L’analyse du résultat du référendum colombien sur l’accord de paix négocié avec les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie – Farc doit “contextualiser les dimensions de la victoire du “non” et considérer que les élections du 2 octobre “ont principalement été marquées par l’abstention, qui a dépassé les 60% des votes. De plus, à peine “37,4% de l’électorat” s’est déplacé aux urnes, remarque Sergio Andrés Coronado, à IHU On-Line, lors de l’interview accordée par email.
Dans l’évaluation faite par Coronado, les raisons qui expliquent la victoire du « non » sont d’un tout autre ordre et ne représentent que peu l’opinion de la population sur l’accord-même avec les Farc. Au contraire, comme il le souligne, une « analyse préliminaire est que l’électorat du « non » a profité de cette opportunité électorale comme d’une scène pour se prononcer contre le gouvernement Santos et non pas vraiment sur l’accord de paix ». Selon lui, « il y eu une série de débats ces derniers mois, extérieurs à l’accord de paix, qui ont affecté l’image du gouvernement. La situation la plus absurde concerne ce que les conservateurs ont appelé d’« idéologie du genre ». Ces derniers ont profité de l’approche différentielle de genre à laquelle les accords de paix sont parvenus qui visait principalement à reconnaitre les impacts spécifiques subis par les femmes victimes du conflit, pour présenter cette proposition à l’opinion publique en laissant entendre que le gouvernement acceptait, avec l’accord de La Havane, l’imposition d’une idéologie qui menaçait le concept traditionnel de la famille ».
Depuis le résultat, dit Coronado, il y a une « atmosphère d’incertitude » dans le pays et une « phase intense de mobilisation sociale », dans l’attente que « la réorientation ou l’ajustement de l’accord puisse avoir lieu le plus vite possible ».
Sergio Andrés Coronado est diplômé et maître en Droit, à l’Université Nationale de Colombie. Il travaille actuellement au Centre de Recherches et Education Populaire – Cinep, en Colombie. Le Cinep est une institution fondée par les Jésuites dans les années 1970 dans le but de travailler pour une société plus juste et équitable, par la promotion du développement humain intégral.
IHU On-Line – La victoire du « non » lors du référendum sur l’accord entre la Colombie et les Farc a-t-elle été une surprise ?
Sergio Andrés Coronado – En premier lieu, il est important de contextualiser les dimensions de la victoire du « non ». Les élections du 2 octobre dernier ont principalement été marquées par l’abstention, qui a dépassé les 60%. Lors du référendum, à peine 37,4% de l’électorat a voté, et la différence entre le « oui » et le « non » a été faible : 53 894 votes qui correspondent à 0,4% des votes. Dans ce contexte, le résultat a été, effectivement, une surprise. Tous les sondages affirmaient que le « oui » serait le vainqueur absolu, et la plupart affichait une différence d’environ 20% entre les deux choix.
IHU On-Line – Pour quelles raisons estime-t-on que la population qui a voté a choisi le “non” ?
Sergio Andrés Coronado – C’est important de reconnaître que le vote pour le « non » ne représente pas un électorat uniforme. Même si une grande partie de l’électorat qui a fait ce choix se reconnaît dans les critiques que le Président Uribe et son parti politique ont fait au processus de paix, il y a d’autres raisons derrière ce « non ». Une analyse préliminaire est que l’électorat du « non » a profité de cette opportunité électorale comme d’une scène pour se prononcer contre le gouvernement du Président Santos, et pas vraiment sur l’accord de paix. Durant les derniers mois, il y a eu un ensemble de débats parallèles à l’accord de paix dans la société colombienne, qui ont affecté l’image du gouvernement.
La situation la plus absurde concerne ce que les conservateurs appellent l’« idéologie du genre ». Ces derniers ont profité de l’approche différentielle de genre à laquelle les accords de paix sont parvenus qui visait principalement à reconnaitre les impacts spécifiques subis par les femmes victimes du conflit, pour présenter cette proposition à l’opinion publique en laissant entendre que le gouvernement acceptait, avec l’accord de La Havane, l’imposition d’une idéologie qui menaçait le concept traditionnel de la famille ».
Lors de la campagne du « non », on a pu voir plusieurs exemples de messages qui n’avaient rien à voir avec l’accord de paix. Cela a été confirmé par le Coordinateur de Campagne National du « non », affilié au Centre Démocratique – parti de l’ex-président Uribe –, qui a affirmé que la stratégie utilisée pour la campagne du « non » a justement été d’arrêter d’expliquer les accords de paix et diffuser des messages qui pouvaient exaspérer l’électorat. Ces messages ont fini par convaincre une grande partie de l’électorat qui désapprouve le gouvernement de Santos et a profité de l’opportunité pour se positionner contre ce gouvernement.
D’un autre côté, il y a également une série d’erreurs dans la campagne du « oui ». La plus importante a été la dispersion et la non coordination des actions, aussi bien des partis politiques que des mouvements et des organisations sociales, qui ont conduit les campagnes. Ils n’ont pas compris les risques que la campagne de désinformation faite par l’opposition pouvait générer, et ont considéré que la réalisation d’une action pédagogique pour expliquer l’accord servirait de base pour avoir un électorat informé, qui voterait de façon consciente. L’erreur a donc été de considérer que l’électorat informé et conscient voterait automatiquement pour le « oui », alors qu’en réalité, le vote a plus correspondu aux émotions qu’à un calcul rationnel des électeurs.
IHU On-Line – Pouvez-vous nous donner une vue d’ensemble de la répartition régionale des votes pour le « oui » et pour le « non » ?
Sergio Andrés Coronado – Il y a deux scénarios qui expliquent cette situation. Le premier est que dans la majorité – mais pas dans toutes – des régions et des villes où il y a eu de la violence et où le conflit armé a été vécu d’une forme plus intense, le « oui » a gagné. Le second est que dans les villes et les états plus centraux et, donc, mieux intégrés aux dynamiques politiques et économiques de la nation, le « non » a gagné – à l’exception de Bogotá et Cali – alors que dans les villes et les états où l’intégration politique et économique est moindre, le « oui » a gagné. Cela montre que non seulement les accords favorisaient la coexistence pacifique entre les Colombiens, mais en plus établissaient les bases pour une intégration des territoires exclus de la construction du pays.
IHU On-Line – Quel est le sens politique et social de la décision de la population de ne pas signer un accord avec les Farc ?
Sergio Adrés Coronado - Le sens est qu’il n’y a pas de consensus concernant l’incorporation des Farc à la vie civile et politique du pays. La société et l’opinion publique sont polarisées et la situation actuelle est incertaine. Le fait d’avoir perdu le référendum avec un écart faible porte un coup à la légitimité politique des accords de paix signés entre les Farc et le gouvernement de Colombie.
Les messages de la campagne du « non » ont également été confus si nous les comparons avec les résultats favorables de la votation. Pour eux, le décor était monté afin de renégocier les accords. Pendant ces jours, ils ont exposé quelques-unes de leurs propositions dont la plupart étant déjà intégrées dans le texte ayant fait l’objet d’un accord, alors que d’autres étaient contraires à ce texte et d’autres encore n’avaient rien à voir avec l’agenda défini par les différentes parties. La Table des Conversations (« Mesa de Conversaciones ») a eu pour mission d’écouter les propositions et faire les ajustements aux accords de paix, tout en affirmant qu’il était impossible d’améliorer l’accord trouvé.
IHU Online – Comment la nouvelle de la victoire du « non » a-t-elle été reçue par les Farc ?
Sergio Andrés Coronado – Il est important de reconnaitre que les Farc, au long des négociations, ont exprimé leur discordance par rapport à ce mécanisme d’approbation publique. Leur choix était de faire approuver les accords en convoquant une Assemblée National Constituante. A la fin de la négociation, ils ont toutefois approuvé leur participation à ce mécanisme d’approbation. Ils ont affirmé que pour eux le référendum avait des effets politiques, mais aucun effet légal.
Ils croient que la signature de l’accord de paix et son dépôt en Suisse lui donne une validité juridique pleine et, donc, malgré le résultat négatif, ce qui doit suivre est la mise en oeuvre de l’accord de paix. Au-delà du débat juridique, ils insistent sur leur désir irréversible de paix et d’abandonner les armes et espèrent que cette impasse pourra être surmontée par le dialogue qui s’engage avec ceux qui ont mené la campagne pour le « non ».
IHU Online – Comment la victoire du « non » se répercute t’elle en Colombie ces derniers temps ?
Sergio Andrés Coronado – S’ajoute à l’atmosphère d’incertitude une phase intense de mobilisation sociale. Non seulement dans les grandes villes, mais également dans beaucoup de petites villes où le vote pour le « oui » a été majoritaire, il y a eu des manifestations pour exiger l’urgence dans la conclusion d’un accord, qui permette de surmonter le résultat défavorable du référendum et orienter le pays vers la construction de la paix. Malheureusement, l’atmosphère de polarisation persiste.
IHU On-Line – Quelle est l’expectative concernant un futur accord ou de nouvelles négociations, à partir de maintenant ?
Sergio Andrés Coronado - L’expectative est que la réorientation ou l’ajustement de l’accord puisse avoir lieu le plus rapidement possible. La mobilisation des citoyens génère une grande pression sur toutes les parties concernées – gouvernement, Farc et les représentants du « non » - pour établir dans un futur immédiat un accord viable qui conduise le pays à la construction de la paix.
IHU On-Line – Comment évaluez-vous le fait que le Président Juan Manuel Santos ait reçu le Prix Nobel de la Paix ? Certains critiquent parce qu’aucun dirigeant des Farc n’a reçu le prix ? Que pensez-vous de cette critique ?
Sergio Andrés Coronado – le prix a été présenté et reçu comme une reconnaissance pour ceux qui ont fait le choix d’une solution négociée pour résoudre le conflit armé en Colombie. Ce qui inclut les Farc, mais surtout, il a été présenté comme un hommage aux victimes du conflit armé, puisque ce sont elles qui ont conduit et motivé la négociation de paix dans notre pays. Le Président Santos a reçu cette reconnaissance en qualité de porte-parole d’un processus démocratique complexe.
IHU On-Line – Comment l’Église colombienne a compris et s’est prononcée sur ce moment politique ?
Sergio Andres Coronado – L’Église Catholique a joué un rôle important dans le processus de négociation, non seulement comme facilitatrice, mais également en accompagnant le processus dans les différents moments. Malheureusement, l’Eglise Catholique et ses responsables ne se sont pas manifestés clairement en faveur de l’approbation populaire des accords lors du référendum, mais ont préféré inviter l’électorat à voter en conscience. Cela n’a pas empêché de nombreux membres de l’Eglise, des religieux, des prêtres et des laïcs d’afficher clairement leur soutien à une sortie négociée du conflit armé.
Le Diocèse de Quibdó, situé dans une des régions qui a vécu le conflit armé le plus intensément, a soutenu sans hésitations les accords et a invité la population à exprimer ce soutien dans les urnes. Lors d’une déclaration publique, le Diocèse a déclaré au sujet du référendum « nous misons sur un résultat positif visant mettre fin à une guerre totalement dégradante ». Maintenant, le défi de l’Eglise est d’accompagner le difficile processus de réconciliation dans une société qui reste divisée après les résultats, et sur cela, il ne peut pas y avoir de positions ambigües.
IHU On-Line – Souhaitez-vous rajouter quelque chose ?
Sergio Andrés Coronado – Le soutien de la communauté internationale est décisif. Dans les moments les plus difficiles de la négociation, le rôle des pays garants a été déterminant pour empêcher les parties de quitter la table. Maintenant, à l’heure où on ouvre la table des négociations avec l’Armée de Libération Nationale (ELN), le rôle de la communauté internationale devient encore plus important, puisque c’est cette pression qui pourra permettre qu’en Colombie, on abandonne définitivement la violence comme un moyen de faire de la politique et qu’on ouvre le chemin vers un processus démocratique de construction de la paix. C’est pour ça que nous avons besoin de son appui et son soutien permanent.