La Souveraineté technologique

Une odyssée de l’espace autogérée

, par FRANCO Marta G., SPIDERALEX

Les récits de science fiction ont modelé un futur technologique dans lequel nous utiliserions l’espace pour faciliter, sur la terre, la communication par ondes. Les satellites artificiels ont été interprétés par un officier militaire spécialisé dans les radars, acquérant par la suite une renommée internationale sous le nom de Sir Arthur C. Clarke, l’auteur de 2001, l’Odyssée de l’Espace. Un de ses articles, publié en 1945 dans le magazine Wireless World, a défini les bases des satellites géostationnaires placés en son honneur dans l’orbite de Clarke, juste au-dessus de la ligne de l’équateur.

Dans les années 50 ont eu lieu les premières expériences d’utilisation de l’espace par l’armée américaine pour la propagation de radiocommunications utilisant la lune comme réflecteur passif. Le contexte historique était marqué par la guerre froide et la conquête de l’espace. Les revues pulp, telles que Satellite Science-Fiction, étaient remplies d’extra-terrestres aux dangereuses tendances communistes. En 1957, l’Union soviétique a lancé le premier satellite artificiel Spoutnik dont les signaux radio sous forme de bips peuvent encore être perçus. Aux Etats-Unis, à cette époque, on assiste à une psychose collective et ce n’est qu’en 1962 que le pays arrive à lancer le Telstar I, en créant ainsi un premier lien télévisuel international pour que la culture nord-américaine continue d’augmenter son aire de diffusion.

Paradoxalement, lorsque la conquête spatiale a commencé à se concrétiser, elle a semblé plus ennuyeuse que ce que la culture populaire avait envisagé. À partir de là, l’Association des astronautes autonomes, une coalition néo-situationniste d’explorateurs anonymes, nous a mis en garde contre les élites technologiques qui « tentent seulement de placer dans le paysage mental de notre mémoire leur version du voyage spatial dont le thème pourrait être "Toi tu ne vas nulle part. Tu dois juste te limiter à t’asseoir et à regarder comment, nous autres, nous voyageons vers les étoiles" ». À ce moment-là, cela semblait être de la science-fiction, mais les deux décennies qui ont suivi la publication de ce manifeste ont vu surgir, face à l’entreprise spatiale des complexes militaires et industriels, une kyrielle d’initiatives qui plaident pour l’exploitation de l’espace « depuis en bas ».

En 1961 déjà, le lancement d’OSCAR (Orbiting Satellite Carrying Amateur Radio) par un collectif de radioamateurs a marqué un tournant dans l’usage libre de ce type de satellite pour parler et échanger des données. Les satellites miniaturisés se distinguent pour être de taille réduite et ne peser « qu’une » demi-tonne. Leur format les rend plus accessibles du point de vue coût étant donné qu’ils peuvent être lancés par des fusées également plus légères. Ils se déplacent en orbites moyennes ou basses en émettant des signaux directement aux équipes mobiles sur terre.

Depuis 2008, les Danois Kristian von Bengston et Peter Madsen ont développé le projet sans but lucratif intitulé Copenhagen Suborbitals dont l’objectif est la construction et le lancement de fusées développées en dehors des programmes spatiaux gouvernementaux et des entreprises multinationales. Cela semble fonctionner assez bien et ils collaborent avec des ingénieurs aérospatiaux qui offrent de leur temps libre.

D’autre part, l’importance des satellites qui tournent autour de la Terre en matière de souveraineté nationale est toujours évidente. Nous pouvons le constater dans les décisions comme celle du gouvernement vénézuélien de lancer le satellite Simon Bolivar en 2008, clé pour assurer aux régions les plus isolées du pays un accès à Internet, à la téléphonie mobile, à la télévision, aux applications éducatives et à la santé à distance. Le Simon Bolivar est situé en une orbite géostationnaire appartenant à l’Uruguay, lequel en échange peut utiliser jusqu’à 10 % de sa capacité de communication.

Au vu de l’augmentation exponentielle de la production de contenus audiovisuels, le trafic sur Internet et les effets de régulation, de contrôle et de censure de ces espaces, nous comprenons que la dépendance envers les connexions satellitaires prend de plus en plus d’importance. La télévision publique grecque ERT, fermée par le gouvernement le 11 juin 2013, ainsi que ses salariés qui sont restés motivés et qui se sont fortement mobilisés pour continuer d’émettre des contenus par radio et Internet, ont lancé le 28 août dernier un appel international de soutien à travers la cession de bande satellitaire pour pouvoir continuer d’émettre leurs programmes.

Aux vus de ces situations, plusieurs collectifs se sont sérieusement demandé s’ils n’allaient pas lancer leurs propres satellites et assurer leur présence dans l’espace interstellaire. Ces satellites pourraient assurer que la communication soif fluide, même si l’on tentait de fermer le robinet d’Internet, tout comme c’est arrivé en Tunisie et en Égypte durant le printemps arabe. Lors du dernier Chaos Computer Camp qui a eu lieu pendant l’été 2011, Nick Farr a lancé un appel pour que la communauté hacker commence à travailler conjointement sur le lancement de satellites et, suite à cela, sur le projet d’envoi d’un hacker sur la Lune. La réponse a été donnée sous la forme du Hackerspace Global Grid, un projet développé par les membres du hacklab allemand Shackspace en collaboration avec un projet de computation distribuée, spécialisée dans les projets aérospatiaux appelés Constellation.

Ses objectifs principaux s’orientent pour le moment vers le développement d’un réseau distribué de capteurs qui intègre le ratissage et la communication avec des satellites amateurs situés en orbites basses. Comme le souligne Farr, la motivation première est la création d’une connaissance libre de la façon dont il faut développer les dispositifs électroniques qui sont dans l’espace. Il est intéressant de voir comment plusieurs dispositifs mainstream se sont fait l’écho de ce projet en travaillant sur le lancement d’un satellite permettant d’esquiver la censure sur Internet. Toutefois, le manuel des questions les plus fréquentes du projet indique clairement que cela n’est pas un véritable objectif pour le moment. Cela ne signifie pas que le HGG ne pourra pas à l’avenir couvrir cette possibilité, mais plutôt qu’il reste encore beaucoup de travail avant d’y parvenir.

Enfin, il convient de noter que le OSSI-1 (Open Source Satellite Initiative-1 en anglais) se trouve déjà dans l’espace. Ce dispositif amateur lancé le 19 avril 2013 est l’un des six petits satellites qui accompagnaient le Bion-M No.1, dépendant de l’Académie des Sciences de Russie, conçu par l’artiste et radioamateur coréen Hojun Song, qui a utilisé la technologie Arduino. Malgré les attentes, l’appareil maison n’a pas réussi à se mettre en contact avec la Terre. Les instructions de montage sont sur le site opensat.cc. à disposition de toute personne qui souhaiterait les consulter et les améliorer.

De même, alors que la communauté hacker se prépare, il se pourrait que vous soyez intéressé par ce que deviennent les satellites militaires tombés en désuétude ou en semi-activité. Les satellites communément connus au Brésil comme « Bolinhas »sont des satellites militaires américains SATCOM. La majeure partie des transmissions qui utilisent cette fréquence proviennent d’Amazonie brésilienne et colombienne. Ainsi, les routiers, les commerçants, les travailleurs des scieries, les professeurs et les trafiquants peuvent être en contact à moindre frais. L’utilisation de cette bande est illégale et les autorités nord-américaines tentent de localiser les zones occupées par la triangulation des signaux d’émission. En 2009, avec la collaboration des autorités brésiliennes, 39 suspects ont été accusés d’utiliser illégalement ces infrastructures militaires. Ils se sont vus confisquer leur matériel technologique et ont dû payer de fortes amendes. Une vidéo réalisée par Bruno Vianna évoque cette réalité en montrant le grand intérêt de ce groupe pour la désobéissance civile Comme nous le rappelle dans son manifeste Alejo Duque, qui fait partie intégrante du Mouvement des sans satellite : « Quel rôle, nous autres qui sommes à l’abri et qui avons de quoi manger, nous pouvons jouer dans la création d’une souveraineté délocalisée ? Et dans la création et la transmission de connaissances qui peuvent arriver à reconvertir cette pulsion auto destructrice de l’humanité ? La conjecture de ce manifeste est une équation qui pointe le doigt vers une étincelle qui pointe à l’horizon : nous créerons notre premier satellite fait main et nous l’enverrons dans l’espace sidéral parmi des hordes de satellites industriels corporatifs et gouvernementaux ».