72 ans plus tard, la Nakba continue

, par El Salto Diario , CHECA HIDALGO Diego, RAMOS TOLOSA Jorge

La Nakba n’est pas un événement historique ou un lieu dans la mémoire collective, c’est une réalité quotidienne présente dans la vie de la population palestinienne.

Ces derniers jours, on a commémoré le 72e anniversaire de la Nakba palestinienne, véritable traumatisme pour la mémoire collective du peuple palestinien, qui se souvient de la souffrance causée par les événements qui, en 1948, ont vu plus de la moitié de la population native de la Palestine historique expulsée de chez elle. Plus de 175,000 personnes dont les villages et localités ont été détruits par le nettoyage ethnique planifié et mis en œuvre par le projet colonial de peuplement sioniste. Aujourd’hui, des millions de Palestien·nes qui y ont survécu, ainsi que leurs descendant·es, sont réfugié·es tant dans les territoires palestiniens occupés en 1967 que dans les pays voisins majoritairement arabes.

Manifestation à New York pour les 70 ans de la Nakba, exigeant le droit au retour des réfugié·es palestinien·nes sur leurs terres. Crédit photo : Joe Catron (CC BY-NC 2.0)

Il est important de souligner que ni le sionisme ni l’État d’Israël ne représentent le judaïsme et les communautés juives. De fait, jusqu’à la première moitié du XXe siècle, la majorité des personnes juives n’étaient ni sionistes ni antisionistes ; et aujourd’hui, de nombreux groupes et individus juif·ves n’ont pas de position sur le sujet. Le projet colonial de peuplement sioniste est né et s’est développé dans l’Europe impérialiste du XIXe siècle : la création de l’État d’Israël en 1948 est son fait, tout comme la Nakba est sa responsabilité. Cet événement historique a été accompagné d’une incroyable violence pour briser la résistance de la population autochtone – présente depuis plus d’un demi-siècle – et la soumettre, l’expulser de la majeure partie du territoire, et ainsi faciliter l’appropriation de l’espace libéré par les vagues coloniales qui ont déferlé sur le levant méditerranéen depuis différentes parties du monde.

Cependant, ces violences, particulièrement virulentes en 1948, n’ont pas pris fin cette année-là. Le sionisme reste l’idéologie officielle de l’État d’Israël et milite pour la majorité ou l’exclusivité juive sur la plus grande étendue possible du territoire de la Palestine historique. L’Assemblée Générale de l’ONU a déclaré qu’il s’agit d’une « forme de racisme et de discrimination raciale » dans la Résolution 3379, bien que la pression conjointe des États-Unis et d’Israël a fait abroger cette résolution par la suite. Les violences épistémiques, structurelles, physiques, symboliques, biopolitiques et nécro-politiques ont continué de s’exercer sur les corps et les territoires habités par la population palestinienne, tout au long de ces dernières décennies et jusqu’à présent. Avec divers degrés d’intensité, la persistance de cette violence la rend partie prenante de la réalité quotidienne du peuple palestinien. Ainsi, les chiffres du Bureau des affaires humanitaires des Nations Unies montrent qu’en 2019, 137 Palestinien·nes ont été assassiné·es et plus de 15 000 personnes ont été blessées suite à des violences directes exercées par les colons et les forces armées israéliennes. C’est une violence qui n’a pas besoin de l’existence d’un conflit armée pour se déclencher – puisqu’elle est intrinsèque au colonialisme – et qui est exercée au quotidien pour contrôler la population sous occupation et réprimer toute forme de résistance.

Au cours de 72 dernières années, le déplacement forcé de la population palestinienne non plus n’a pas cessé : elle continue d’être expulsée des endroits qu’elle habite. Ces mêmes statistiques montrent par exemple que l’année dernière, environ 1 000 personnes ont été obligées d’abandonner leur maison en Cisjordanie, du fait de l’action conjointe d’une législation qui favorise l’appropriation de l’espace par le pouvoir colonial et l’action des bulldozers sur le terrain qui détruisent les infrastructures palestiniennes, sous la protection des forces d’occupation. Plus de 10 000 personnes ont subi ce type de déplacement forcé au cours de la dernière décennie.

Et pendant que l’espace est « vidé » de Palestinien·nes, Israël continue d’alimenter l’appropriation de ce territoire par une nouvelle population de colons qui représente aujourd’hui plus de 650 000 individus, répartis entre Jérusalem et la Cisjordanie. C’est deux fois plus qu’au lancement du processus d’Oslo, au début des années 1990 : cette augmentation ne semble pas être près de s’arrêter puisque par exemple, en 2019, un nouveau chantier de 2 000 maisons a été lancé et des plans de construction pour 8 500 autres ont été établis afin d’accueillir encore plus de colons dans le futur proche, comme le souligne l’organisation israélienne Peace Now.

Face à cela, l’Autorité Palestinienne, née du processus d’Oslo, n’a pas réussi à devenir un véritable État ; pas tant du fait de sa non-reconnaissance par Israël ou par la communauté internationale, mais plutôt parce que le pouvoir colonial l’empêche d’exercer effectivement sa pleine souveraineté de façon indépendante sur le territoire et la population palestinienne, et continue à nier l’existence palestinienne. Le fameux « Accord du Siècle », présenté en janvier 2019, n’est qu’une tentative néocoloniale du tandem israélo-étatsunien de légaliser l’illégal et d’annexer encore davantage de territoire palestinien, dans la droite lignée de l’axiome sioniste d’obtenir le plus de territoire possible avec le moins de population native palestinienne possible. De fait, la nouvelle des intentions de Netanyahu, grand ami de Trump, de Bolsonaro et d’autres forces d’extrême droite/néofascistes, de persévérer dans son projet d’annexion de la Vallée du Jourdain et d’autres colonies, ne peut se comprendre que dans le cadre de cette dynamique historique. Une dynamique que le poète palestinien Mahmoud Darwish a bien résumé dans sa phrase : « la terre se rétrécit pour nous ».

De même, voilà des années que de plus en plus de voix palestiniennes et non palestiniennes considèrent que la « solution des deux États » n’est pas seulement injuste pour le peuple palestinien, irréalisable et à caractère clairement colonial, mais de plus qu’elle sert d’écran de fumée depuis des années pour que l’État d’Israël continue de coloniser le territoire palestinien et complexifie son apartheid. Un premier pas, minimum et nécessaire, le plus petit dénominateur commun, serait les trois points exigés par la campagne Boycott, Désinvestissements et Sanctions (BDS), la plus grande coalition de la société palestinienne : la fin de l’occupation militaire qui a commencé en 1967 (résolution 242 du Conseil de Sécurité de l’ONU) ; le démantèlement du Mur de l’apartheid (avis de la Cour Internationale de Justice du 9 juillet 2004) ; la fin de l’apartheid (un crime contre l’humanité selon le Statut de Rome du Tribunal Pénal International – il faut rappeler que les rapports des organismes de l’ONU, comme la CESAO, affirment qu’Israël est un État d’apartheid) et le droit au retour de la population palestinienne réfugiée (Résolution 194 de l’Assemblée Générale de l’ONU). Il ne faut pas oublier que l’État d’Israël a été plus souvent officiellement condamné par le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU que n’importe quel autre État dans le monde ; et que depuis les années 2000, les forces armées et les colons israélien·nes ont assassiné plus de 2 000 enfants palestinien·nes.

Pour tout cela, aujourd’hui nous nous souvenons de la Nakba, non seulement comme un événement historique, ni comme un lieu dans la mémoire collective du peuple palestinien, mais bien comme une réalité quotidienne qui reste présente dans la vie de la population palestinienne.

À voir aussi : Gaza Stories, un projet multimédia palestinien en français et en anglais, qui cherche à mettre en lumière le vécu au quotidien dans la bande de Gaza.

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