Au moment même où j’écris, l’électricité qui alimente mon ordinateur Frankenstein, mille fois opéré et ramené à la vie, se coupe, ce qui contraint l’onduleur à émettre de petits bips. Tout cela contribue à l’impression que j’ai de vivre dans un vaisseau spatial et cela me rappelle combien nos infrastructures peuvent être précaires. Tout comme l’a déclaré Eleanor Saitta [1], il est plus que probable qu’elles nous fassent défaut ou qu’elles nous mènent à notre perte, avant toute chose.
L’absence de planification et de résilience est causée par une maintenance des infrastructures « publiques » de plus en plus précaire. Des jeux politiques décidés par des personnes dont les vies s’avèrent bien plus courtes que les infrastructures qu’elles gèrent. Pressions et trafics d’influence afin d’être réélu et d’obtenir des postes de confiance. Corruption systématique. La distance qui se creuse entre les institutions et les citoyens, le public privatisé, les biens communs vandalisés et mis à sac. En même temps, les infrastructures technologiques, sociales et politiques sur lesquelles nous asseyons nos styles de vie deviennent de plus en plus complexes. De ce fait, il se pourrait que les équipes à la tête de la cybernétique de contrôle de ces infrastructures se montrent incapables de détecter les règles et de distinguer à quel moment les digues de la Nouvelle-Orléans cèderont, les réseaux électriques créeront des black-out complets, les centrales nucléaires seront infectées à cause du Stuxnet [2] ou le système financier global s’effondrera avec fracas.
Dans ma propre communauté, mon point d’ancrage dans ce monde en perpétuel changement, les choses vont à vau-l’eau une fois sur deux. Parfois, l’électricité ne fonctionne plus, le projet de gestion intégrale de l’eau stagne, le facteur humain s’amuse à renverser notre stabilité tant convoitée. Il existe de grandes similitudes entre ce que nous tentons de mener à bien de manière autonome avec nos infrastructures de base (eau, électricité, toilettes, cuisine et Internet) et ce qui se passe dans de nombreux autres endroits semi-urbanisés dans cette gigantesque « planet of slums » [3] que devient notre monde. Nous oscillons entre la consommation insensée et non durable des ressources naturelles et technologiques et la construction d’une société basée sur la décroissance, les biens communs et la justice sociale. Un changement qui implique de relever de nombreux défis à la fois : développer et maintenir les infrastructures, rendre les institutions des biens communaux durables, repenser les normes sociales et la manière dont il convient d’y réfléchir comme un tout.
Peut-être que ce dossier n’apportera pas de solutions à ces thèmes « macros », mais il aura le mérite d’avoir proposé des alternatives pour une meilleure compréhension de la question technologique. Il s’agit ici de la partie dans laquelle se reconstruisent les choses à notre manière étant donné que, comme le déclarait Gibson, « La rue trouve toujours ses propres applications aux choses » [4]. La souveraineté technologique nous renvoie à la contribution que chacune de nous apporte au développement de technologies, en sauvant nos imaginaires radicaux, en récupérant notre histoire et nos mémoires collectives, en nous resituant pour pouvoir rêver et souhaiter, ensemble, la construction ici et maintenant de nos infrastructures propres liées à l’information, la communication et l’expression.
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