Nous sommes entrés dans l’ère Internet, une période de bouleversements au moins comparable à la révolution industrielle tant ces technologies ont des incidences dans tous les domaines de la vie. Depuis les années 1990, le développement d’Internet et des technologies de l’information et de la communication (TIC) a transformé le paysage des médias et notre rapport à l’information. Toute information (texte, son, vidéo) peut désormais être numérisée et transmise (par courriel, par le cloud*, sur les réseaux sociaux) au moyen de toutes sortes d’appareils : ordinateurs, tablettes, smartphones... La numérisation a conduit à une offre considérable - quasiment infinie - d’informations, avec des sources multiples. Avec sa facilité d’accès (mais pas encore pour tout le monde !) et son système décentralisé, Internet accroît les échanges entre personnes et offre d’immenses potentialités pour participer au débat public : l’interactivité est en effet au cœur de l’information numérique.
Les technologies transforment l’économie, réduisent les frontières, accélèrent la communication et surtout elles offrent à toutes et à tous la possibilité de traiter l’information, qui n’est plus l’exclusivité des professionnels. S’ajoutant aux médias traditionnels, des médias numériques, des sites et des portails d’information, des télévisions ou radios numériques participatives, des wikis (sites web permettant d’écrire des contenus de façon collective), des blogs, des forums, des serveurs partagés, des réseaux sociaux... donnent la possibilité à chacun de produire de l’information, de la recevoir, la commenter et de combiner image, son et écrit sur un même support.
Cette révolution a-t-elle pour autant libéré l’information, la faisant échapper aux travers des grands médias ? Faut-il y voir un progrès de la démocratie ou bien craindre de nouvelles dérives idéologiques amenées par cette information produite par les citoyens ?
La technologie au service des peuples…
Les technologies numériques apparaissent comme des outils essentiels, notamment pour les exclus, les minorités, les peuples opprimés. Les réseaux sociaux et Internet ont en effet facilité l’accès à la parole pour les personnes dont les droits sont bafoués ou qui sont exposées à différentes formes de censure. Quand ces technologies n’ont pas été elles-mêmes censurées par les gouvernements, elles ont permis aux individus d’accéder à des informations précieuses, d’informer et de faire du lien en dehors de leur propre pays, de faciliter l’organisation des mobilisations. De nombreuses expériences de production d’information via les technologies témoignent ainsi du pouvoir d’agir (« empowerment ») des populations. Les Égyptiennes qui ont créé l’application Harassmap [1], les défenseurs des droits LGBTI ( « Lesbian, Gay, Bisexual, Transgender and Intersex ») au Liban, les Indiennes en lutte pour leurs droits, les Camerounais de NoBakchich en guerre contre la corruption, les Kényans d’Huduma qui permettent aux citoyens de dénoncer la médiocrité ou l’absence des services publics… ont tous su tirer profit du numérique pour dénoncer des abus, expérimenter des alternatives, revendiquer une autre société respectueuse des droits humains. De nouvelles applications, des groupes de communication sur les réseaux sociaux, des blogs et des serveurs multimédia se créent chaque jour pour renforcer ces luttes pour une société meilleure.
… ou au service des puissants ?
Les technologies ont aussi renforcé les pouvoirs dominants : les géants de l’Internet, notamment les GAFA, acronyme de Google, Apple, Facebook et Amazon génèrent en chiffres d’affaires l’équivalent du PIB du Danemark et une étude récente [2] a montré que 55 % de la vie numérique (e-mail, e-commerce, musique, vidéo, réseau social…) d’un utilisateur moyen se déroule sur l’une ou l’autre de ces quatre plates-formes.
D’autres chiffres de cette étude donnent le vertige : Google contrôle 90 % de la recherche sur Internet dans le monde, Apple 45 % du trafic web issu des smartphones, Facebook 75 % des pages vues sur les réseaux sociaux aux États-Unis...
La course au développement de ces quatre géants est totale et semble n’avoir aucune limite. Via des offres ou des rachats, les GAFA sont présents dans tous les secteurs clés du numérique : la communication, le commerce en ligne, la distribution, les énergies et bien sûr... les médias et le divertissement !
Qu’elle fascine ou qu’elle effraie, l’hégémonie des GAFA nous rappelle qu’Internet et les technologies numériques n’ont pas de pouvoir intrinsèque : ils sont au service de ceux qui les maîtrisent et leurs objectifs ne sont pas nécessairement de servir l’intérêt général.