Mouvements citoyens africains : un espoir pour tout un continent

Au Congo RDC : "La Lucha" et "Filimbi"

, par CIIP

La Lucha

La Lucha fondée en mai 2012 à Goma dans le Nord-Kivu, région ravagée par de longues guerres civiles, se réclame exclusivement de la résistance non violente s’inspirant des combats de Gandhi, Martin Luther King et Nelson Mandela. Au départ, elle s’inscrit explicitement dans le sillage du printemps tunisien. Pour appuyer ses revendications ou s’opposer à la violence d’État, elle a recours à des sit-in massifs, annonçant ne jamais répondre à la violence par la violence, elle utilise le lobbying en cas d’arrestations de manifestants.

Selon ses propres dires "les activistes de la Lucha contribuent à l’avènement du Congo Nouveau tel que rêvé par Patrice Émeri Lumumba" en œuvrant à "un Congo de Liberté, un Congo de Justice, un Congo de Paix, un Congo Prospère, un Congo véritablement Indépendant". Elle est composée de jeunes Congolais de tous milieux, origines, religions. Elle pense que cet objectif sera atteint par "les citoyens Congolais eux-mêmes, à condition d’en avoir conscience et d’y œuvrer avec courage et détermination". Dans ses mobilisations, selon leurs thèmes, elle obtient le soutien actif principalement de jeunes ou plus largement de citoyens de tous âges. Comme elle est fortement ancrée dans les milieux défavorisés ses fronts d’actions sont multiples : contre le chômage, pour l’accès à l’eau potable, pour des routes et autres demandes des populations pauvres.

Elle a aussi relayé le besoin d’alternance politique, en particulier face au président Kabila qui voulait briguer un troisième mandat de façon anticonstitutionnelle, alors que son régime a été marqué par de nombreuses atteintes aux droits de l’Homme, la corruption, les guerres civiles interminables et dévastatrices et la misère pour une large partie des Congolais-ses. Dans ce cadre la Lucha s’inscrit avec d’autres mouvements dans la campagne "bye-bye Kabila". Avec d’autres forces sociales et politiques, elle conduit une épreuve de force nationale et obtient une belle victoire, mais la répression est terrible (au moins 40 mort-e-s) et c’est une victoire partielle, car Kabila reste provisoirement président, avec un premier ministre issu de l’opposition, mais il ne devait pas pouvoir être candidat lors des prochaines élections. Celles-ci sont cependant reportées de décembre 2016 à 2017, sans date précise. Kabila s’accroche au pouvoir, sans même avoir brigué un nouveau mandat, et reporte sans cesse ces élections ; de plus il ne semble toujours pas exclure de modifier la constitution pour pouvoir se présenter une troisième fois.

Sur le terrain de la corruption la Lucha a publié une liste des 35 principaux "prédateurs" et a appelé la population à identifier les biens mal acquis en vue de leur saisie, ainsi qu’au boycott des entreprises des corrompus.

Bien que menant des actions éminemment politiques la Lucha refuse d’être un parti politique. Elle n’est pas une association, et n’a pas de porte-parole, estimant ainsi être moins exposée à la répression qui décapiterait sa direction, ceci dans un contexte fortement répressif. Elle se présente comme un réseau de citoyen-ne-s, est organisée en cellules décentralisées de 10 à 20 membres, dont certaines sont centrées sur des tâches communes. Elle estime qu’un mouvement souple et largement décentralisé lui permet de bien s’adapter aux différents milieux. La souplesse c’est l’une de ses forces. Lors d’une rencontre annuelle trois ou quatre grandes actions sont définies et reprises par tou-te-s.

Pour sa communication elle ne peut guère compter sur les médias traditionnels locaux, la presse internationale relaye un peu plus ses mobilisations. La Lucha utilise beaucoup les réseaux sociaux, mais également son réseau de militant-e-s pour sensibiliser la population par des contacts directs pour toucher un autre public.

Filimbi

Filimbi est né officiellement le 15 mars 2015 à Kinshasa en présence notamment de représentants de Y’en a marre, du Balai Citoyen, de la Lucha et d’autres personnalités et de journalistes. Les idées du nouveau mouvement sont traduites immédiatement en chansons, même si les cofondateurs ne sont pas des artistes, mais un banquier (Floribert Anzuluni), un médecin (Franck Otete) et un licencié en droit travaillant en entreprise (Yangu Kiakwama Kia Kizi), donc des hommes non issus de milieux défavorisés. La conférence de presse de lancement s’est terminée dramatiquement par l’enlèvement par des militaires d’une quarantaine de personnes, dont certaines ne seront libérées que dix-huit mois plus tard. Dés sa fondation les leaders de Filimbi sont accusés de terrorisme et de vouloir préparer une insurrection violente, alors qu’ils se revendiquent résolument de la non-violence et du respect du cadre légal, voulant rompre avec les cycles de violence qui ont ravagé le pays. Cette réaction brutale du gouvernement n’a pas empêché le développement du mouvement, malgré le départ de ces principaux animateurs en exil.

Comme pour les autres mouvements citoyens, l’objectif principal de Filmibi est de stimuler la participation citoyenne, en particulier des jeunes, afin d’améliorer les conditions de vie en pesant sur les décisions des autorités au bénéfice de tou-te-s en rompant avec la passivité qui permet aux dirigeants de poursuivre leurs méfaits. Le nom du mouvement, qui signifie "coup de sifflet" en swahili, est un résumé de ce programme : c’est une référence aux alertes que se donnent les habitants des quartiers et villages en cas de menace, appels à la mobilisation, mais aussi à l’arbitre qui siffle les fautes, celles du pouvoir envers la population en l’occurrence. Sur le plan idéologique les leaders de Filimbi se revendiquent fortement, comme la Lucha, de Patrice Lumumba, leader historique lors de l’indépendance congolaise, et de Nelson Mandela. Mais la majorité des jeunes congolais connaissent peu ces personnalités marquantes, pour Filimbi il s’agit donc de renouer avec leurs combats pour enraciner la jeunesse dans un idéal hérité de l’histoire de son pays.

De façon originale Filimbi souhaite articuler son action sur quatre "tiroirs", moteurs potentiels de changement à ses yeux : un tiroir politique (pour une saine gestion du pays par les politiques), un tiroir citoyen (pour une implication large de tou-te-s dans la vie sociale), un tiroir économique (pour que les entrepreneurs s’impliquent dans une action de gestion saine) et un tiroir intellectuel (pour que les intellectuels fournissent une analyse des dangers qui menacent le pays). Dans ce cadre, Filimbi a choisi prioritairement, mais pas exclusivement, la sensibilisation des citoyen-ne-s et des actions de mobilisation complémentaires envers les autorités, autorités en laquelle les Congolais-es ne croient plus guère vu la corruption généralisée.

Pour déployer son action Filimbi a lui aussi décidé d’être un collectif indépendant des hommes politiques dont la population se méfie beaucoup. Le but est d’être « le véhicule d’expression d’une jeunesse indignée, qui en a ras le bol, qui en a marre, mais qui est déterminée à transformer sa frustration en énergie positive et créative » ; il ne s’agit pas de détruire mais de construire, précise les leaders. Filimbi ne cherche pas forcément à réaliser des actions massives, mais celles qui pourront avoir un large écho, grâce à leur caractère symbolique. Cela n’empêche pas le mouvement d’être largement soutenu par les jeunes, parfois par leurs parents malgré la crainte de la répression.

Filimbi a mis en place une coordination collective, qui joue un rôle central. À la différence des mouvements sénégalais et burkinabé, Filimbi n’est pas incarné par des artistes populaires, cela ne l’empêche pas d’utiliser la musique et d’autres formes artistiques pour "parler" aux jeunes. Dans un contexte de clandestinité, Filimbi utilise largement les réseaux sociaux pour s’informer, informer et mobiliser tout en sachant que «  la révolution ne se fera pas sur Twitter, la qualité d’un acte militant passe par le contact et l’échange entre personnes ». La radio reste en RDC le média principal, en particulier hors des grandes villes, Filimbi veille à ne pas en être trop absent, malgré les difficultés. Néanmoins Filimbi reste un mouvement urbain et peine à toucher le Congo profond rural, qui compte 60 % de la population, c’est pour lui un défi à relever. Car ses terrains de mobilisations sont nombreux : la santé, la sécurité, l’éducation, l’emploi et la participation civique peuvent offrir une base d’actions partagées.

Filimbi mène des actions d’interpellation des gestionnaires et élus. Sur la scène centrale avec d’autres mouvements, il s’est inscrit dans la campagne "bye-bye Kabila". Parallèlement Filimbi s’adresse largement aux Congolais-es pour des actions de conscientisation citoyenne, mais aussi pour qu’ils/elles réalisent eux-mêmes des actions concrètes d’amélioration de leur vie quotidienne (creusement de caniveaux dans une visée d’assainissement par exemple). Il lutte également contre les superstitions en expliquant les vraies causes des maladies (eau malsaine et non pas sorcellerie en cas de diarrhée par exemple). Filimbi œuvre aussi à ce que le sort des femmes soit amélioré et est présent sur le terrain de l’information concernant la sexualité.

Filimbi et la Lucha entretiennent des liens avec leurs homologues sénégalais et burkinabé et avec ceux d’autres pays, avec qui ils partagent bien des points de vue. L’avenir dira si leurs actions et leurs ambitions de voir émerger un nouveau citoyen pour une nouvelle société pourra percer le mur de l’obstination du régime Kabila, en lien avec les autres mouvements et partis. En tous les cas ces tentatives de faire éclore un "Nouveau Congo" dans la lignée du rêve de Lumumba méritent d’être encouragées et soutenues.