Israël, toujours plus sévère dans son traitement des migrants

David Elkins

, par IPS

 

Ce texte, publié originellement en anglais par Inter Press Service (IPS), a été traduit par T.C., traducteur bénévole pour rinoceros.

 

WASHINGTON, 2 mars 2011 – Un nouveau rapport du Global Detention Project (GDP) sur la politique israélienne de détention des immigrants révèle la dure réalité qui se cache derrière la vision optimiste proposée par le film « Strangers No More ». Récompensé aux Oscars, cet enthousiasmant documentaire suit des élèves issus de familles d’immigrants dans leurs études à l’école Bialik-Rogozin de Tel Aviv.

Le film se concentre sur le travail exceptionnel que fournissent les professeurs de Bialik-Rogozin en apportant une éducation à des enfants qui ont échappé à une grande instabilité politique – parfois même à un génocide – dans leur pays d’origine, en Afrique et ailleurs.

Cependant, « Strangers No More » omet de souligner les menaces de détention et d’expulsion auxquelles doivent faire face de nombreux jeunes migrants et demandeurs d’asile.

Le New York Times a rapporté en début de semaine qu’ « il y a des détails sous-jacents inquiétants à cette histoire, que le film n’explore pas. Sur les 828 élèves de l’école… 120 sont menacés d’expulsion avec leurs familles » car ils ne peuvent être régularisés.

Dans son nouveau rapport, le GDP, une initiative de chercheurs de l’Institut de Hautes Etudes Internationales et du Développement de Genève, détaille les politiques menées en Israël par le gouvernement du parti de droite Likoud, qui visent à restreindre les possibilités pour les demandeurs d’asile d’entrer en Israël et demander le statut de réfugié, tout en redoublant les efforts du pays en matière de détention et d’expulsion.

Début 2010, le Premier Ministre Benyamin Netanyahou a annoncé le projet de construire une clôture le long de la frontière israélo-égyptienne. « Nous ne pouvons laisser des dizaines de milliers de travailleurs en situation irrégulière s’infiltrer en Israël par la frontière Sud et inonder notre pays de clandestins étrangers. », a-t-il déclaré.

Plusieurs mois plus tard, en novembre, Netanyahou a annoncé que le gouvernement construirait un grand centre de détention, pour y confiner jusqu’à 10 000 « infiltrés » – des non-ressortissants sans autorisation de séjour – afin de dissuader les immigrants potentiels.

En février, les médias israéliens ont rapporté que le gouvernement avait décidé d’aménager un petit centre de rétention à l’aéroport Ben Gourion de Tel Aviv pour y détenir des enfants et des familles en attente d’être expulsés. Un activiste cité dans le rapport du GDP a qualifié ce projet de « souillure morale qui ne s’effacera pas ».

Précédemment, en 2009, le pays avait mis en place une force de police spéciale appelée l’Unité Oz (« oz » signifiant force en hébreu) afin d’appréhender d’ici 2013 les 280 000 sans-papiers que compterait Israël. Cette unité a suscité de nombreuses controverses, et est notamment accusée de maltraitance envers les migrants.

« Beaucoup de pays ont adopté des politiques sévères de détention des immigrés au cours des dernières années. », a indiqué Michael Flynn, le directeur de recherche du GDP. « Mais la politique du gouvernement israélien sort du lot ».

Selon Flynn, la réaction du gouvernement semble motivée par plusieurs facteurs.

« D’une part, les élus israéliens semblent extrêmement sensibles aux différences ethniques en raison du souci qu’a le pays de demeurer un État juif. », a-t-il dit. « De plus, le pays entretient des relations antagonistes avec beaucoup de ses voisins, ce qui fait que les questions de sécurité aux frontières l’obsèdent particulièrement. »

Une des manifestations de la préoccupation d’Israël au sujet du nombre croissant d’immigrants est le durcissement de sa politique d’asile. Depuis qu’il a signé la Convention de l’ONU relative aux réfugiés en 1954, Israël a accordé le statut de réfugié à moins de 200 personnes, bien que le HCR (Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés) ait enregistré plusieurs milliers de demandes d’asile au cours des deux dernières années seulement.

Selon le GDP, récemment, le gouvernement israélien a rendu encore plus difficile l’obtention du droit d’asile. En janvier sont entrées en application de nouvelles directives qui ôtaient au HCR la responsabilité d’étudier les demandes d’asile pour la confier au Ministère de l’Intérieur israélien.

D’après un avocat israélien interrogé par le GDP, ce changement de politique a « tout simplement été un désastre ». Les gens qui déposent leur demande d’asile au Ministère de l’Intérieur la voient souvent rejetée sommairement et sont ensuite placés en détention provisoire au ministère, ce qui a quelque peu « refroidi » les demandeurs d’asile.

Souvent, ces derniers ne peuvent même pas entrer dans le pays. Parmi les personnes détenues à la frontière par l’Armée israélienne, nombreuses sont celles qui sont renvoyées de force en Égypte, et certaines disparaissent parfois complètement, selon des témoignages cités par le GDP.

Le HCR et d’autres groupes ont sévèrement critiqué cette politique de hot return (« retour à chaud »). En 2007, l’ONG israélienne ‘Hotline for Migrant Workers’ (Assistance téléphonique aux Travailleurs Immigrés) a intenté un procès contre cette politique auprès de la Haute Cour de Justice. Il est toujours en instance.

La plupart des demandeurs d’asile et des immigrés illégaux, qui viennent d’un certain nombre de pays d’Afrique et d’Asie orientale, traversent la péninsule égyptienne du Sinaï pour atteindre Israël, où ils sont d’abord arrêtés par l’armée israélienne, qui les livre ensuite au Ministère de l’Intérieur pour être enfermés dans un des centres de rétention du pays.

Des statistiques citées par le GDP indiquent qu’en août 2010, 1042 résidents non autorisés étaient détenus depuis une période dépassant les 60 jours préconisés, sans avoir commis de délit. Certains de ces détenus étaient enfermés depuis des années : un Congolais et un Kényan étaient emprisonnés depuis 2004, un Éthiopien depuis 2005, et deux Guinéens depuis 2006.

Une des infrastructures clef est la prison de Saharonim, située à proximité de la frontière Sud d’Israël, où des familles entières sont enfermées. Selon des informations fournies au GDP par la Hotline for Migrant Workers, les pères y sont séparés des mères et des enfants, dont la plupart sont détenus pendant des mois sous des tentes et ne sont pas scolarisés.

En août 2010, il y avait 206 femmes et enfants à Saharonim, dont certains venaient d’Érythrée, d’Éthiopie, du Soudan et de plusieurs autres pays africains.

Des enfants ont aussi été détenus à la Prison Givon près de Ramla. Leur situation était si terrible qu’elle a poussé un membre du Likoud à dire lors d’une audience du Knesset en 2009 que les mineurs qui y étaient détenus étaient traités de manière « pervertie et inhumaine ».

Alors que le problème du retour des réfugiés palestiniens constitue toujours un obstacle majeur pour la paix israélo-palestinienne, le traitement qui est fait en Israël à la population immigrée non-palestinienne a été largement délaissé par les médias.

Cependant, la critique croissante des politiques israéliennes laisse présager des complications supplémentaires dans les relations du pays avec ses voisins et avec la communauté internationale.

« Israël a longtemps été critiqué pour son attitude envers les Palestiniens. », a rappelé Flynn. « Mais maintenant, il y a une prise de conscience progressive de la détresse des migrants dans le pays, et avec le tumulte récent en Égypte, il est probable que la peur d’‘invasion’ du gouvernement ne fasse que s’accentuer. »