendications en matière de justice transitionnelle sont importantes. De même, aujourd’hui, le Honduras est connu de la communauté internationale pour les liens entre la famille Hernández Alvarado et le narcotrafic, ainsi que pour l’afflux massif de personnes expulsées de ce pays vers les caravanes de migrant·es.

La crise migratoire a représenté en soi un point d’inflexion dans la politique extérieure des États-Unis vers le Honduras. C’est ce qu’a démontré la présence de la vice-présidente Kamala Harris dans l’investiture de Castro. Harris a reconnu dans l’ascension de Castro à la Présidence du Honduras un « changement positif » pour le pays. Ce rapprochement de Washington n’est pas un hasard ; il répond à la nécessité de faire face à la crise humanitaire, économique, politique et sociale dans le Triangle Nord de l’Amérique centrale.

Face à cet état de fait, le projet refondateur est fortement menacé par les prétentions de l’élite politique et économique qui encourage Castro à restaurer le vieux libéralisme en vigueur avant le coup d’état de 2009, dont la structure institutionnelle a été échafaudée dans le but de préserver les projets et les affaires des groupes d’intérêts. En ce sens, le Honduras doit relever trois grands défis pour construire un chemin vers des changements profonds.

Le premier grand défi est celui de la démocratisation interne de LIBRE. Ces derniers jours, on a spéculé sur les causes qui ont donné lieu aux affrontements entre les différentes factions au sein du pouvoir législatif. À l’heure où nous écrivons cet article, le Congrès National traverse une énorme crise politique et institutionnelle qui se manifeste par l’existence de deux conseils d’administration : le premier, présidé par le parlementaire Luis Rolando Redondo Guifarro (constitué par l’alliance entre LIBRE et le PSH), et le second, mené par Jorge Luis Cálix Espinal (constitué par des parlementaires dissident·es de LIBRE, le Parti National et le Parti Libéral).

Les troubles politiques qui ont entraîné cette « dualité des pouvoirs » ont eu pour conséquence l’expulsion des 18 député·es de LIBRE qui avaient soutenu la présidence de Cálix, ainsi que la mobilisation massive de la population vers le Congrès National pour exprimer son rejet envers ce conseil d’administration, par manque de légitimité et de légalité. De son côté, le conseil de Redondo détient bien la légitimité, mais la rivalité entre les deux administrations fragilise la gouvernance de ce pouvoir d’État. À ce stade, la possibilité de parvenir à un accord s’avère très compliquée. Le Centre d’Études pour la Démocratie du Honduras a proposé trois éléments pour analyser ce moment critique : les difficultés du Parti LIBRE pour bâtir des consensus en interne, la conspiration de la droite contre le gouvernement élu et la participation d’autres acteurs puissants, comme le crime organisé ainsi que des secteurs du grand capital national. Des vidéos et des audios exfiltrés sur les réseaux sociaux ont révélé les liens entre les député·es dissident·es de LIBRE et le président du Conseil Central Exécutif du Parti Libéral (PLH), Yani Rosenthal, qui a passé trois années en prison pour délit de blanchiment de capitaux aux États-Unis. Un autre lien a également été démontré, entre les député·es dissident·es et l’ex-parlementaire et frère de l’ex-président Hernández, Juan Antonio Hernández Alvarado (plus connu sous le nom de Tony Hernández), condamné à perpétuité à New-York pour quatre chefs d’accusation, dont celui de narcotrafic.

Toutefois, il est important de tenir compte de la difficulté que connaît LIBRE dans la gestion de ses tensions internes, mentionnée plus haut. Ces conflits entre courants et acteurs multiples au sein d’un même parti sont historiques et il est fort probable qu’ils s’intensifient avec l’ascension du parti au pouvoir, comme cela s’est vu lors de la crise législative. Il est très important que le parti s’attache à consolider sa structure interne pour que ses principes élémentaires, de nature refondatrice, ne soient pas atomisés ou dilués dans l’exercice du pouvoir au gouvernement.

Le second défi consiste à renforcer et accroître le fort soutien populaire envers la présidente. Lors des élections du 28 novembre 2021, Castro a bénéficié de 1 716 793 suffrages valides et est ainsi devenue la candidate présidentielle avec le plus grand nombre de votes et la première femme à accéder à la Présidence dans l’histoire du Honduras. La nouvelle mandataire jouit d’un soutien populaire sans précédent, qui lui a octroyé la légitimité nécessaire pour prendre des décisions politiques contraires aux intérêts des groupes de pouvoir, comme elle a pu le démontrer en expulsant du parti LIBRE plusieurs parlementaires dans le cadre de la crise du Pouvoir législatif.

Castro a également démontré sa solidité avec la mobilisation massive de la population lors de son investiture au cours de laquelle elle a fait des promesses qui pourraient modifier de façon substantielle et structurelle la vie dans le pays. On retiendra notamment l’aide financière aux plus démuni·es pour les dépenses d’électricité, les subventions au carburant, la concentration des efforts pour obtenir la souveraineté alimentaire, l’interdiction de nouvelles concessions minières à ciel ouvert, la libération des militant·es écologistes emprisonné·es pour avoir défendu le fleuve Guapinol, l’amnistie pour d’autres prisonnier·es politiques et personnes exilées pendant la dictature, la justice dans l’affaire de l’assassinat de Berta Cáceres et la mise en œuvre du premier référendum sur les réformes constitutionnelles, entre autres.

Néanmoins, résister aux pressions des groupes d’intérêt sera un défi de grande envergure pour Castro, avec un pouvoir législatif en crise, un pouvoir judiciaire toujours aux mains de représentant·es du régime du Parti National du Honduras, et une matrice médiatique corporative dont la proximité avec les intérêts de l’oligarchie ne fait aucun doute. Le destin du Honduras pour les quatre prochaines années est incertain. Il est pourtant vital que le gouvernement de Castro conserve le soutien populaire comme contrepoids essentiel face aux intérêts de l’élite qui tient absolument à préserver le modèle néolibéral sous toutes ses formes.

Le troisième grand défi est celui qu’affrontent les mouvements sociaux et populaires face aux possibilités du processus constitutionnel. Même si Castro a été claire sur le fait que son gouvernement fera tout pour mettre en œuvre un processus de consultation populaire qui pourrait déboucher sur une Assemblée Nationale Constitutive – une exigence historique du peuple hondurien depuis le coup d’État de 2009 – il est certain que les mouvements sociaux et populaires du pays doivent créer les conditions objectives et subjectives afin d’obtenir la légitimité que requiert un processus de ce type. En ce sens, les mouvements doivent renforcer leur capacité de réaction face aux dispositions du nouveau gouvernement, mais surtout, édifier des propositions techniques et politiques face à un processus constituant en vue d’une véritable refondation de l’État.

C’est ce qu’expriment de multiples organisations, mouvements et secteurs d’opposition du pays, comme l’Assemblée Permanente du Pouvoir Populaire (APPP), un espace d’opposition formé en janvier 2022, dans le cadre du processus de transition politique en cours. Parmi ses différentes prises de positions, l’APPP a affirmé que « la prochaine station de l’utopie populaire hondurienne est l’auto-convocation de l’Assemblée Nationale Constitutive refondatrice, originelle et plénipotentiaire, avec une représentation de tous les secteurs de la société hondurienne ».

Les défis du Honduras sont nombreux. Dans l’histoire politique du pays, jamais il n’y a eu de transition vers un gouvernement progressiste ni une telle participation massive de la population dans les affaires publiques. Pour un « pays de poche » comme celui-ci, avec un dispositif institutionnel d’une grande fragilité et une législation mise en œuvre pour porter systématiquement atteinte à la souveraineté du peuple, il sera fondamental de s’intéresser aux enseignements acquis en Amérique Latine et de continuer à agiter les drapeaux du changement.

Lire l’article original en espagnol sur le site de Nueva Sociedad