Taïwan en a fini avec ses élections de mi-mandat et sa flopée de référendums le 24 novembre 2018. Plusieurs médias traditionnels occidentaux ont interprété les résultats comme une victoire pour la Chine et un retour au conservatisme ; un type d’analyse qui ne tient cependant pas compte de la dynamique politique interne de Taïwan. On va tenter ici de clarifier le tableau en apportant aux lecteurs davantage de contexte politique sur les élections et les résultats des référendums.
Le revers a été évident pour le Parti démocrate progressiste (DPP) qui n’a remporté que 6 sur 22 des municipalités et comtés. La Présidente Tsai Ing-wen a reconnu sa responsabilité dans le recul électoral et a démissionné de la direction du parti le jour même.
Le vote aux référendums multiples a consisté en 10 questions touchant entre autres aux droits des LGBTQ et au mariage pour tous, au choix entre “Taïwan” ou “Taipei chinois” dans les événements sportifs internationaux, au développement de l’électricité nucléaire. Le tableau ci-dessous détaille les résultats des référendums :
La Chine, gagnante des élections à Taïwan ?
Bon nombre d’organes des médias traditionnels ont vu dans la Chine la grande gagnante des élections de cette année à Tawan, puisque le parti nationaliste Kuomintang (KMT) a obtenu la majorité. le KMT, actuellement dans l’opposition, est considéré comme le parti politique favori des dirigeants chinois car il poursuit traditionnellement un resserrement des liens économiques avec la Chine. Baohui Zhang, professeur à la Lingnan University de Hong Kong, a même écrit une tribune sur CNN faisant valoir que les résultats électoraux étaient un revers pour la politique étrangère des États-Unis et suggérant un réajustement de leur politique chinoise.
Une analyse qui fait erreur en supposant que soutien des électeurs au KMT égale soutien à la Chine. Beaucoup de gens pensent qu’une meilleure relation avec la Chine, conduisant à une reprise des contacts diplomatiques suspendus quand Mme Tsai Ing-wen a accédé à la présidence, serait bonne pour Taiwan sur le long terme. En fait, certains analystes, comme le sociologue Thung-Hong Lin, voient dans le recul du DPP dans les urnes la conséquence de mesures impopulaires comme la réforme des pensions d’anciens combattants plutôt qu’un sentiment positif de l’opinion pour la relation entre les deux rives du détroit.
Le résultat à la question olympique reflète mieux le sentiment public à l’égard de la Chine.
Êtes-vous favorable à la participation de Taïwan à tous les événements sportifs internationaux, y compris les Jeux olympiques de Tokyo en 2020, en tant que Taïwan ?
Pendant des années les athlètes taïwanais ont participé sous le nom “Taipei chinois” sous la pression de la Chine qui revendique l’île comme territoire chinois. Au scrutin de novembre, une majorité de 55 % a voté pour conserver le nom “Taipei chinois” (Figure 2). Un choix synonyme de préférence pour le statu quo de peur que le changement de nom ne compromette le droit des athlètes taïwanais à participer aux compétitions internationales.
Si certains médias voient dans cette défaite une victoire pour la Chine, il ne faut pas oublier que, malgré des décennies de menaces de la Chine, 45 % des votants ont tout de même voté pour un changement de nom — un choix compris comme une déclaration d’indépendance de Taïwan. Sans compter que les sondages continuent à montrer la préférence de nombreux Taïwanais pour l’indépendance de Taïwan.
Le sentiment anti-LGBTQ a-t-il conduit à un virage à 180° sur le mariage pour tous ?
Il est indéniable que les résultats de plusieurs référendums en lien avec le mariage pour tous ont déçu les défenseurs des droits des LGBTQ. Pour autant, les résultats ne peuvent être assimilés à un rejet pur et simple du mariage des couples de même sexe — une erreur faite par bon nombre d’organes des médias traditionnels comme CNN.
Le droit au mariage entre partenaires de même sexe est garanti par la Cour constitutionnelle de Taïwan, et aucun référendum ne peut renverser une telle décision. La formulation du référendum sur le mariage de même sexe vise la législation sur le mariage dans le Code civil :
Êtes-vous favorable à la limitation du mariage aux couples entre hommes et femmes dans le Code civil ? (Majorité de 72,48 % pour)
Êtes-vous favorable à la mise en place d’une Union civile fournissant une protection légale aux couples de même sexe vivants ensembles qui ne sont pas soumis aux règles du mariage du Code civil ? (Majorité de 61,12 % pour)
Êtes-vous favorable à ce que la partie Code civil consacrée au mariage garantisse aux couples de même sexe le droit de se marier ? (Majorité de 67,26 % contre)
Les résultats du référendum montrent qu’une majorité de votants préfèrent une autre panoplie de procédures légales pour protéger les couples mariés de même sexe, comme l’union ou le partenariat civils, aux dispositions actuelles du code civil sur le mariage. Autrement dit, ces électeurs sont d’accord pour protéger les droits des LGBTQ, mais sans vouloir modifier les règles du mariage dans le code civil.
Le mouvement vers l’acceptation de l’égalité de droits pour la communauté LGBTQ continue à progresser : pour la première fois dans l’histoire taïwanaise, deux candidates lesbiennes, Lin Ying-meng et Miao Poya, ont remporté des élections municipales.
La victoire des pro-nucléaires ?
La formulation du référendum sur l’énergie nucléaire est :
Êtes-vous favorable à l’abrogation de l’article 95, paragraphe 1, de la loi sur l’électricité, selon lequel “toutes les installations de production d’énergie nucléaire doivent être mises hors service d’ici 2025 ?
La question vous laisse perplexe ? Il n’y a pas que vous. Ce référendum porte sur la flexibilité pour une extension de l’utilisation du nucléaire au-delà de 2025.
Une majorité de votants s’est déclarée pour l’abrogation de l’article 95, ce qui signifie qu’ils ne veulent pas exclure l’électricité nucléaire du mix énergétique du futur. Pour autant, c’est loin d’être la victoire dépeinte par de nombreux médias occidentaux, dont cet article de Forbes.
Le référendum donne effectivement plus de choix aux Taïwanais pour quand les trois centrales nucléaires actuelles seront mises hors service. Néanmoins, si Taïwan décidait de reporter la mise hors service de ces trois centrales nucléaires, un nouveau référendum pourrait être requis. Et si Taïwan a l’intention de poursuivre la construction d’une quatrième centrale nucléaire, il faudra assurément un nouveau référendum. Taïwan a déjà planifié son nouveau modèle énergétique. Lorsque la nouvelle centrale électrique au gaz commencera prochainement à produire de l’électricité, les inquiétudes sur le déficit énergétique seront apaisées, et le mouvement pro-nucléaire perdra probablement son élan.
En conclusion, le mécontentement envers le DPP au pouvoir lui a fait perdre l’élection, sans que cela signifie une préférence explicite des électeurs pour la Chine. Il reste beaucoup de chemin à faire pour que Taïwan donne authentiquement des droits égaux à la communauté LGBTQ, mais le mariage des couples de même sexe est désormais garanti par la constitution taïwanaise et ne peut être ôté. Le vote pour l’électricité nucléaire comme source d’énergie possible ne vaut pas échec des mouvements opposés au nucléaire.