Qu’est ce qu’un régime totalitaire ?
Il est impossible de donner une définition exacte d’un régime totalitaire, car chaque régime a ses particularités. Ces régimes totalitaires partagent tout de même de nombreuses caractéristiques, résumées par Jeangène Vilmer et Gouéry : un parti unique, une idéologie officielle, le contrôle et le monopole des moyens de communications, la confusion entre l’État, le parti, la nation et la société, la paranoïa, le sentiment d’infaillibilité du leader, la délation, la modification de la réalité, le culte du secret, etc.
L’Érythrée viole par ailleurs à peu près l’ensemble des libertés et droits de l’Homme. Les arrestations et détentions arbitraires sont fréquentes, les libertés de la presse et d’opinion sont bafouées, et la torture et les mauvais traitements au sein de l’armée et des centres de détention sont fréquents.
Un des pays les plus militarisés au monde
Une des caractéristiques les plus importantes du régime totalitaire est le contrôle social et la destruction de la personnalité. En Érythrée, ce contrôle passe par le service national. Le service militaire obligatoire est courant dans de nombreux États et ne constitue pas en soi une violation des droits de l’Homme. Mais en Érythrée, ce service national ne se résume pas un service militaire d’une durée définie.
Officiellement, chaque homme et femme entre 18 et 50 ans doit effectuer 18 mois de service. Dans les faits, hommes et femmes ne sont que rarement autorisés à revenir à la vie civile. Tous ne portent pas les armes, beaucoup sont affectés à des postes dans l’agriculture, l’industrie ou l’administration, tout en demeurant conscrits : en cas d’abandon de poste, ils doivent répondre de l’accusation de désertion auprès de la justice militaire. Cette justice militaire est particulièrement intransigeante et les peines d’emprisonnement sont un véritable calvaire : les conditions de détention sont désastreuses, la torture et les mauvais traitements sont récurrents et aucun recours n’est possible.
Pour s’assurer de la conscription de tous, la dernière année du système éducatif s’effectue dans le camp de Sawa, un camp militaire où les jeunes de 17 ans apprennent les rudiments du maniement des armes. À l’issue de cette année, de rares chanceux sont autorisés à poursuivre leurs études, tandis que les autres enchaînent leur service national. Ce système fait de l’Érythrée l’un des pays les plus militarisés au monde. Régulièrement, les autorités procèdent à des rafles, durant lesquelles toutes les maisons d’un village sont fouillées afin de venir récupérer d’anciens étudiants qui espéraient échapper au service, ou bien les jeunes qui auraient quitté le système éducatif avant la dernière année à Sawa.
Parallèlement, le régime s’attache à placer le soldat érythréen comme un modèle. À l’issue de la guerre d’indépendance, l’armée et les combattants bénéficiaient d’une grande reconnaissance. Mais peu à peu, cette image s’est dégradée, la population sachant pertinemment les conditions du service militaire. La propagande des autorités ignore cette évolution de la société, et continue de vouloir imposer dans l’imaginaire de la société la figure du combattant libérateur, qui ne se bat pas pour sa famille mais pour la Nation.
La surveillance de la population
Les autorités sont parvenues à mettre en place un système de surveillance dans lequel la population est mise à contribution : les services de sécurité usent en effet de nombreux informateurs, souvent appelés « mouchards », chargés de surveiller et de rapporter les informations aux autorités. Ce système a permis de mettre un place un climat de suspicion au sein de la population : un collègue, ami, ou voisin, peut travailler pour le compte des services de renseignements. Un climat de tensions peut rapidement s’installer dans n’importe quelle relation sociale. Ce contrôle n’est d’ailleurs pas limité aux frontières de l’Érythrée. Selon de nombreux témoignages, des « mouchards » sont envoyés dans les principaux pays d’exil et de transit : au Soudan notamment, mais aussi dans les pays d’Europe occidentale.
Outre ces collaborateurs, chaque personne est encouragée à dénoncer son voisin : les familles des déserteurs sont particulièrement la cible de chantage et de délation. En échange de maigres avantages pour le délateur, une famille dont le fils ou la fille a quitté le pays peut être dénoncée. Dans ce cas, elle doit s’acquitter d’une amende et peut être privée de l’accès à certains services.
Ce climat ajoute au sentiment d’insécurité de la population, qui ne doit pas seulement se méfier des hommes et femmes en uniforme, mais de chaque personne. En mars 2015, le président de la Commission d’enquête des Nations unies expliquait que ce réseau d’informateurs était si développé qu’un père pourrait être employé par la Sécurité nationale sans savoir que sa fille l’est aussi, et vice-versa…