Kurdistan : vote pour l’indépendance et maintenant ?

, par The conversation

Après une longue attente et sous la menace de représailles, les Kurdes d’Irak ont finalement voté massivement pour leur indépendance. Les partisans de l’indépendance couvrent un large spectre, allant de ceux qui utilisent ce vote comme un moyen de négocier un avenir meilleur au sein même de l’Irak à ceux qui souhaitent établir un nouvel État souverain.

Bien que l’objectif du référendum du 25 septembre n’ait jamais été clairement proclamé, une chose est sûre : alors que depuis le début, le gouvernement irakien, les États voisins, les puissances régionales et la communauté internationale s’y opposaient, les Kurdes d’Irak ont voté pour leur autodétermination et leur mandat pour l’indépendance a été très clair.

Il suffit d’un court séjour au Kurdistan irakien pour comprendre qu’une séparation avec l’Irak est inévitable, tant à cause du désir kurde de longue date d’avoir une patrie, qu’aux différentes trajectoires que le Kurdistan irakien et l’Irak suivent maintenant depuis plus d’un quart de siècle.

Sous réserve d’actions diplomatiques, économiques ou même militaires menées par l’Irak ou d’autres États, la prochaine étape envisagée par le président du Kurdistan, Masoud Barzani, est d’entrer en négociations avec le gouvernement fédéral irakien concernant le statut futur du Kurdistan. Puisque le gouvernement fédéral aurait à renoncer à sa souveraineté sur le Kurdistan afin qu’il puisse devenir un État, la route vers l’indépendance du Kurdistan passe par Bagdad et en dépend.

Mais même si une séparation reste inévitable, elle ne se fera pas aussi facilement. L’indépendance du Kurdistan va devenir problématique pour les autres Etats avec des mouvements sécessionnistes et il faudra faire face à des enjeux majeurs.

L’étau financier se resserre ?

Le problème le plus urgent auquel un Kurdistan indépendant serait confronté est celui de l’autofinancement. Une grande partie de l’économie domestique du Kurdistan dépend de la Turquie, qui a menacé d’interrompre la circulation des marchandises et de cesser d’exporter le pétrole en raison du référendum. Le Kurdistan irakien est censé recevoir environ 13 à 17 % du budget national irakien. Ce financement est une source de conflit continu et n’a actuellement pas été payé depuis 2014. Le Kurdistan a besoin de cette somme pour conserver son gouvernement et ses services ; sans elle, l’économie s’en ressent. Les partisans de l’indépendance comptent sur la manne financière potentielle provenant de la production pétrolière, mais avec la baisse du prix du pétrole et les bouleversements politiques en hausse, le marché kurde est de moins en moins attrayant pour les investisseurs internationaux.

En fait, depuis 2014, le Kurdistan fait face à une crise financière de long terme. Les coûts de la guerre avec le prétendu État islamique (EI), un afflux de réfugiés et une baisse des recettes pétrolières ont contribué à miner le budget du gouvernement. Depuis 2015, les fonctionnaires n’ont pas été rémunérés ou ont subi des baisses de salaire. Affronter ces problèmes engendrerait des dépenses excessives pour un nouvel État indépendant.

Le référendum de cette année appelait à voter les Kurdes d’Irak ainsi que ceux des quatre provinces kurdes qui sont sous contrôle irakien : Kirkouk, Makhmour, Sinjar et Khanaqin. Bien que ces zones soient actuellement sous le contrôle d’Erbil, Bagdad les revendique également.

Face à la situation financière très inquiétante du Kurdistan, la ville de Kirkouk joue un rôle primordial. Cette ville multiethnique, située à côté de l’un des plus grands champs pétroliers d’Irak, se trouve depuis longtemps au cœur d’un conflit territorial. Elle est sous contrôle kurde depuis 2014, mais avec la diminution de la menace de l’État islamique en Irak, Bagdad pourrait engager des forces militaires pour récupérer la ville et ses champs pétrolifères.

Les négociations que Bagdad et Erbil engageront devront régler la question du statut de ces ressources pétrolières. Un règlement pacifique de ces différends relatifs aux terres et aux ressources permettrait au Kurdistan de se séparer de l’Irak à l’amiable. Mais en examinant le nord et le centre de l’Irak sur une carte, on s’aperçoit que Kirkouk n’est que l’un des nombreux points chauds potentiels dans les zones qui font l’objet de contestations de part et d’autre des frontières du Kurdistan, de Mossoul à Tuz Khurmatu.

Une ascension éprouvante

Même au sein de la communauté kurde d’Irak, le référendum au Kurdistan n’a pas fait l’unanimité. Certaines parties ont fait valoir que le moment était mal choisi ; d’autres ont exprimé des inquiétudes quant au Président Barzani qui s’en serait servi afin de garantir son propre avenir politique. Jusqu’au jour du référendum, il n’était pas certain que les bureaux de vote de Kirkouk ouvrent.

De plus, le Kurdistan n’a pas seulement une population kurde - et beaucoup (y compris l’Iran et la Turquie) sont concernés par le statut et l’avenir des Arabes, des Turcs et autres minorités. Le mélange de nationalités dans un territoire étroitement lié à l’identité kurde et où le nationalisme kurde est depuis longtemps revendiqué, constitue un obstacle dont le Kurdistan devra tenir compte lorsqu’il sera indépendant de l’Irak s’il souhaite rester stable.

Cependant, le sentiment exacerbé de nationalisme kurde parmi les Kurdes eux-mêmes semble nécessaire pour mobiliser la société afin d’obtenir un vote positif, ce qui devra également être soigneusement dirigé par le gouvernement du Kurdistan. Dans le cadre du référendum, Barzani a très clairement déclaré que le Kurdistan ne resterait pas en Irak et ne serait pas commandé par des puissances extérieures. Mais que se passerait-il si les promesses d’un État indépendant n’étaient pas tenues ?

Les négociations entre Erbil et Bagdad ne garantissent rien. S’ils veulent éviter une crise, Barzani et les autres dirigeants devront mener une politique rigoureuse et tenir à long terme les engagements qui seront pris avec la population de Bagdad et du Kurdistan - si le peuple se mobilise et participe à l’ascension, un retour en arrière serait risqué.

Actuellement, il appartient à toutes les parties impliquées de prendre en compte deux idées majeures. À savoir qu’il sera difficile et laborieux de faire reconnaître un nouvel État souverain en tant que tel, et qu’il faudra du temps avant d’adopter une résolution en ce qui concerne le Kurdistan irakien. Le référendum pour l’indépendance a fait valoir un avenir optimiste, mais il reste encore beaucoup de défis à relever.

Lire l’article en anglais sur le site The Conversation

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Cet article a été traduit de l’anglais au français par Cendrine Lindman et Virginie de Amorim, traductrices bénévoles pour Ritimo.
Le texte original a été publié le 29 septembre 2017 sur le site The Conversation sous licence Creative Commons (CC BY-ND 4.0).