Dans une première partie, l’auteur rappelle que le sionisme n’est pas un projet colonial classique mais est un « colonialisme de peuplement », notion qui aide à mieux comprendre la nature du projet sioniste en Palestine depuis la fin du 19e siècle. Les colons ont suivi la principale logique adoptée par les mouvements coloniaux : créer une communauté propre en éliminant les peuples présents préalablement sur le territoire où l’on s’est installé. Réfugié·es et victimes de persécutions au sortir de la guerre, iels ont cherché à construire une nouvelle Europe ailleurs et se sont appuyé·es sur des justifications religieuses et culturelles pour coloniser la terre d’autrui.
Les expulsions forcées de peuples autochtones étaient admises dans le contexte des 16e, 17e, et 18e siècles, époque qui a connu l’essor de l’impérialisme et du colonialisme, et qui a justifié l’élimination des autres peuples non occidentaux en les déshumanisant. La particularité du sionisme est qu’il est apparu sur la scène internationale à une époque où, partout dans le monde, on commençait à s’interroger sur le « droit » de supprimer les peuples autochtones. C’est pourquoi les sionistes ont toujours cherché à dissimuler ce dessein d’élimination.
Au début du projet colonial sioniste, ses dirigeant·es arguaient qu’il était possible de construire une démocratie tout en éliminant la population locale. Les sionistes ont justifié leurs actions d’élimination contre les Palestinien·nes en parlant de « représailles » ou de « réponse » aux actions palestiniennes. Mais par la suite, iels ont simplement cessé de justifier leurs actions.
Selon Pappé, il existe une corrélation entre la manière dont le nettoyage ethnique s’est déroulé en 1948 et les opérations menées par Israël à Gaza aujourd’hui : à chaque fois, les massacres sont commis au nom de l’autodéfense. Toutes les opérations militaires pendant la Nakba de 1948 ont été présentées comme des représailles à l’opposition palestinienne au plan de partage de l’ONU de novembre 1947. Or, par la suite, les sionistes se sont passé·es de justification pour leurs opérations de nettoyage ethnique. Après le 7 octobre 2023, de la même manière, les actions israéliennes ont d’abord été présentées comme des représailles à l’opération Déluge al-Aqsa mais, à présent, l’offensive « épée de guerre » vise à ramener Gaza sous le contrôle direct d’Israël, par le biais d’un nettoyage ethnique.
Ce discours sur la « défense » et les « représailles » est un élément essentiel du « bouclier immunitaire » dont Israël bénéficie de la part des gouvernements occidentaux : ainsi, Israël se pense comme faisant partie du monde démocratique et occidental et ne craint nullement les sanctions internationales.
Comme en 1948, Israël poursuit actuellement son opération militaire et se passe de prétexte. Cependant, devant l’ampleur des destructions et des massacres à Gaza, les Israélien·nes vont avoir du mal à continuer d’adhérer aux théories de l’autodéfense ou de la réaction, et beaucoup de gens risquent de ne plus accepter cette explication israélienne du génocide à Gaza. Il devient très clair que le 7 octobre est utilisé comme prétexte pour achever ce que le mouvement sioniste n’a pas pu achever en 1948. Le génocide orchestré s’appuie sur la déshumanisation des Palestinien·nes, enseignée aux Israélien·nes depuis le plus jeune âge par le système éducatif, le système de socialisation dans l’armée, les médias et le discours politique.
Pour autant, Ilan Pappé se refuse au désespoir. Selon lui, cette nouvelle tentative d’élimination du peuple palestinien signe l’échec du projet colonial sioniste. Même si le rapport de force est très inégal, avec des allié·es puissant·es aux côtés de l’État d’Israël, l’auteur souligne que peu de choses unissent le groupe de personnes se définissant comme la « nation juive » en Israël. Entre les juif·ves laïques (qui croient en un État démocratique pluraliste tout en maintenant l’occupation et l’apartheid à l’égard des Palestinien·nes) et le « sionisme messianique » (qui s’est développé dans les colonies juives de Cisjordanie) qui n’a aucune considération pour la démocratie, il y a peu de points communs. Si la seule la base d’appartenance commune repose sur un projet génocidaire, alors le mouvement sioniste va se désintégrer.
Pappé présage une délocalisation de l’argent et des personnes en dehors de l’État d’Israël, conduisant à une « société économiquement faible, dirigée par ce type de fusion entre le sionisme messianique, le racisme et les politiques d’élimination des Palestinien·nes ».
Même si ce moment de l’histoire est très sombre, avec une politique d’élimination des Palestinien·nes extrêmement brutale et sans précédent, l’auteur l’analyse comme une ultime tentative de sauver un projet colonial qui se désintègre, car « de tels projets s’effondrent généralement de manière violente ».
Tirant les leçons des erreurs de la décolonisation dans de nombreuses parties du monde, l’auteur conclut sur les alternatives possibles à l’État sioniste, qu’il ne faut pas chercher en Europe ou en Occident mais plutôt au Machrek (la Méditerranée orientale) ou dans le monde arabe, où des modèles de société respectant les identités collectives et les droits individuels existent.