Pourquoi il est important de comprendre la détresse particulière des déplacé·es internes en Afrique

, par The conversation , MASUKU Sikanyiso

Il y a plus de 13 ans maintenant, l’Union Africaine a adopté un accord pour prévenir les déplacements arbitraires de personnes et garantir la dignité des victimes.

Cependant, en Afrique, le problème persiste de façon notoire. En 2018, près de 19 millions de déplacé·es internes étaient Africain·es, pour un total d’environ 45,6 millions de personnes au niveau mondial.

Des familles déplacées internes au Sud Soudan en 2010.

Les conflits et la violence sont la principale cause des déplacements internes à l’échelle planétaire. Or, selon les statistiques de 2018, près de 70 % des déplacé·es internes se trouvent en Afrique, du fait de conflits armés et des violations des droits humains qu’ils engendrent

Les désastres environnementaux sont la deuxième cause des déplacements internes en Afrique, s’élevant à 15 %.

Les victimes de déplacements internes sont souvent plus nombreuses que les réfugié·es d’autres pays. Cependant, elles reçoivent bien moins d’attention de la part des principales organisations humanitaires, des chercheur·ses et des médias.

Leur niveau de vulnérabilité a été largement documenté. Mais la plupart des publications généralisent leurs expériences, peu importe les causes sous-jacentes de leur déplacement. Ou bien elles font des amalgames à partir de leurs expériences. Les déplacé·es sont souvent perçu·es, à tort, comme jouissant d’une meilleure situation que les réfugié·es. Cette perception a pour effet d’intensifier leur vulnérabilité et de prolonger leur déplacement.

Une compréhension plus fine pourrait être bénéfique pour l’aide humanitaire et les professionel·les du développement, dans leur travail de soutien aux populations déplacées.

Mes recherches sur les personnes déplacées et les populations réfugiées en République Démocratique du Congo (RDC), en Somalie et au Soudan du Sud ont montré que les personnes déplacées au sein de leur propre pays font face à des risques bien particuliers.

Passer à travers les mailles du filet

La situation des réfugié·es est souvent très régulée, que ce soit dans leur installation volontaire ou dans des camps de réfugié·es (ce qui les rend plus visibles et plus accessibles). Au contraire, les déplacé·es internes sont dispersé·es, ce qui rend difficile leur identification et leur secours.

Face au peu d’intérêt de l’appareil mondial pour la paix et la sécurité, les conflits civils, les gouvernements autoritaires et les violations aux droits humains sont l’une des principales sources de déplacements forcés.

Un exemple historique pertinent est celui du Soudan. Dans les années 1980, les peuples agro-pastoraux Nuer et Dinka ont été déplacés de leurs terres traditionnelles riches en pétrole par l’État. Des milices soutenues par l’État, puis des soldats de l’armée nationale ont mis en place des garnisons, occupé les terres et empêché les déplacé·es de revenir vers l’ouest du Haut Nil.

Quand le déplacement est provoqué par l’État, les victimes n’ont souvent aucun accès aux mécanismes de protection, et certaines personnes ne sont jamais repérées. Cela rend encore plus difficile d’assurer les garanties de protection qui leur sont dues.

Là où ce sont les gouvernements qui sont responsables des déplacements internes, la question est si délicate qu’ils tentent souvent de passer les déplacements sous silence. Cela rend difficile la collecte de données. Sans données fiables, il est difficile pour les organisations humanitaires et de développement de mettre en place les recommandations de l’UNHCR relatives aux responsabilités nationales pour la prévention des déplacements internes et de trouver des solutions durables.

Plus le déplacement s’éternise, plus il est difficile d’y remédier. Plus de 15 pays africainsont prolongé les situations de déplacement pendant plus de cinq ans.

Écart dans les données et dans les niveaux de protection

L’UNHCR a une définition unique de « réfugié·e ». Ce n’est pas le cas des déplacé·es internes. Chaque pays possède sa propre définition.

Ces disparités ont pour conséquence de nombreux écarts dans les niveaux de protection pour celles et ceux qui ne cochent pas les bonnes cases dans chaque pays. Celles et ceux qui fuient les désastres environnementaux, la pauvreté, le sous-développement et la sur-population sont particulièrement en situation à risque. Ces facteurs sont appelés les causes principales du déplacement.

Là où les personnes fuient à cause de nombreux facteurs, établir des profils devient encore plus difficile. Par exemple, dans le cas de la population pastorale de Somalie, les déplacements peuvent être liés à l’effet conjoint de la sécheresse, des conflits inter-clans et de l’insécurité qui met leur survie en péril. De nombreuses personnes sont dans l’incapacité d’articuler clairement l’interaction complexe des facteurs qui les ont poussées à fuir leur maison.

De ce fait, établir des rapports statistiques sur les déplacements internes est tout un défi.

Lorsque l’État est lui-même en difficulté pour établir la collecte des données, il n’a pas la capacité à prendre l’ampleur de la gravité de la situation humanitaire, ni à établir des partenariats avec des agences extérieures afin d’améliorer sa capacité d’intervention nationale.

Le gouvernement soudanais, par exemple, a été blâmé d’être peu ou mal préparé pour la gestion des désastres, et pour sa faible capacité à coordonner l’aide essentielle pour des millions de déplacé·es internes. En l’absence de réponses globales et de long-terme, les sécheresses fréquentes ont régulièrement provoqué le déplacement de population au Soudan.

Là où aucune solution n’est apportée aux facteurs qui provoquent des déplacements internes, comme au Cameroun, ces déplacements continuent d’avoir lieu, mais en plus cela contribue à l’insécurité dans la région.

S’atteler au problème

La vulnérabilité accrue, le peu de visibilité et les faibles mécanismes de protection pour les populations déplacées par rapport aux réfugié·es sont dus à une mauvaise évaluation de leur situation de détresse particulière. De ce fait, comme on l’a vu dans les cas du Soudan, de la RDC, du Nigéria, de la Somalie et d’autres, les déplacements se prolongent souvent et deviennent cycliques.

Le nombre de déplacements liés à la pauvreté et aux désastres naturels d’une part, et de ceux liés aux conflits et aux violations aux droits humains de l’autre, sont en augmentation constante. Cependant, les conflits et les violations des droits restent la cause principale des déplacements internes en Afrique. Par conséquent, pour qu’une intervention soit efficace, elle doit s’atteler aux violations des droits humains, au sous-développement, aux inégalités socio-économiques et aux conflits, afin de promouvoir une disparition durable des déplacements internes en Afrique.

Voir l’article original en anglais sur le site de TheConversation