L’économie politique des mines dérange en Afrique du Sud

, par SACSIS , FAKIR Saliem

L’article a été traduit par Laurence Besselievre, traductrice bénévole pour Ritimo.

Mines de platine
The Puzzler/Flickr

A bien des égards, « Marikana » [1] représente notre « Printemps arabe ».

Après le massacre, la vague de grèves illégales dans d’autres secteurs que celui de l’industrie de platine auraient pu secouer profondément le gouvernement ainsi que la communauté complaisante et désintéressée du monde des affaires si elles avaient reçu un soutien beaucoup plus large de la part de la population.

Ce n’est pas la première fois que les mineurs se retournent contre le système oppressif de rente. Cela est arrivé très souvent dans notre pays – l’évènement le plus connu étant la grève des mineurs sur le Rand (monnaie sud-africaine) en 1922.

La grève du Rand, et la révolte qui en a découlé, ont été une épreuve difficile pour l’Afrique du Sud. L’État a déclenché la violence (en envoyant 20 000 escadrons, chars et bombardiers) contre les travailleurs blancs des mines, causant une scène de morts (des deux côtés). A l’époque, le gouvernement du Premier Ministre, Jan Smuts, est tombé entre les mains de l’opposition.

Le même épisode de trouble puis de transformation s’est produit dans les années 1970. Cette fois-ci avec des grèves illégales de mineurs noirs qui menèrent à la création de la commission Wiehahn. La commission demanda la légalisation des grèves et une amélioration des conditions de vie. Mais dans l’ensemble, le système était resté intact.

La même chose risque d’arriver avec Marikana : les foreurs de roche vont recevoir une meilleure paie (qu’ils méritent), un système plus inclusif des négociations collectives sera mis en place dans le secteur des métaux et l’ensemble du système des allocations au logement sera probablement révisé.

Mais, cela va affaiblir le poids des syndicats actuellement en place. Ce seront des discussions sans fin pour, finalement, traiter la crise comme une simple secousse.

Pour autant, ce n’est pas qu’un problème de relations industrielles. C’est, en fait, un problème d’économie politique corrompue entre l’État, les entreprises privées et les syndicats en place qui a conduit à l’effondrement de la gouvernance et de la responsabilité financière dans le secteur des ressources naturelles ainsi que dans d’autres domaines de l’État et de son économie.

L’économie politique minière est basée sur un modèle de rente qui est sur le point de libérer des liquidités sans maintenir de l’épargne, ni créer de nouveaux actifs pour l’avenir.

Le système minier actuel, qui a été créé et porté principalement par un secteur privé, est axé sur le développement d’une alliance étroite entre le capital local et international appuyée par l’État via des contrats de promotion. Cette situation est possible grâce à un État faible qui collecte des impôts mais qui est incapable d’encourager le développement là où celui-ci est vraiment indispensable, au sein de ses propres institutions.

L’ironie de la chose : le retournement du pouvoir des Afrikaners, au cours des années 1940, a entrainé un changement dans le système de l’industrie minière dominé par les anglo-saxons. Il a été entendu comme le résultat d’une volonté politique de l’État visant à briser le monopole économique anglo-saxon qui fonctionnait et convenait à tout le monde depuis l’arrivée de Cecil John Rhodes sur la scène politique.

L’intervention de l’État a fonctionné. Il y a eu la création de la Société pour le Développement Industriel, la Société Nationale de la Finance, la SASOL, Gencor, Sanlam et de nombreux autres organismes. Ce sont toutes des créations d’une politique et d’un État dominé par les Afrikaans. Ils ont redirigé les revenus pour le développement des Afrikaners et, par la suite, plus largement à la population blanche.

Ce fut la dernière et la seule fois que l’Afrique du Sud a été témoin d’une restructuration si importante de l’économie dans laquelle l’État Afrikaner et le capital privé s’unirent pour s’assurer que le flux de revenus des mines soit bien destiné au développement industriel et au capital humain (quoique réservé aux Blancs). Nous ne reverrons certainement plus jamais de telles réorganisations.

Le résultat de l’intervention des Afrikaners a été la prédominance d’un système d’économie mixte au cours des 40 années qui suivirent avec d’une part, une branche de l’économie fortement dépendante de l’État et d’autre part, une seconde branche liée au capital international et à la Grande-Bretagne.

Après 1994, le modèle a fait preuve de beaucoup de rhétorique quant à l’intervention de l’État, mais il s’agissait, en fait, d’un modèle dans lequel le capital Blanc national, allié au capital international, a créé un système de co-optation avec le « capital » Noir.

L’État, en tant que propriétaire d’entreprises, et la présence d’agences dans le domaine de l’économie n’ont jamais permis une manœuvre plus simple ou plus stable. En Afrique du Sud, de nombreuses entreprises nationales et agences ont connu une période de désastres financiers, de changements de direction, de corruption et de conflits internes. Ils n’ont pas rétabli le fossé du déséquilibre économique mais l’ont, au contraire, largement creusé.

Ce n’est pas comme si nos décideurs politiques ne savaient pas que la politique économique minière peut être menée différemment. Après tout, ils ont été les précurseurs de l’analyse majeure de Ben Fine et Zavareh Rustomjee sur le problème complexe du secteur minier et de l’énergie puisque leurs idées avaient filtré via l’un des documents du Congrès National Africain avant 1994 et dans les travaux très engagés du Congrès des Syndicats sud-africains concernant la stratégie industrielle dans les années 1990.

Les problèmes sont compris. Mais l’aptitude de l’État à mettre en place et à exécuter un nouveau modèle économique pour le secteur minier n’a pas été évidente dans la mesure où il est de plus en plus poussé vers le modèle de co-optation de l’empowerment économique des Noirs. Ce n’était pas de la naïveté. Cela faisait partie du plan et du compromis avec l’ancien capital de l’Afrique du Sud. L’empowerment économique des Noirs a permis des projets partagés, non seulement pour quelques individus proches de la sphère politique, mais aussi pour les investissements en armes du Congrès National Africain, pour le Congrès des Syndicats sud-africains et, si l’exposé récent du Mail et du Guardian est vrai, même pour le Parti Communiste sud-africain.

En revanche, le développement économique et l’amélioration du bien-être des populations des pays riches en ressources naturelles s’expliquent par trois raisons : a) Veiller à ce que le modèle de rente pour les secteurs des ressources naturelles a les instruments politiques appropriés en place ; b) Une gouvernance indépendante et libre de toute interférence politique quant à l’attribution des droits sur les ressources et la répartition des revenus par l’État ; c) Diversifier le capital en ressources naturelles sous la forme de différents actifs et capitaux ; par exemple, dans de nouvelles infrastructures, dans l’industrie et en améliorant la base des compétences du pays.

Les modes de revenus sont variés. Ils comprennent les frais d’utilisation, des « super-impôts » comme en Australie pendant le boom des matières premières, des accords de production-partage comme au Chili et en Norvège où l’on a sécurisé les entreprises nationales, et des prélèvements à l’exportation comme ce que la Chine utilise pour assurer les bénéfices nationaux au détriment des étrangers et des quotas d’exportation si la préférence d’un pays est pour la sécurité d’approvisionnement national – comme nous le faisions dans le passé pour le charbon.

Les modèles institutionnels eux aussi sont variés. La plupart des pays riches en gaz ou en pétrole possèdent des fonds souverains ou des fonds de stabilisation pour protéger l’économie des fluctuations des taux de change, des pertes de revenus durant les périodes difficiles et en vue d’améliorer la stabilité financière à long-terme de l’économie.

Certains pays ont créé des compagnies minières d’État et même des banques nationales afin de recourir au capital nécessaire en temps et en heure et ainsi, permettre la restructuration des régimes de propriété sur l’économie minière. Il existe une pléthore de littérature sur ce qui pourrait être fait de mieux, sans faire mention du nombre d’études que les officiels et les politiciens ont pu réaliser au cours des 18 dernières années sur ce qui pouvait se faire ailleurs.

On sait ce qui doit être fait mais, ni la volonté politique, ni l’aptitude à mettre en place un système différent n’existent.

Le système actuel nous mènera à d’autres tragédies et à la douleur pour tous et cela ne changera pas. L’ancien et le nouveau capital sont là depuis trop longtemps pour être déracinés.

Le secteur minier, comme le reste de l’économie est devenu un jeu de népotisme et de droit d’accès. Il y a très peu de choses à faire avec l’avenir du pays. Il y a très peu de choses à faire avec chacun d’entre nous. Nous devrions prendre en considération cet avertissement d’un rapport de la Banque Mondiale« Il n’y a pas de mines de diamants renouvelables, seulement des pays produisant des diamants avec des économies viables ».

Tweaking the Old or Building Something New ? Dealing with the Troubled Political Economy of Mining in SA

Notes

[1Marikana est un village situé au Nord-Ouest de l’Afrique du sud. Il a été le théâtre d’une fusillade policière en août 2012 suite à la grève des foreurs de la mine de Platine de Marikana.