Comment ne pas rendre compte de la situation à l’est du Congo

, par Africa is a Country , EDON Anaëlle (trad.), NOTHIAS Toussaint

La couverture du conflit en RDC par les médias occidentaux est ponctuée d’inexactitudes, de simplifications abusives et de préjugés raciaux, alimentant ainsi des récits dangereux au lieu d’informer le monde.

Goma City.
Photo Baron Reznik CC BY-NC-SA

La première victime de la guerre n’est pas la vérité, comme le dit l’adage. C’est la paix. Mais la vérité arrive en deuxième position. Il y a un mois, le groupuscule armé congolais M23 a pris d’assaut la ville de Goma, capitale du Nord-Kivu. Des milliers de personnes ont été tuées lors de la dernière escalade d’un conflit dont l’histoire est longue et complexe. Le M23 combat l’armée congolaise (FARDC) et ses nombreux alliés, comprenant des mercenaires étrangers, des milices locales appelées Wazalendo, des soldats du Burundi et des armées d’Afrique du Sud, ainsi que les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR). Les FDLR ont été fondées par les membres de l’Interahame, des miliciens ayant commis le génocide rwandais de 1994 à l’encontre des Tutsis et qui se sont réfugiés en RDC à la fin du génocide. Début mars, le M23 a pris le contrôle de la ville de Bukavu. Après avoir refusé à plusieurs reprises des pourparlers de paix, le président congolais Felix Tshisekedi a finalement accepté de participer à des discussions avec le M23.

Nous devrions encourager les médias à prêter attention aux conflits souvent ignorés. Moins il y a de visibilité, plus il y a de risques d’escalade du conflit et de violation des droits humains. L’exposition publique permet aussi d’appliquer des pressions diplomatiques, de mieux comprendre les conflits et enfin d’encourager le dialogue. Mais la visibilité peut aussi souffrir de distorsions néfastes. Et malheureusement, la couverture actuelle de la crise en RDC est souvent inexacte, elle manque de contexte, elle est erronée et dangereusement stéréotypée. Ci-après, quatre exemples flagrants qui illustrent cette négligence.

Premièrement, la couverture médiatique a, jusqu’à présent, mis l’accent sur le fait que le M23 est soutenu par le Rwanda, qu’il est un mandataire du Rwanda, et que la RDC est envahie par une force étrangère. Bien qu’il soit prouvé que le Rwanda soutient le M23, le récit d’une invasion étrangère est, au mieux, trompeur, au pire, dangereusement inexact.

Les rebelles de M23 sont aussi congolais que l’armée congolaise ; en réalité, beaucoup faisaient partie de l’armée congolaise. Le groupe a été créé en 2012 par des soldats mécontents de leurs conditions de travail et, plus important encore, du traitement réservé à leur groupe ethnique : des citoyens congolais tutsis appelés les Banyamulenge. Pendant des décennies, les Banyamulenge ont fait face à des discriminations, à de violentes attaques et à des menaces d’extermination ou d’exil. Ils sont pris pour cible en raison de leur ethnie, considérés comme « étrangers » tutsis. Sur les réseaux sociaux, l’incitation à la haine des anti-Banyamulenge est endémique. Les dirigeants politiques et militaires, les acteurs de la diaspora et les leaders communautaires promettent que ceux qui sont du côté des Tutsis « seront définitivement écrasés, comme du maïs dans le moulin ». Ces voix promettent de « nettoyer les Banyarwanda » des villes et proclament la guerre « contre les Tutsis ». Les appels à tuer les Banyamulenge ont beaucoup circulé. Cette idéologie violente de haine ethnique est soutenue et encouragée par la présence continue et les activités violentes de la force génocidaire des FDLR en RDC.

Il est très dangereux de réduire la situation actuelle à une invasion étrangère, car c’est soutenir les idéologies du génocide et la xénophobie qui étayent le traitement des Banyamulenge dans l’est du Congo. Cela alimente une narration dangereuse qui mène à de la violence à l’encontre de ces populations. De plus, ce récit simpliste omet le fait que le M23 fait partie de l’Alliance Fleuve Congo (AFC), une coalition congolaise multiethnique composée de 17 partis politiques, deux groupes politiques et plusieurs milices armées. En réalité, l’AFC est menée par un politicien congolais, Corneille Nangaa, qui, jusqu’à récemment, travaillait pour la commission électorale ayant ratifié l’élection du président congolais actuel, Tshisekedi. Et si le M23 s’est d’abord constitué en groupe d’autodéfense pour défendre les Banyamulenge, il a ensuite évolué pour s’opposer plus largement à la corruption et à la mauvaise gouvernance du pays.

Il y a peu de doutes quant au soutien du gouvernement rwandais envers le M23. Depuis 1994, le gouvernement rwandais a sans cesse répété qu’il ne serait pas en paix tant que des membres du FLDR ne seront pas arrêtés et jugés au Rwanda. Le fait que les FDLR aient pu continuer à s’entraîner, s’organiser et tuer juste à côté de la frontière rwandaise, ainsi que diffuser leur idéologie haineuse est profondément déstabilisant pour toute la région. Cela explique en partie pourquoi la crise implique à la fois le Rwanda et la RDC. Mais réduire la situation à l’est du Congo à une invasion rwandaise est trompeur.

Deuxièmement, une partie de cette couverture est totalement inexacte. Par exemple avec cet article d’Al Jazeera, qui déclare : « Le M23 affirme défendre l’ethnie tutsie, qui s’est réfugiée en RDC lors du génocide de 1994 au Rwanda. » Cette déclaration confond le M23 (mouvement qui affirme défendre l’ethnie congolaise des Tutsis appelée Banyamulenge) avec les FDLR (mouvement créé par les militaires et les miliciens rwandais ayant commis le génocide et fui au Congo en 1994). Alors que ce soit clair : ceux qui ont fui le Rwanda pour le Congo en 1994, ce sont les soldats et miliciens extrémistes pro-Hutu qui ont commis le génocide. Les Banyamulenge d’ethnie tutsie ne se sont pas réfugiés en RDC lors du génocide. Ils étaient déjà au Congo. Si vous vous demandez pourquoi il y a des ethnies tutsies des deux côtés de la frontière entre la RDC et le Rwanda, cela s’explique par la division coloniale arbitraire de l’Afrique au 19ème siècle. Ce problème concerne tout le continent. Mais, dans la mesure où les frontières sont ce qu’elles sont aujourd’hui, il est dangereux et faux de nier que les Banyamulenge sont congolais.

Troisième exemple si l’on s’intéresse à cet article de Ruth Maclean, chef du bureau d’Afrique de l’Ouest pour The New York Times. Maclean propose un récit simplifié qui explique la raison des combats entre les « rebelles soutenus par le Rwanda ». « Selon leurs dires, ils protègent l’ethnie tutsie, le groupe minoritaire massacré lors du génocide en 1994, dont certains vivent aussi au Congo. Mais les experts s’accordent à dire que la véritable raison vient des minéraux rares du Congo qui sont utilisés pour fabriquer nos téléphones et nos appareils. Les mines du Congo enrichissent les rebelles (et leurs commanditaires au Rwanda). » On ne dit pas aux lecteurs qui sont ces experts. Les inquiétudes concernant le traitement des communautés Banyamulenge sont mises de côté. Pour Maclean, la vraie explication de cette crise : c’est la cupidité du M23 et du gouvernement rwandais.

Dans une vidéo explicative qui accompagne l’article, elle s’exprime à nouveau sur les véritables motivations du M23 et du Rwanda : « Les experts des Nations nies pensent que les rebelles exploitent en fait l’est du Congo pour ses ressources minières. ». Pour preuve, le spectateur peut voir pendant quatre petites secondes, une capture d’écran d’un rapport des Nations Unies. Mais si l’on met en pause la vidéo pour lire le document, il raconte une autre histoire. La section du rapport mise en avant se concentre sur les « abus par les Wazalendo ». On peut y lire : « Les groupes armés du Sud-Kivu continuent à exploiter la crise AFC/M23 pour remobiliser, consolider et étendre le contrôle territorial, ainsi qu’exploiter les ressources naturelles ». En d’autres termes, l’extrait montre que les groupes Wazalendo (c’est-à-dire les milices alliées à l’armée congolaise qui combattent le M23) profitent de la crise en exploitant les ressources naturelles. Lorsque le chef de bureau de l’Afrique de l’ouest s’occupe d’un conflit en Afrique Centrale/de l’Est, c’est à ce type de confusion que l’on peut s’attendre.

Cela ne veut pas dire que le M23 n’a pas exploité de mines ou financé son armée par le biais d’exploitation minière illégale. Il est question ici de principes journalistiques fondamentaux et d’une erreur d’attribution. Dans un journal qui se vante d’employer les « meilleurs » journalistes du monde, l’inexactitude factuelle évidente et la distorsion passent au travers des mailles du filet, ce qui nourrit un récit réducteur et unilatéral. Les conflits en Afrique méritent aussi d’être vérifiés factuellement.

Dernier exemple : prenons cet article de The Associated Press, intitulé « Des rebelles soutenus par le Rwanda s’enfoncent dans l’est du Congo tandis que les Nations Unies signalent des exécutions et des viols ». Ce reportage a été repris par d’autres organismes de presse, dont la CBS et la CBC. Les gros titres sous-entendent que les rebelles du M23 sont responsables de viols collectifs. Mais la déclaration des Nations unies raconte une toute autre histoire : la commission des droits humains de l’Organisation des Nations unies a documenté des « cas de violences sexuelles liées au conflit par l’armée (congolaise) et les combattants Wazalendo alliés » et était en cours de « vérification de rapports selon lesquels 52 femmes ont été violées par les troupes congolaises dans le Sud-Kivu, dont des rapports de potentiels viols collectifs. » Alors que le rapport des Nations unies attribue ces cas de violences sexuelles à l’armée congolaise et à ses milices alliées, les gros titres les attribuent aux « rebelles soutenus par le Rwanda ». Soyons clairs, le M23 est aussi sûrement responsable d’abus. Le même rapport accuse le M23 d’être responsable de 12 exécutions sommaires et les Nations unies ont émis de sérieuses accusations au fil des années contre le M23. Les violations des droits humains devraient toujours être dénoncées, peu importe qui est responsable. C’est un autre exemple d’erreur d’attribution et une démonstration du manque d’exactitude journalistique dans la couverture de la crise du Congo de l’est.

Il résulte de cette couverture inexacte, bâclée, confuse et déroutante, un récit dangereux : un groupe d’étrangers violents et sans merci, tutsis, sont en train d’envahir le Congo pour que le Rwanda puisse profiter des richesses du pays. Tel que Ruth Maclean le dit : « Ils volent les terres, gagnent de l’argent, et en récoltent les bénéfices. » Cette rhétorique s’aligne sur la théorie du complot du génocide qui appelle à combattre l’établissement d’un empire Tutsi-Hima imaginaire. On nous rappelle à plusieurs reprises que le président rwandais Paul Kagame est un Tutsi et que son gouvernement est dominé par les Tutsis (ce qui est faux), mais on ne nous rappelle jamais que le Rwanda post-1994 s’est débarrassé des labels ethniques pour faire en sorte que les habitants du pays soient aujourd’hui simplement des rwandais. On nous parle des ressources minières du Congo, mais on nous parle peu de l’exploitation actuelle des ressources minières par des entités étrangères et des sociétés de Chine, d’Amérique du Nord, d’Europe et d’ailleurs, avec la bénédiction des autorités congolaises. Une exploitation à échelle industrielle, dans tout le pays, qui se chiffre à plusieurs milliards de dollars et qui n’est rien en comparaison avec les profits que le M23 aurait supposément tiré des minerais pour financer sa progression (800 000 $ par mois, d’après les récentes estimations des Nations unies).

Et, plus important peut-être, on ne nous parle quasiment pas de la collaboration entre l’armée congolaise et les FDLR. On nous dit rarement que le président congolais a publiquement et de manière répétée promis de déclarer la guerre au Rwanda et s’est vanté de l’acquisition d’armes pouvant atteindre Kigali. Avons-nous vu des images des mercenaires franco-roumains employés par l’armée congolaise fuyant le conflit au Congo et se dirigeant vers le Rwanda pour s’y rendre ? Ces entreprises de sécurité privées sont liées aux réseaux d’anciens militaires français ayant participé à différents conflits en Afrique depuis les années 90 (dont celui au Rwanda en 1994). C’est alors assez paradoxal que les médias surnomment régulièrement le Rwanda « la chérie de l’Ouest », tandis que l’on parle peu des opérateurs occidentaux tels que ces mercenaires ; alors que la plupart des pays occidentaux ont intensément dénoncé le Rwanda lors de la dernière escalade du conflit ; et alors que les médias occidentaux ont ouvertement accusé le Rwanda de cette crise.

Ces inexactitudes factuelles fondamentales, ces distorsions et cette absence de contexte ne passeraient pas la phase de l’examen éditorial si le conflit n’avait pas lieu en Afrique. Cela fait partie d’une tradition longue et lassante. Ces biais sont tout autant le résultat de forces structurelles qui façonnent la production internationale d’informations que le reflet d’un racisme culturellement et sociologiquement enraciné dans le domaine journalistique. La réduction des budgets consacrés à l’information étrangère a encore accéléré la dépendance à l’égard des agences de presse en tant que principale source de couverture journalistique. Ce phénomène concerne particulièrement la couverture des actualités en Afrique et il contribue à l’établissement d’un récit unique pendant les premières étapes du développement de nouveaux récits. Le traitement de « l’Afrique » en tant que secteur journalistique distinct a toujours été fait de postulats racistes qui nient la complexité, l’humanité et la diversité des expériences africaines et cela explique pourquoi les plus grandes organisations de presse, comme The New York Times, estiment que leur chef de bureau localisé au Sénégal sera tout à fait capable d’écrire sur un conflit en RDC. La confusion entre le M23 et les FDLR, ou la mauvaise compréhension des conclusions du rapport des Nations Unies, sont autant d’inexactitudes factuelles causées par des contraintes de temps. Elles reflètent aussi des stéréotypes profondément ancrés selon lesquels toutes les parties des conflits africains sont également et nécessairement violentes, impitoyables et irrationnelles.

Dans un livre récent, le spécialiste de la presse J. Siguru Wahutu, nous rappelle qu’il est aussi essentiel de prêter attention au rôle des organisations de presse africaines dans le façonnage des récits d’informations sur les confits africains. Les distorsions s’alignent en partie avec la ligne rhétorique défendue par le gouvernement congolais, qui résonne avec les médias congolais. À Kinshasa, les organisations de presse principales, comme la Radio Télévision Nationale Congolaise (RTNC) ont appelé « agression Rwandaise » la dernière escalade du conflit. Tandis qu’au même moment, les radios locales et les réseaux sociaux voyaient monter la rhétorique anti-tutsie et le sentiment xénophobe. Cette narration politique menée à l’échelle locale renforce les biais idéologiques dans les médias occidentaux et en résulte une couverture médiatique de faible qualité, réductrice et dangereuse aussi bien à l’intérieur du continent qu’à l’extérieur.

Nous avons le droit d’avoir des avis différents sur le conflit ainsi que des théories différentes sur la géopolitique de la région, mais cela doit être basé sur des informations vérifiées plutôt que sur une couverture bâclée. Ces reportages médiocres sont injustes pour les victimes congolaises de la crise. C’est également insultant pour les journalistes, africains et étrangers, qui cherchent à faire du reportage de qualité sur des conflits complexes dans des conditions précaires et dangereuses. La situation est complexe et volatile. La priorité devrait être les civils, et la dernière chose dont a besoin la crise c’est un reportage de mauvaise qualité qui risque d’enflammer les tensions.

Sur le long terme, les organisations de presse internationales peuvent mettre en place beaucoup d’actions pour améliorer leur couverture médiatique ; créer des équipes de surveillance des médias dans les organismes de presse afin d’évaluer si la couverture contribue à la reproduction de stéréotypes ; encourager les journalistes à rechercher d’autres sources et d’autres voix, avec une perspective tournée vers l’expertise africaine largement disponible, pourtant constamment mise de côté ; garantir une utilisation cohérente des normes éditoriales et de vérification des informations ; faire du multilinguisme une compétence clé pour les correspondants travaillant en Afrique ; renforcer la diversité des employés tout au long de la chaîne de production de l’information (notamment en incluant des journalistes africains à des postes à responsabilité) reconsidérer l’utilité de la description du poste de « correspondant africain », pour n’en nommer que quelques-unes.
Plusieurs de ces initiatives sont peu coûteuses. Ce qu’elles nécessitent, avant tout, c’est la volonté du milieu journalistique de reconsidérer la façon dont les choses ont été faites pendant trop longtemps.

En parallèle, nous souhaitons une plus grande humilité des journalistes qui pensent que le conflit est un récit simple, plus d’exactitude et de contextualisation des organismes de presse, et une compréhension accrue des conséquences mondiales du récit dans la presse.

Voir l’article original en anglais sur africasacountry.com