Le 25 octobre, des milliers de personnes se sont rassemblées en périphérie de Santiago du Chili pour un concert en solidarité avec le peuple palestinien. La Comunidad Palestina de Chile a organisé "Chile Canta Palestina Contra Toda La Violencia" pour collecter des fonds pour les hôpitaux assiégés de Gaza et de la Cisjordanie occupée, avec le groupe populaire folk Illapu, la chanteuse chileno-française Ana Tijoux, ainsi qu’un ensemble de danse traditionnelle palestinienne, la dabke. Ana Tijoux soutient depuis longtemps les droits des Palestinien·nes. Elle a clôturé l’événement en chantant "Somos Sur", qu’elle décrit comme "exprimant l’importance de la résistance non seulement au Chili, mais dans le monde entier". L’enregistrement original met en vedette la rappeuse britanno-palestinienne Shadia Mansour.
Pendant l’événement, la foule a arboré un océan de drapeaux palestiniens et d’écharpes keffieh noires et blanches, symbole de la résistance palestinienne à l’occupation israélienne et aux bombardements qui pleuvent sans discontinuer. Un·e organisateur·ice a accueilli les participant·es à l’événement, affirmant que cette rencontre était une initiative d’artistes chilien·nes qui veulent "faire connaître [la Palestine] aux yeux d’un monde qui ne veut ni voir ni entendre".
Le Chili accueille la plus grande diaspora palestinienne en dehors du Moyen-Orient. Les premièr·es migrant·es palestinien·nes sont arrivé·es au Chili à la fin des années 1800, avant de migrer en masse en Amérique latine au début du XXe siècle. Leurs communautés au Chili se sont formées autour des tentatives d’obtention de la citoyenneté palestinienne auprès des Britanniques au milieu des années 1920 (la Grande-Bretagne détenait un mandat sur les territoires de la Palestine et de la Transjordanie de 1922 à 1948). Les autorités britanniques "refusaient régulièrement la citoyenneté aux résident·es non juif·ves" et ne la proposaient pas aux Palestinien·nes vivant à l’étranger. La communauté palestinienne subissait des pressions pour s’assimiler à la société chilienne, ainsi que des restrictions sur la migration arabe.
Depuis, la diaspora palestinienne est devenue une force puissante dans la politique chilienne, bien qu’elle soit divisée en termes de classes. Le premier député d’origine palestinienne de la classe moyenne a été élu dans les années 1940. Quelques années plus tard, le Chili s’est joint au Honduras et au Salvador, qui ont également des diasporas palestiniennes importantes, en s’abstenant de voter à l’ONU, en 1947, sur la partition de la Palestine. De nombreux·ses Chilien·nes aisé·es d’origine palestinienne se sont ensuite opposé·es au gouvernement de gauche de Salvador Allende dans les années 1970, leur affinité pour la lutte passant après leurs intérêts financiers.
Le président actuel, Gabriel Boric, aligné à gauche, soutient ouvertement la cause palestinienne et prévoit d’ouvrir une ambassade dans les Territoires Occupés. Il a été soutenu par de nombreux·ses Palestinien·nes de la classe ouvrière, et il a condamné la violence et l’occupation israéliennes lors de son premier discours à l’ONU en 2022. Le gouvernement chilien avait déjà reconnu l’État de Palestine en 2011, sous la direction conservatrice de Sebastián Piñera. Israël avait qualifié la visite de Piñera en 2019 au mont du Temple - un site sacré pour le judaïsme, le christianisme et l’islam - avec un groupe de fonctionnaires palestinien·nes de "violation de la souveraineté israélienne".
Bien que l’implication d’une importante diaspora palestinienne ait influencé la politique chilienne de gauche comme de droite, la coopération présumée d’Israël avec le régime de Pinochet, qui a renversé le président démocratiquement élu d’Allende en 1973, plane également en toile de fond. Des preuves montrent qu’Israël a fourni des armes au régime et aurait aidé à former des membres de la Dirección de Inteligencia Nacional (DINA), le service secret de l’époque de la dictature au Chili, accusé d’avoir exécuté ou fait disparaître plus de 3 000 personnes et torturé des milliers d’autres.
L’Amérique Latine réagit
Ces dernières semaines, de nombreux endroits dans le monde ont été le théâtre de mobilisations populaires de solidarité avec le peuple de Gaza, avec des manifestations dans de grandes villes, d’Istanbul à Mexico, exigeant un cessez-le-feu.
Le lendemain de l’attaque surprise du Hamas contre Israël le 7 octobre, le gouvernement israélien a officiellement déclaré la guerre au groupe militant palestinien, qui opère dans la bande de Gaza. En pratique, cela a signifié une attaque militaire israélienne sur l’enclave assiégée, qui abrite environ 2,2 millions de personnes, dont près de la moitié sont des enfants.
Alors que de nombreux gouvernements en Amérique du Nord et en Europe ont exprimé leur soutien à Israël, les réponses officielles en Amérique latine ont été plus diverses. L’Argentine accueille l’une des plus grandes communautés juives d’Amérique latine. [L’ ancien] président Alberto Fernández a condamné l’attaque du Hamas et a offert une aide humanitaire à Israël.
En Amérique centrale, le président d’extrême droite du Salvador, Nayib Bukele, d’ascendance palestinienne, a qualifié sur X le Hamas de "bêtes sauvages" et les a comparés à la Mara Salvatrucha (MS13), un gang criminel salvadorien originaire de Los Angeles. (Le gouvernement de Bukele a été accusé de "violations systématiques des droits humains" dans le cadre de sa guerre contre les gangs.)
Certains États d’Amérique Latine ont adopté une position plus pro-palestinienne. Le Belize et le Mexique ont appelé à une solution politique au conflit, impliquant le droit au retour des Palestinien·nes déplacé·es. Le président colombien Gustavo Petro a adopté une position nettement différente dans sa déclaration après les attaques d’Israël contre les civil·es de Gaza.
"Si j’avais vécu en Allemagne en 1933, j’aurais combattu du côté du peuple juif", a écrit Petro sur X. "Et si j’avais vécu en Palestine en 1948, j’aurais combattu du côté palestinien." La déclaration de Petro a amené Israël à suspendre les exportations militaires vers la Colombie.
Au Chili, le gouvernement de Boric a exprimé son soutien aux droits des Palestinien·nes et a dénoncé les "attaques indiscriminées contre les civil·es" d’Israël.
La Communauté Palestinienne du Chili a elle-même publié une déclaration le jour de l’attaque du Hamas, liant celle-ci aux violations des droits de humains des Palestinien·nes de la part d’Israël : "Nous lançons un appel catégorique à la communauté internationale pour prendre des mesures concrètes afin de garantir le respect du droit international."
Après l’attaque de l’hôpital Al Ahli qui a tué des centaines de personnes le 17 octobre, le groupe a également protesté devant l’ambassade d’Israël à Santiago, appelant à mettre fin à ce qu’elle a appelé « le génocide des Palestinien·nes » et demandant la fin des relations avec Israël. Les autorités à Gaza ont affirmé qu’Israël était responsable de l’attaque, tandis que les États-Unis, la France et d’autres pays occidentaux ont soutenu la revendication d’Israël selon laquelle l’explosion était le résultat d’une roquette mal lancée par un autre groupe militant à Gaza, le Jihad islamique. La cause définitive de l’attaque n’a pas été déterminée.
Au moment de la publication [initiale] de cet article, le bombardement d’Israël a tué plus de 7 000 Palestinien·nes. L’attaque du Hamas a tué environ 1 400 Israélien·nes.
Solidarité entre les Palestinien·nes et les peuples autochtones : "Nous sommes anéanti·es même si nous ne résistons pas"
La géographe critique et éducatrice populaire d’origine indigène maya, Linda Quiquivix, souligne les difficultés de négocier "d’en bas", en tant que peuples soumis, colonisés ou opprimés, avec ce qu’elle appelle le "dessus" - les systèmes et les personnes au pouvoir.
L. Quiquivix considère le droit international comme quelque chose qui ne s’applique pas aux non-Européen·nes, et certainement pas en Palestine, car "l’Europe moderne a été créée comme un espace sûr pour la paix, et le reste du monde, de nos territoires, nos terres, nous demeurons le domaine de la guerre." Selon elle, les Palestinien·nes expérimentent "trahison après trahison" et "font face à des tests de l’opinion des personnes Blanches, des personnes assimilées, des celles qui aspirent à être Blanc·hes... pour condamner leur propre résistance."
Celles et ceux qui se tiennent aujourd’hui aux côtés de la Palestine "se battent depuis très longtemps", selon Quiquivix. "Ce n’est pas seulement une question d’identité [palestinienne]. C’est vraiment le ’dessous’ qui comprend sa propre dignité, et qui ne veut pas écraser les autres."
Bien que n’étant pas d’origine palestinienne, l’activiste Ankatu, qui a préféré ne pas partager son nom de famille, avait l’intention d’assister au concert en périphérie de Santiago. Il a fait écho au sentiment exprimé par Quiquivix.
"Je suis Chilien, mais je suis toujours du côté des gens qui souffrent et qui se battent, pour les pauvres, mais pas les ’pauvres petites choses fragiles’. Nous savons tou·tes que la Palestine a été pillée par Israël", a déclaré Ankatu. "Je ne fais que ce que je ressens, mais tout ce qui se passe dans le monde me fait mal."
Deux jours après l’attaque du Hamas, des groupes autochtones ont organisé une marche de résistance dans la capitale du Chili, quelques jours avant que le Chili ne commémore le Día de la Raza (Journée de la race), marquant le premier contact entre les colons espagnols et les peuples originaires des Amériques. Les manifestant·es ont brandi les drapeaux Mapuche Wenufoye et Ancient Mapuche aux côtés des drapeaux palestiniens, près d’une banderole qui disait : "Notre résistance n’a pas de limite."
"Marquez mes paroles, le 7 octobre 2023 est une rupture, c’est l’un de ces grands événements comme en 1492. Je n’ai aucun doute", a déclaré Quiquivix. Elle soutient que les Palestinien·nes ont enlevé le vernis de l’empire, le vernis "que nous lui avons permis d’avoir en essayant d’y être inclus".
Le leader du groupe militant Mapuche, Coordinateur Arauco-Malleco (CAM), Héctor Llaitul Carrillanca, a publié une déclaration sur la violence à Gaza et en Israël le 12 octobre. Membre de la communauté Mapuche, Llaitul a été arrêté en août 2022 pour différents chefs d’accusation, notamment usurpation et attaques contre l’autorité. Il est enfermé en détention préventive, qui n’impose pas de durée maximale de détention. Le témoignage pouvant valoir à Llaitul une peine de 25 ans provient de témoins anonymes contre lui, conformément à une loi anti-terroriste. Cette loi est régulièrement utilisée pour persécuter les peuples autochtones et d’autres activistes.
Ce procédé est étrangement similaire à la prétendue détention administrative d’Israël, qui permet une "incarcération sans procès ni accusation". Comme le décrit le Centre d’information israélien pour les droits humains dans les territoires occupés, la détention administrative "n’a pas de limite de temps et les preuves sur lesquelles elle repose ne sont pas divulguées".
Llaitul établit une ligne claire entre la lutte des Mapuche pour récupérer leurs terres des industries extractives et la lutte palestinienne pour rétablir une patrie permanente.
"Les normes de droit pénal mises en œuvre par l’État sioniste d’Israël [...] qui ont entraîné des actes de génocide par le sionisme et une résistance honorable et héroïque de la part du peuple palestinien," écrit Llaitul, "ce sont les normes d’un État autoritaire, d’un régime d’occupation qui impose des mesures d’apartheid : c’est précisément ce qu’ils et elles veulent construire au Chili contre notre peuple aussi."
Étant donné les nombreux parallèles, Quiquivix, qui travaille également sur les mouvements des terres appartenant aux populations Noires et autochtones en Amérique latine et au Moyen-Orient, voit l’affinité entre les mouvements de résistance autochtones et palestiniens comme allant de soi.
"Nous venons de voir [le Premier ministre israélien Benjamin] Netanyahu à l’ONU [en septembre], présentant une carte d’Israël où il n’y avait aucune Palestine, zéro", dit Quiquivix. L’élimination sur les cartes, c’est l’un des points communs qui lient la résistance palestinienne et les luttes autochtones dans les Amériques, selon Quiquivix.
"On nous a imposé un monde qui veut détruire nos façons d’être, notre monde. Et si nous résistons, nous sommes anéanti·es. Et nous sommes anéanti·es même si nous ne résistons pas."
Mais Quiquivix met en garde contre une solidarité qui "met en relation via un manque" et qui sous-estime les leçons que le mouvement palestinien au sein de la Palestine a à enseigner aux mouvements plus larges pour la justice et l’équité.
"Pour moi, ce sont d’abord les Palestinien·nes qui m’ont enseigné la dignité... et après cela, j’ai pu le voir dans d’autres luttes, y compris ma propre lutte ancestrale. Et je pense que beaucoup de gens dans le monde entier sont en train d’apprendre massivement cette leçon", dit-elle.
Il est essentiel que d’autres fassent quelque chose avec et prennent soin de "ces graines qu’ils et elles sèment... pour récolter et partager plus de graines de ces récoltes."
[Note de l’éditeur : Cet article a été mis à jour le 1er novembre 2023 pour ajouter le bilan des décès de Palestiniens et d’Israéliens à la date originale de publication le 27 octobre 2023.]