RDC : Stratégie électorale sur fond de répression

Introduction

, par Forum Réfugiés

La RDC connait depuis fin 2016 une situation de transition politique complexe et tendue qui déstabilise le pays du fait du report des élections, avec une réduction forte des libertés civiles et une augmentation très préoccupante des violations des droits civils et de l’insécurité.
Des élections sont prévues le 23 décembre 2018 pour le départ du président Joseph Kabila, toujours au pouvoir alors que son deuxième et dernier mandat a pris fin le 20 décembre 2016. Joseph Kabila, arrivé au pouvoir en 2001 pour succéder à son père Laurent-Désiré Kabila assassiné cette même année, se maintient au pouvoir en usant d’une stratégie de report des élections.

La stratégie du glissement du calendrier des élections par le clan Kabila

Des membres de la communauté Congolaise à Toronto (Canada) protestent après les résultats des élections qui ont proclamé Joseph Kabila vainqueur. Photo : Catchphotography prise le 16 février 2012.

Selon l’article 70 de la Constitution congolaise, le mandat du président de la République démocratique du Congo est d’une durée de cinq ans, renouvelable une fois. L’article 220 interdit quant à lui toute modification constitutionnelle du nombre et de la durée des mandats présidentiels. Joseph Kabila, élu en 2006 puis réélu et 2011 aurait dû ainsi quitter le pouvoir le 19 décembre 2016. Toujours en place en 2018, Kabila, s’il n’a pas réussi à modifier la Constitution, a réussi à en contourner les exigences pour se maintenir au pouvoir en mettant en avant l’impossibilité d’organiser des élections.
Joseph Kabila avait tenté par deux fois de modifier la Constitution (en septembre 2013 lors de la tenue d’un« Dialogue national » puis en septembre 2014) afin de briguer un 3ème mandat, en vain. Il opte alors pour la stratégie du « glissement » et retarde la tenue des élections.

Après des tentatives d’accords entre Kabila et certains partis d’opposition et une série de protestations marquées par des violences durant l’année 2016, un accord entre pouvoir et opposition a été signé sous l’égide des évêques catholiques le 31 décembre 2016 (dit « l’accord de la Saint-Sylvestre [1] ») pour régir la période de transition jusqu’à la tenue des élections, prévues par le texte « au plus tard en décembre 2017 ».
Le texte initial de l’accord de la Saint-Sylvestre prévoit également : le remaniement de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), l’inscription des électeurs avant la fin août 2016, la publication du calendrier électoral avant le 15 avril 2017 et la mise en place d’un organe de suivi, le Comité national de suivi de l’accord et du processus électoral (CNSA) avec, à la tête de cette institution, Etienne Tshisekedi. Mais ce dernier meurt en février 2017 en Belgique d’une embolie pulmonaire.

Depuis, l’application de l’accord du 31 décembre est émaillée de désaccords entre le Rassemblement (la coalition d’opposition) et l’Alliance (la majorité présidentielle).
Entre autres, la nomination de Bruno Tshibala le 27 avril 2017 comme nouveau Premier Ministre, issu de la branche dissidente du parti d’opposition UDPS, a été considérée comme une entorse à l’accord, notamment par les membres de l’opposition la plus radicale. En effet, Bruno Tshibala, qui avait été Secrétaire général adjoint de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), a été exclu de ce parti le 5 mars 2017.

Alors que le calendrier des élections devait être publié avant le 15 avril 2017, la Commission électorale nationale indépendante (CENI), a finalement rendu public le calendrier dimanche 5 novembre 2017 : la présidentielle, les législatives nationales et provinciales sont prévues le 23 décembre 2018. De fait, le nouveau président élu, entrerait en fonction le 12 janvier 2019.
Ce second report des élections, qui devaient donc se tenir en décembre 2016, puis en 2017, offre une année supplémentaire de pouvoir au président Joseph Kabila. Une annonce qui a suscité l’ire de l’opposition congolaise.
La forte augmentation des violations des droits civils et politiques et une restriction très forte des libertés publiques fondamentales, comme les interdictions de rassemblements, de réunions, ainsi que les répressions violentes des manifestations montrent une situation alarmante des droits humains durant cette période de crise politique.

Elections en RDC, Walikale. Photo : MONUSCO/Sylvain Liechti prise le 28 November 2011

En 2017, le Bureau Conjoint des Nations Unies aux Droits de l’Homme (BCNUDH) expliquait : « les autorités congolaises ont imposé de plus en plus de restrictions injustifiées et/ou disproportionnées aux libertés publiques, et des éléments des forces de l’ordre ont commis des actes de violence et de harcèlement à l’encontre d’opposants politiques, de journalistes et de défenseurs des droits de l’homme dans le but de faire taire les voix perçues comme critiques à l’égard du pouvoir en place  [2] ».
En 2017, le BCNUDH a documenté 6.497 violations des droits de l’homme soit une moyenne de 541 violations par mois [3].

Crise politique et crise sécuritaire

La crise politique se double d’une grave crise d’insécurité sur une grande partie du territoire où différents groupes armés s’affrontent : rebelles, groupes ethniques, s’affrontant entre eux et avec les forces armées nationales.

Dans les provinces du Kasaï, du Tanganyika, du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, le nombre de milices et de groupes armés, notamment de groupes d’autodéfense, a augmenté, et les tensions interethniques se sont exacerbées, résultant en un grand nombre d’attaques contre les populations civiles [4].

En 2016 et 2017, les provinces les plus touchées par les violences ont été principalement celles de l’est du pays, notamment le Nord-Kivu et l’Ituri, mais aussi à l’ouest, avec la province du Haut-Katanga, et au Sud, dans les régions du Kasaï et Kasaï central.
Dans la région du Kasaï, l’apparition de la milice Kamuina Nsapu suite au refus du Gouvernement de reconnaître Jean-Pierre Mpandi comme chef coutumier a donné lieu, depuis juillet 2016, à de « violents affrontements entre miliciens et forces de défense et de sécurité, accompagnés de graves violations et atteintes aux droits de l’homme commises par toutes les parties. »
Depuis la mort de leur leader Jean Pierre Mpandi, tué en août 2016 par des militaires, les miliciens Kamuina Nsapu ont mené de violentes attaques contre des agents de l’État. Ils ont aussi utilisé, y compris par la force, des centaines d’enfants comme boucliers humains ou pour mener leurs attaques.
Les violences qui ont éclaté en 2016 quand le chef coutumier Kamuena Nsapu a été tué se sont propagées dans cinq provinces, déclenchant une crise humanitaire sans précédent.

Les violences incessantes ont exacerbé les tensions et les divisions intercommunautaires. Selon Amnesty International, « les factions Kamuina Nsapu et d’autres groupes armés ont proliféré, certains groupes se battant les uns contre les autres. Des politiciens locaux auraient cherché à manipuler les tensions ethniques dans la région, encourageant les milices de certains groupes ethniques à attaquer des personnes d’autres groupes ethniques. »

Le 12 juillet 2017, 38 nouvelles fosses communes ont été trouvées.
Un rapport d’IRIN du 12 septembre 2017 porte le nombre total de charniers à 87 dans le Kasai [5].

Selon le rapport de septembre 2017 du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme (le plus récent disponible à la date de juin 2018), les violences qui affectent la région Kasaï ont causé entre juin 2016 et mai 2017 la mort d’au moins 596 personnes, dont 153 enfants, et le déplacement de plus d’un million de personnes [6].

La société civile violemment réprimée

Toute manifestation de l’opposition est interdite depuis septembre 2016 en RDC. Les autorités ont continué d’interdire et de réprimer les dissidents et les rassemblements pacifiques organisés par les organisations de la société civile, notamment lorsqu’il s’agit de mouvements de protestations contre Kabila et réclamant la tenue des élections. Malgré cela, la rue a été régulièrement investie par la population pour signifier son opposition au maintien de Kabila au pouvoir.

Le chercheur François Polet propose une analyse de l’organisation des contestations congolaises en 3 temps [7], selon les acteurs des mobilisations : un premier temps est dominé par les mouvements politiques des partis de l’opposition à la majorité présidentielle (de 2014 à 2016). Suite au décès du leader de la coalition d’opposition, Etienne Tshisekedi, le 1e février 2017, les forces d’opposition politique se délitent. Dans le second temps, des mouvements de jeunes se présentent sous le label de « mouvements citoyens » et descendent dans la rue pour contester l’accord de la Saint-Sylvestre. Durant cette période, la LUCHA est particulièrement active dans les actions de rues militantes très médiatisées. Mais le climat répressif empêche un mouvement plus général.
[pour en savoir plus sur la LUCHA et FILIMIBI, voir l’article du dossier : https://www.ritimo.org/Au-Congo-RDC-La-Lucha-et-Filimbi ]

Depuis 2017, l’espace protestataire est surtout occupé par des réseaux catholiques, plus modéré que le militantisme des mouvements de jeunes.

Les militants, issus de l’opposition politique ou de la société civile ou des organisations catholiques, sont victimes de harcèlement par les forces de sécurité et d’arrestations arbitraires.
Amnesty international explique : « Le gouvernement a réprimé la liberté d’association des mouvements de jeunes, des organisations de défense des droits humains et des partis politiques. Des mouvements de jeunes, appelant explicitement le président Joseph Kabila à quitter le pouvoir à la fin de son deuxième mandat, comme Filimbi et la Lutte pour le changement (LUCHA), ont été qualifiés de groupes insurrectionnels [8]. »

Les 31 décembre 2017, 21 janvier 2018 et 25 février 2018, des manifestations pacifiques, organisées par le Comité laïc de coordination catholique (CLC), ont été réprimées violemment par les forces de sécurité, qui ont fait usage de force excessive. Au moins 17 personnes ont été tuées, de nombreuses autres blessées par balles et au moins 405 personnes ont été arrêtées arbitrairement.

Selon le rapport conjoint du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme et de la MONUSCO (Mission de l’Organisation des Nations unies en république démocratique du Congo), publié en mars 2018, au moins 47 personnes, dont quatre femmes et trois enfants, ont été tuées par des membres des services de sécurité et des forces de défense alors qu’elles participaient à des manifestations, ou en marge de celles-ci, entre le 1er janvier 2017 et le 31 janvier 2018 [9].

Le 26 mars 2018, des militants de la Lucha avaient organisé un sit-in devant les bureaux de la MONUSCO pour demander des mesures pour contraindre Kabila à quitter le pouvoir. La police a dispersé les manifestants à coups de gaz lacrymogène.
Le 27 avril 2017, la Lucha avait prévu une manifestation pour dénoncer l’inefficacité des autorités et des services de l’ordre et de sécurité dans la province du Haut-Katanga. La manifestation n’a pas été autorisée. Un des militants de la Lucha a été arrêté.
Le 1er mai 2018, pour fêter ses 6 ans d’existence, la Lucha, voulait manifester à Goma pour dénoncer "les massacres de Congolais" dans la province du Nord-Kivu, dominée par les milices armées. Trente et un manifestants ont été arrêtés de façon arbitraire et placés en détention pendant plusieurs heures.

L’interdiction ou la répression des manifestations pacifiques demeurent la règle. Les militants sont l’objet de manœuvres d’intimidation de la part des forces de sécurité et d’accusations de « troubles à l’ordre public » alors qu’ils tentent d’organiser des manifestations pacifiques.