Coup d’État et résistance populaire en Honduras

Renán Godofredo Valdez Salgado

, par Revista Pueblos

 

Ce texte, publié originellement en espagnol par Pueblos, a été traduit par Marine Gandit, trductrice bénévole pour rinoceros.

 

Le coup d’État politico-militaire et religieux du 28 juin 2009 au Honduras, le pays le plus pauvre d’Amérique latine après Haïti et le Nicaragua, a été rejeté par la communauté internationale et a provoqué, dans le pays, un rassemblement sans précédent, alternatif, populaire et de masse des organisations sociales et du peuple. Leurs actions associent créativité, belligérance, une énorme part de sacrifice, et surtout beaucoup de courage et de détermination collective pour mener le pays vers une nouvelle histoire qui polarise la société entre l’oligarchie putschiste et la résistance populaire, devenue aujourd’hui le nouveau sujet politique au Honduras.

Plus ou moins habitué à la stigmatisation du fait de l’apparente apathie et indifférence des peuples face aux injustices sociales et aux excès des tyrans et dictateurs en tout genre, le Honduras assiste en ce tout début du troisième millénaire à un scénario remettant en question cette hypothèse : l’histoire enregistre avec une ponctualité sans faille la rébellion toujours active d’un peuple face à l’apparition et l’établissement de dictatures.

Dictatures et coups d’État

La dictature la plus importante est celle qui a duré 16 ans, sous le contrôle du général Tiburcio Carías Andino (1933-1949). Au cours de cette même période, des mouvements populaires de grande ampleur ont éclatés, parmi lesquels celui mené par le Front démocratique contre la dictature qui a acquis la plus grande vigueur lors du premier quinquennat de 1940. En guise de symbole de ces luttes populaires, on retient la manifestation organisée par ce même Front, le 6 juillet 1944 à San Pedro Sula, qui a rassemblé plusieurs secteurs de la société et au cours de laquelle un comité de grève s’est formé.

Le 10 juillet, vers les seize heures, une manifestation silencieuse fut sévèrement réprimée depuis différents points stratégiques. Près de 140 personnes, dont beaucoup de femmes, d’enfants et de personnes âgées, furent tuées, et quelques 150 furent blessées. Les meurtriers avaient utilisés des mitrailleuses Thompson. Ce massacre n’est pas passé inaperçu parmi la communauté internationale puisqu’il fut dénoncé par des groupes d’exilés au Mexique, au Salvador, au Costa Rica et dans d’autres pays. La dictature se trouva rejetée par la communauté démocratique à l’échelle continentale.

Les coups d’État fomentés formellement au sein des Forces Armées remontent au 19 septembre 1957, date à laquelle l’Assemblée nationale constituante leur avait concédé “l’autonomie militaire”. Ramón Villeda Morales entra en fonction le 21 décembre 1957. Deux ans plus tard, il fut victime d’une tentative putschiste menée par le colonel Armando Velásquez Cerrato, qui réaffirmait de cette manière son désir d’arriver au pouvoir. Le coup d’État échoua, mais Villeda Morales était condamné à ne pas terminer son mandat présidentiel : le 3 octobre 1963, le général Oswaldo López Arellano mena un coup d’État car, d’après lui, le gouvernement était en train d’être « infiltré par le communisme ».

Plus tard, trois émeutes putschistes supplémentaires eurent lieu. Oswaldo López Arellano rompit la règle constitutionnelle en 1972, prolongeant ainsi son mandat jusqu’à 1975. Cette année fut marquée par un autre coup, mené par Juan Alberto Melgar Castro, qui se retrancha derrière l’excuse que le gouvernement « avançait vers le populisme ». Au cours de la nouvelle période, avec Melgar au pouvoir, des assassinats de paysans luttant pour la réforme agraire se produisirent. Mais Melgar fut renversé en 1978 par un autre coup, justifié cette fois-ci, ironiquement, par la tendance « réformiste » dans laquelle le gouvernement était tombé. Un triumvirat militaire présidé par le général Policarpo Paz García le remplaça jusqu’en 1980.

Comme toujours, les États-Unis fixaient les règles. Les putschistes honduriens de 1978 garantirent la pleine liberté électorale dans toute la République (le 20 avril 1980, les députés de l’Assemblée nationale constituante furent élus). Au Honduras, ils furent obligés de tenir le triste rôle de contre-insurrection dans la région pendant toute une décennie, sous le cadre de la Doctrine de sécurité nationale.

Les origines du coup d’État de 2009

En décembre 2006, Miguel Facusse et une trentaine d’entrepreneurs influents de tout le pays convoquèrent le président en place à une réunion à Farallones (propriété de Facusse), dans la zone atlantique du pays. Ils voulaient lui présenter un plan d’investissement pour lequel l’État devait apporter plusieurs millions de lempiras d’investissement, profitant de la balance favorable des réserves accumulées dans la Banque centrale d’Honduras. Miguel Facusse est un des principaux acteurs du système politique hondurien, devenu puissant par la protection de l’État : il est un des principaux bénéficiaires des ressources financières de la Corporation nationale des investissements (CONADI), ressources de la dette externe qui ne fut jamais payée.

Le gouvernement de Zelaya mit des limites à des contrats qui octroyaient de nombreux privilèges, conditions que le gouvernement précédent (Ricardo Maduro) avait maintenues avec des importateurs et producteurs de produits chimiques pharmaceutiques. Ces conditions incluaient l’achat de produits pharmaceutiques périmés, représentant un risque pour la santé des consommateurs. Début 2009, le gouvernement de Zelaya essaya de conclure une convention d’achat de génériques avec Cuba, selon les termes de l’Alliance Bolivarienne pour les Amériques (ALBA). Cette initiative se heurta à l’opposition des transnationales pharmaceutiques, laquelle s’est manifestée au travers d’une campagne médiatique et l’opposition du Collège de chimie pharmaceutique du Honduras.

L’économie hondurienne est dépendante de l’extérieur dans de nombreux secteurs, notamment l’importation de pétrole et de ses dérivés. Dès lors, bien que les prix fussent fixés par une « Commission administrative du pétrole », quatre entreprises transnationales importatrices, constituées en oligopole, exercent leur pouvoir sur cette branche de l’économie, avec des bénéfices de 21% par gallon importé.

Zelaya essaya de réduire le coût de l’intermédiation d’importation qui, selon les termes d’un accord de 1992, était assurée par quatre entreprises transnationales énergétiques. Il signa un accord avec le PDVSA [compagnie pétrolière d’État du Venezuela], dans le cadre des accords de l’ALBA, et un autre avec Petrocaribe à partir de 2008, ce qui provoqua le mécontentement des entreprises privées et de l’ambassade des États-Unis
L’initiative du gouvernement de récupérer l’aéroport de Palmerola, où se situe la base militaire nord-américaine Soto Cano, a suscité l’opposition d’InterAirports, propriété de Fredy Nasser, gendre de Miguel Facusse et lié à d’autres entrepreneurs et politiciens.

La hausse décrétée du salaire minimum, qui augmentait les rémunérations de 3 428 à 5 500 lempiras dans les zones urbaines, et à 4 500 dans le secteur primaire, s’élevait en moyenne à 38%. Étant donné qu’au cours des douze années précédentes le taux moyen d’ajustement salarial avait été de 15%, cette nouvelle hausse accentua la colère de la bourgeoisie. A travers le Conseil Hondurien de l‘Entreprise Privée (COHEP), l’Association Nationale des Industries (ANDI) et la Chambre de Commerce et d’Industrie, la bourgeoise contesta cette décision et, en raison de l’avis contraire des tribunaux, elle ne fut pas appliquée.

Le COHEP inspira le coup d’État. Ce Conseil regroupe les familles qui contrôlent le pouvoir au Honduras, dont : Canahuati, Ferrari, Maduro, Callejas, Flores Facusse et Facusse Barjum. Ceux qui mirent le coup d’État à exécution sont le Congrès National, la Cour Suprême de Justice, le Ministère Public et les Forces Armées, avec la complicité et la participation directe du Pentagone et de la CIA.

Avec leur stratégie Hard Power (coup intelligent), les États-Unis ont prétendu créer un laboratoire au Honduras pour mettre en pratique de nouvelles stratégies qui leur permettent de contrôler les processus émancipatoires de l’Amérique latine. Souvenons-nous de la Doctrine Monroe, l’Amérique aux Américains.

Même si elle date de 1823, on peut vérifier son actualité à travers le nombre de bases militaires nord-américaines installées sur le continent. Leur nombre dans le monde est alarmant : 872. Cette puissance militaire est basée sur une conception de domination globale, fondée sur la dominance militaire des États-Unis pour défaire, de manière unilatérale ou à l’aide de forces multinationales, tout adversaire ou contrôler toute gamme de forces militaires qui agirait contre leurs intérêts.

Nouveaux scénarios de lutte

Le Front National de Résistance Populaire (FNRP) a acquis une capacité de convocation qui lui permet de mobiliser des personnes de toutes les régions du pays. L’accroissement et l’affirmation de la conscience collective dans le mouvement populaire sont sans précédent, et le nombre de participants aux marches du 5 juillet et du 15 septembre 2009, tout comme à celle du 27 janvier 2010, n’a aucun précédent dans l’histoire d’Amérique centrale. Au contraire, le régime de facto de Micheletti et celui de Pepe Lobo (issu d’un processus électoral vicié), contrôlé par la trique et le fusil des militaires, est délégitimisé par la société hondurienne et la communauté internationale.

Le Front a réussi à faire prendre conscience à la population de l’impact profond qu’a eu le coup d’État politique, militaire et religieux sur la majorité des citoyens. Aussi bien les rapports de la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme (CIDH) et de la Haute Commission des Nations Unies pour les Droits de l’Homme qu’Amnesty International ont mis en évidence les violations de droits humains après le coup d’État de 2009.

Ces organismes sont d’accord sur le fait que les principales violations furent un usage excessif de la force par les organes de sécurité de l’État, le nombre impressionnant de détentions et la violation des principes d’égalité, de nécessité et de proportionnalité à travers l’imposition de restrictions des droits fondamentaux, ainsi que l’application sélective et discriminatoire de la loi nationale.

Les organismes cités ont également constaté que la rupture de l’ordre constitutionnel a été suivie de graves violations des droits humains de la population. Celles-ci incluent, entre autres : des morts, des déclarations arbitraires de l’état d’exception, la répression des manifestations publiques, la détention arbitraire de milliers de personnes, des traitements cruels, inhumains et dégradants, de mauvaises conditions de détention, de sévères restrictions du droit à la liberté d’expression et de graves violations des droits politiques.

Actuellement, la résistance populaire doit faire face à une stratégie d’assassinats ciblés de membres de différents secteurs. Au cours des derniers jours, sept journalistes furent assassinés ; la plupart étaient liés au Front National de Résistance Populaire.

Malgré les intentions et les manipulations du gouvernement de Pepe Lobo pour obtenir une reconnaissance nationale et internationale, le FNRP oriente sa stratégie organisatrice autour de l’appel à une Assemblée Nationale Constituante. Le FNRP se définit comme un instrument de construction de pouvoir populaire auquel participent des mouvements populaires, des organisations sociales et des instances politiques qui recherchent la transformation sociale du pays.

Pour conclure, voici quelques enseignements que nous lègue le coup d’État.
 Le conflit nous révèle avec une clarté absolue que les secteurs dominants de l’oligarchie n’ont jamais abandonné leurs positions hégémoniques dans l’économie, la politique, et la culture, sans une lutte à mort avec les secteurs populaires de la population. Il ne doit pas nous étonner que ces groupes, responsables du retard du pays, se soient agglutinés de manière granitique dans une seule position politique pour défendre leurs intérêts avec le soutien de l’oligarchie internationale.
 Dans la lutte autour du coup d’État, ils ont investis toutes leurs ressources fondamentales, surtout le pouvoir politique et les forces répressives. Ils comptent également sur le soutien de la presse internationale. Ce n’est pas un hasard si, au cours du conflit, des personnalités de la frange la plus réactionnaire du Parti Républicain des États-Unis et des activistes de groupes politiques terroristes cubano-nord-américains, célèbres diffuseurs de l’idéologie néolibérale, se sont trouvées dans notre pays.
 Il y a quelques années, la lutte des peuples suscita la mobilisation de la droite. Aujourd’hui, quand le phénomène de la mondialisation connecte en un instant le monde entier, cette mobilisation devient plus dynamique et asservissante, parfois subtile mais pas moins mortelle pour nos peuples.
 La capacité de lutte exprimée dans les rues par la résistance révèle qu’au Honduras les partis traditionnels ne pourront pas garder le contrôle d’une population qui se rendrait calmement aux urnes pour voter pour valider leurs privilèges. La société hondurienne est bien polarisée désormais entre les forces oligarchiques conservatrices et une résistance populaire qui pose comme principe la refondation du pays, la démocratie participative et le respect de la souveraineté du peuple.
 La solidarité internationale des mouvements sociaux, gouvernements, médias et organismes de défense des droits de l’homme et, surtout, du peuple (avec sa capacité d’organisation et de mobilisation, l’art populaire et l’unité dans la diversité) ont démonté le projet d’imposer une dictature bourgeoise. Il leur sera difficile de mettre en œuvre leur projet et leur vision du pays, de rester 28 ans de plus au pouvoir, parce que la résistance propose également à la nation un projet de transformation économique, sociale et politique du Honduras.

Renán Godofredo Valdez Salgado est le coordinateur de l’École Méthodologique Nationale Profesor Wilfredo Lara. Il fait parti de la Commission Formation du Front National de Résistance Populaire. Il est par ailleurs sociologue avec des expériences dans le développement rural et formation et expérience en Droits Humains.