Jeunesse rurale et migration internationale

José Carlos Alves Pereira

, par ALAI

 

Cet article a été publié initialement en espagnol dans le n° 460 (novembre 2010) de la revue América Latina en Movimiento, intitulé Migraciones : Hacia la ciudadanía universal. Il a été traduit par Paloma Pérez, association « … Et Faits Planète » (www.etfaitsplanete.org), traductrice bénévole pour rinoceros.

 

La vallée de Jequitinhonha, dans le Minas Gerais au Brésil, est caractérisée par une infrastructure socio-économique précaire et une expropriation historique des terres des paysans par les propriétaires terriens, les hommes d’affaires et les politiques. Cette situation entraîne une migration des jeunes vers les monocultures de café, d’orange et de canne à sucre dans différentes régions du Brésil, mais aussi vers les États-Unis, l’Espagne et le Portugal.

Ce texte sera axé sur le cas des jeunes migrant vers le Portugal. Leur processus de migration s’effectue dans des conditions de clandestinité qui leur font vivre des relations contradictoires de solidarité, camaraderie, xénophobie, trafic et violation des droits. Mais pour migrer dans de telles conditions sociales, les jeunes doivent réunir certaines dispositions préalables.

Tout d’abord, connaître un ami ou fiancé(e) dans la région de destination qui puisse le loger chez lui/elle.

Ensuite, négocier avec les coyotes les conditions de paiement du voyage au Portugal, qui peut coûter jusqu’à dix mille dollars américains [1]. Étant donné que les jeunes ne disposent pas d’une telle somme d’argent, ils sont contraints de faire appel à la « mise en gage » de leurs biens. Pour près de 1 500 dollars, on met en gage des immeubles, des bovins, des mobylettes ou des parcelles de terrain [2]. Dans ce cas, c’est le groupe familial qui évalue et décide si le projet de migration peut être réalisé. En arrivant à destination, les migrants doivent envoyer de 500 à 800 dollars par mois pour rembourser leur dette au coyote.

La troisième étape est d’arriver au lieu de destination, d’être accepté, de trouver un travail, de payer ses dettes et de vivre là-bas sans papiers, puisqu’ils entrent sur le territoire portugais à l’aide d’un visa de touriste valable seulement un mois. Que recherchent les jeunes migrants ? Atteindre la prospérité et vivre sans que le minimum vital social leur manque [3].

Comment les jeunes intègrent-ils ce réseau de migration ? La Vallée de Jequitinhonha avoisine la ville de Teofilo Ottoni, où se trouvent beaucoup de migrants provenant de Governador Valadares (Mato Grosso) ayant des relations avec des amis et de la famille à l’étranger. Ces deux communes et la migration internationale des jeunes sont étroitement liées à la féminisation de celle-ci. Les filles de Jequitinhonha améliorant leur niveau d’éducation migrent pour étudier ou travailler à Teofilo Oton, où certains de leurs chefs sont de Governador Valadares. Ceux-là, ayant un accès facile aux réseaux de migration internationale, les invitent ou les induisent à travailler à l’étranger.

Quand elles sont enfin à l’étranger, certaines d’entre elles stimulent l’immigration de leurs collègues, frères et sœurs ou fiancés, qui avaient auparavant migré vers les monocultures et viennent maintenant grossir les réseaux internationaux de migration.

Cette articulation entre parents, amis, coyotes et migration temporelle est un canal d’accès à l’immigration car, grâce aux accords et stimulations reçus de l’extérieur et au travail dans les monocultures, les jeunes peuvent réunir une partie du coût du voyage, ce qui leur donne la possibilité d’émigrer, même au risque d’être emprisonnés, déportés ou de perdre le patrimoine familial.

Sans papiers

Globalement, il existe cinq catégories de migrants internationaux : les migrants globaux, les migrants professionnels, les réfugiés, les migrants climatiques et les migrants sans papiers. C’est dans ce dernier groupe que se trouve le flux de Jequitinhonha. Ceux-là diffèrent des « migrants globaux » ou embauchés par des programmes comme « Work and Travel » [4].

Pour les jeunes de Jequitinhonha, l’immigration ne modifie pas la nature précaire de leur précédent travail dans les monocultures. Arrivés au lieu de destination, ils font le « sale travail » (service domestique, construction, cultures, garde d’enfants, prostitution, etc.) mais ne sont pas plus désirés dans la vie sociale, sont victimes de discrimination ethnique et culturelle, perçoivent de bas salaires comparativement aux niveaux internationaux et vivent dans la clandestinité. Les immigrants globaux, par contre, ont le droit de rester, sont des professionnels qualifiés, bénéficient de hauts salaires et sont légalement protégés.

L’émigration des jeunes est liée au manque d’alternatives dans leur région d’origine, aux rêves, aux subjectivités, aux luttes pour la dignité humaine et aux opportunités d’emploi. Voyons les témoignages de jeunes migrants :

Le travail est plus valorisé. […] Cela fait deux ans et demi que le suis là-bas. Je suis nounou. Je ne gagne pas beaucoup, mais mon père et ma maman ne souffrent plus comme avant. Aujourd’hui, ils sont bien habillés et bien alimentés. (Maria, 23 ans, Novo Cruzeiro-MG)

Écoute, pour arriver à quelque chose, il faut qu’on sorte d’ici. Si tu restes ici, tu ne fais pas irruption dans la vie. Je veux dire, le lieu des gens se démantèle peu à peu (Sandoval, 23, Araçuai-MG).

Ceux qui survivent à la violation de leurs droits et à l’exploitation contribuent à la survie de leurs familles et à améliorer leur lieu d’origine grâce à l’envoi d’argent et d’articles et par l’amélioration de leur habitat. En ce sens, cette migration reflète une réaction face à la carence du minimum vital social et est une façon de maintenir l’existence du lieu d’origine. D’un côté, lors de l’immigration, ces jeunes sont victimes de la violation de leurs droits, d’expropriations, de stigmatisation, de criminalisation, de déportations, etc. De l’autre, les nouveaux objets acquis deviennent des marques ou des symboles de migration exprimant des changements dans le style de vie et la culture (Martins, 1988).

Afin de lutter contre la pauvreté et la traite des humains, un des défis pour les sociétés globalisées est de développer des politiques de migration basées sur les droits humains et la citoyenneté universelle.

José Carlos Alves Pereira est doctorant en sociologie à l’Universidad Estadual de Campinas (UNICAMP)

Notes

[1Concernant la migration de jeunes de Jequitinhonha vers les États-Unis, le coût du voyage peut atteindre 19 000 dollars. Mais, depuis 2006, suite au durcissement de la politique officielle d’immigration des États-Unis et à la dévaluation du dollar, le flux migratoire a diminué d’intensité et changé de direction vers le Portugal et l’Espagne.

[2En général, cet argent et une partie des biens sont acquis après avoir travaillé dur durant deux ou trois ans dans la canne à sucre. Selon des rapports d’employés, des registres de la Pastorale des Migrants et du Syndicat des Travailleurs Ruraux de Cosmopolis, certains ouvriers coupent jusqu’à 30 tonnes de canne à sucre par jour.

[3CANDIDO, Antonio, Os parceiros do Rio Bonito São Paulo : Duas Cidades, 1971. Dans le cadre de cette étude des transformations sociales et culturelles des paysans de Bofete-SP, on observe que ce même minimum vital social est constitué de l’habitat accessible, l’alimentation, la santé, le travail, le loisir, l’éducation et les conditions de la reproduction socioculturelle au sein d’un groupe.

[4La plupart des migrants qui participent à ces programmes sont de jeunes universitaires de classe moyenne, dont les âges varient entre 18 et 28 ans. Ces voyages s’effectuent légalement par le biais d’agences embauchant des jeunes disposés à accepter des postes de travail et de services non qualifiés, intéressés à connaître différentes personnes, faire de nouveaux contacts, améliorer leurs connaissances culturelles et apprendre une deuxième ou troisième lange. La durée des contrats de travail est de trois mois, mais le jeune peut réintégrer le même processus l’année suivante s’il rempli toujours les conditions d’âge et de disposition à travailler dur, mais légalement, dans des activités peu qualifiées. DIAS, Guilherme Mansur, Experiências de trabalho temporario nos Estados Unidos : uma abordagem etnografica do Okemo, Campinas : IFCH/UNICAMP, 2007.