Haïti : un pays en quête de stabilité

Histoire et chronologie sur Haïti

, par CDTM 34

Haïti : une perle montagneuse

Située dans les Antilles, la République d’Haïti est la partie Ouest de l’île de Saint Domingue ; la partie Est étant la République dominicaine. En 1492, cette île fut "découverte" par Christophe Colomb qui la nomma Hispaniola. Elle avait alors un important couvert forestier. Elle était habitée par des Indiens "taïnos" qui furent tués ou réduits en esclavage. Haïti a un relief très accidenté : les mornes (montagnes) culminent à 2680 m et il n’y a que de rares plaines. Quelques îles (de la Gonave, de la Tortue) complètent le territoire principal.
En raison de la croissance démographique, les habitants ont déboisé massivement les mornes pour augmenter les surfaces cultivables. Actuellement, le couvert forestier d’Haïti n’est que de deux pour cent, soit l’un des taux les plus faibles au monde. C’est d’ailleurs ce qui explique, , les coulées de boue, les inondations et les glissements de terrain qui ont tué des milliers de personnes au cours des huit dernières années. Les mornes à nu étant improductifs, la densité de population dans les zones cultivables est forte.

Le mode de culture hérité de l’époque coloniale provoque un important exode rural vers les principales villes du pays (Cap Haïtien, Gonaïve et Port-au-Prince la capitale, qui compte plus de deux millions et demi d’habitants). Port-au-Prince, que le séisme de 2010 n’a pas contribué à désengorger, a vu sa population multipliée par trois depuis 1991. La plupart des nouveaux arrivants viennent grossir les rangs des bidonvilles environnants, dont le plus important, « Cité soleil », situé entre le port et l’aéroport et qui compterait à lui seul près de 300 000 habitants. Des chiffres qu’il semble difficile d’affirmer puisque, suite au séisme, les Nations Unies rapportent que 1,3 million de personnes auraient quitté la capitale pour remonter au Nord du pays.

Haïti est l’un des pays les plus pauvres du monde : sur l’indice de développement humain (IDH) établi par l’ONU, il figure au 158ème rang sur 187 pays.
Ce petit pays, pauvre économiquement et affaibli par de nombreuses catastrophes naturelles qui concourent à une situation humanitaire périlleuses, reste riche de son histoire et de sa culture. Haïtise trouve aujourd’hui confronté à plusieurs grands défis, dont un défi politique qui vise à créer un véritable Etat-Nation, capable de composer avec la communauté internationale et qui permettrait de créer les conditions nécessaires à l’émergence d’une économie. Et un défi écologique, avec la nécessité d’inscrire la reconstruction suite au séisme, ainsi que le modèle agricole, dans une logique de développement durable.

De l’indépendance à la nécessaire création d’un Etat Nation

Après sa découverte, l’île, dépourvue de grandes ressources (ni or, ni argent), sera délaissée par les Espagnols. La présence française date du XVIème siècle avec une installation sur l’île de la Tortue, puis sur la partie nord de l’île principale. Cette colonie faite d’aventuriers et de pirates reçoit le soutien du roi de France qui obtient de l’Espagne une souveraineté sur la partie occidentale de l’île.
Les Français introduiront des cultures coloniales : canne à sucre, café, cacao et coton. L’île devient riche et à la fin du XVIIIème siècle, elle est la colonie la plus riche du monde. Elle produit à elle seule 85% de la production mondiale de sucre. Cette richesse repose sur le travail des esclaves importés d’Afrique dans le cadre du commerce triangulaire, et sur le monopole de l’exportation vers la Rochelle et Nantes.

La révolution française va causer la chute de ce système colonial esclavagiste. En 1791, les esclaves noirs se révoltent pour que leur soient appliqués les principes de la révolution « tous les hommes naissent libres et égaux en droit ». Toussaint Louverture, un régisseur noir (chargé de l’administration d’un domaine) affranchi, prend la tête de cette révolte. L’abolition de l’esclavage en 1794 va le rallier temporairement à la France. Nommé général en chef, il s’empare de la partie espagnole de l’île et donne une unité politique à l’île de Saint-Domingue. Il légifère seul, proclame une constitution et gère le territoire de façon de plus en plus indépendante.

Napoléon le perçoit alors comme un rebelle et refuse cette marche vers l’indépendance en raison de la position stratégique de l’île et de sa richesse économique. En 1802, l’empire envoie 20.000 soldats pour reconquérir Saint-Domingue. Malgré l’arrestation de Toussaint Louverture, l’opération est un échec. Les anciens esclaves parviennent à refouler les troupes de l’empire et le 1er janvier 1804, le général Jean-Jacques Dessalines proclame l’indépendance de la République d’Haïti, première République noire au monde et deuxième Etat indépendant du contient américain.

Mais cet Etat n’est pas accepté par les puissances européennes et les Etats-Unis voient d’un mauvais œil une république noire qui pourrait donner des idées aux esclaves américains. La République d’Haïti se retrouve donc, dans un premier temps, complètement isolée.

En 1825, Charles X reconnaît Haïti moyennant le remboursement des terres confisquées, soit la somme de 90 millions de francs-or, ce qui représente une année de budget de la France de l’époque. Cette dette, très préjudiciable au futur développement économique du pays, sera payée jusqu’en 1893. Haïti obtient une reconnaissance sur la scène internationale et se présente comme le symbole de la dignité noire. Le pays sera très actif pendant le XIXème siècle, aidant Bolivar dans son combat pour l’indépendance des pays d’Amérique Centrale. En 1919, Haïti fera partie des membres fondateurs de la SDN (Société des Nations) par la signature du Traité de Versailles. Plus récemment, Haïti a aidé la France à faire du français une langue officielle aux Nations Unies.

Mais la réalité intérieure du pays ne correspond pas à ce prestige international : depuis l’indépendance en 1804, le pays n’a jamais connu de stabilité politique. Peu après le règne de Dessalines, Haïti fut coupé en deux systèmes politiques distincts : au Nord, une monarchie dirigée par le Roi Christophe, au Sud, une république dirigée par Pétion. En 1844, la partie orientale de l’île fait sécession sous le nom de République dominicaine, ce qui donnera les frontières actuelles à la République d’Haïti. Le pays ne connaîtra pourtant pas de stabilité politique durable. Haïti sera tantôt soumis au joug de dictateurs tels les Duvalier père et fils, tantôt sous occupation américaine ou sous tutelle de l’ONU. Depuis l’indépendance, sur la cinquantaine de chefs d’Etat qui se sont succédés, une trentaine a été tuée ou renversée par un coup d’Etat.

La fin du XXème siècle a été très confuse. Le président Aristide qui constituait un espoir pour les Haïtiens et la communauté internationale, a installé un régime de terreur par l’intermédiaire de milices appelées chimères. Des journalistes ont été assassinés et l’opposition violemment réprimée. Coups d’Etat, opération des Etats-Unis, intervention des Nations Unies. Après la fuite du Président Aristide en 2003, le pays connaîtra de nouveau une instabilité proche de la guerre civile. Les élections ont été repoussées 4 fois avant de voir René Préval élu à la présidence de la République en 2006. Aujourd’hui, pour la première fois, Haïti a un président démocratiquement élu qui s’est vu remettre l’écharpe présidentielle par un président qui, lui-même, avait été élu démocratiquement. Nouveau venu en politique, le chanteur populaire Michel Martelly, élu avec 67% des voix, a pris ses fonctions le 14 mai 2011.

2011 a également vu le retour au pays des anciens présidents Aristide et Duvalier, à l’encontre desquels les plaintes pour crimes contre l’humanité n’ont pas été retenues.
Pour bon nombre d’analystes, le redressement d’Haïti passe par la consolidation du processus démocratique et le redémarrage de l’économie.

Deux ans après le séisme de janvier 2010, Haïti semble toujours attendre le réel démarrage de sa reconstruction : les conditions de vie de l’ensemble de la population ne se sont pas améliorées et le pays doit composer avec des problèmes économiques, démographiques et sanitaires.

Haïti et la banqueroute du pays

La banqueroute économique que connaît le pays prend naissance avec les indemnités d’indépendance imposées par les Français. Cette charge a constitué une entrave au développement économique du pays et a continué à peser jusqu’en 1922 en raison d’emprunts extérieurs destinés à la rembourser. Haïti ne s’en est jamais vraiment relevé.

En 1914, Haïti se trouve économiquement à genoux et l’intervention américaine l’année suivante n’arrangera rien. Jusqu’à cette date, Haïti n’était débitrice que d’un seul pays : la France. Durant l’occupation, les Etats-Unis obligeront Haïti à contracter un emprunt de 30 millions de dollars : emprunt politique destiné à transférer la dette haïtienne des mains des Français aux mains des Etats-Unis.
Cette régulière et profonde ingérence économique étrangère n’a jamais permis l’essor d’une économie nationale et un Etat suffisamment fort. Après l’indépendance, le pays n’a jamais eu les moyens de se reconstruire. On a pu dire que « l’histoire d’Haïti est un répertoire de tout ce qu’il ne faut pas faire pour sortir du sous-développement ».
Le gouvernement d’Haïti se livre aux usuriers qui lui font des avances à des taux inconnus en Europe et qui appauvrissent le pays en l’endettant tous les jours d’avantage. La situation économique actuelle est le résultat de l’utilisation d’Haïti comme terrain de jeu pour des puissances occidentales qui s’exercent à l’impérialisme, aggravée par le peu de contrôle accordé aux Haïtiens dans la gestion des dons internationaux résultant du séisme de 2010.

L’économie haïtienne est essentiellement rurale et agricole. l’agriculturereste le principal secteur économique du pays (60% de la population active et 26% du PIB).
Malgré les catastrophes majeures qui ont marqué l’année 2010 : le séisme en janvier, l’ouragan Tomas en novembre, et l’épidémie de choléra venue aggraver la situation sanitaire (6 500 décès recensés et 450 000 personnes touchées) d’une population déjà sinistrée : la sous-nutrition qui affecterait plus de 50% de la population est le signe le plus évident de l’insécurité alimentaire qui frappe le pays.

Le secteur industriel est faible et se limite au textile et aux usines d’assemblages. Les entreprises travaillant pour le secteur national survivent difficilement. Après les coups d’Etat militaires, les firmes étrangères qui représentaient le tiers de l’industrie du pays en 1987 ont quitté Haïti ou réduit leurs activités au strict minimum pour cause d’embargo imposé par la communauté internationale. Cet embargo a eu pour conséquence de multiplier par cinq le prix de l’essence et de nourrir l’inflation. Depuis 1990, 130 entreprises tournées vers l’international ont fermé leur porte, augmentant ainsi le flux déjà très important des chômeurs.

Contrairement à la République Dominicaine, Haïti ne peut compter autant sur la manne touristique. Néanmoins, parmi les initiatives du nouveau gouvernement figure la volonté d’un développement fondé sur la valorisation de la culture par la reprise des activités touristiques. Dernière spécificité, l‘importance économique de la diaspora : un Haïtien sur cinq vit actuellement à l’étranger, soit 2,5 millions de personnes : 1 million en République dominicaine, 400.000 aux Etats-Unis, quelques milliers en France et au Canada. Chaque année, ce sont de 500 millions à 1 milliard de dollars qui sont envoyés au pays, ce qui représente jusqu’à 25% du PIB, soit 3 fois le budget de l’Etat.

De ce fait, le pays qui vit grâce à sa diaspora et à l’aide internationale, se retrouve dans une situation de profonde dépendance, d’autant plus accentuée suite au séisme de janvier 2010. Cette faiblesse monétaire ne permet pas au pays de rembourser ses dettes vis-à-vis des Etats-Unis ou de la France (voir notre dossier sur la dette odieuse et illégitime).

Enfin, Haïti reste sous la dépendance des Nations Unies : A plusieurs reprises l’ONU a prolongé la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH).

Suite au séisme, où en est-on de la reconstruction ?

Le 12 janvier 2010 à 16h53, heure locale, un séisme dévastateur de magnitude 7 sur l’échelle de Richter frappait Haïti, causant la mort de plus de 200 000 personnes et laissant près d’un million et demi de personnes sans abri.

Malgré une forte mobilisation internationale (entre 6 et 10 milliards de dollars ont été promis à la Conférence des donateurs en mars 2010), la lenteur des réparations, l’opacité qui règne dans les circuits de distribution de l’aide et les pesanteurs pour rétablir les réseaux d’eau et d’électricité accablent encore le quotidien des Haïtiens.

Selon Michel Forst, rapporteur spécial des Nations Unies sur Haïti, « il resterait encore 600 000 personnes en errance. Beaucoup de gens pensent que c’est très simple : l’argent arrive, il faut reconstruire. Sauf qu’on ne peut pas reconstruire n’importe où. Haïti est un pays souverain où le droit de propriété existe ».

Par ailleurs, ces problèmes de logement, exacerbés par le tremblement de terre, constituent un point de discorde entre les donateurs et les entreprises haïtiennes. Ces dernières se plaignent en effet que les projets de reconstruction ne bénéficient pas aux entreprises nationales qui pourraient employer de la main d’oeuvre locale et générer des revenus pour la population.

Les critiques affluent quant à la gestion de l’aide internationale. Nombreux sont ceux qui rappellent que le respect, la transparence et l’obligation de rendre des comptes sont les fondements des droits humains.

Quant à l’écrivain haïtien Lyonel Trouillot, il ne mâche pas ses mots : « Aujourd’hui, tout le défi qui se pose aux ONG, c’est de trouver des programmes, les uns plus bidons que les autres, qui pourraient justifier leur présence. Et l’une des astuces est de faire comme si elles travaillaient de concert avec des ONG haïtiennes ».

C’est donc dans le peuple haïtien et dans sa culture de résistance que résiderait l’espoir de la reconstruction...

Chronologie

Avant 1492, l’île d’Haïti était peuplée par des Indiens « taïnos », peuple semi-sédentaire pacifique.

1492 : "Découverte" de l’île par les Espagnols et extermination des populations autochtones.
1697  : Partage de l’île entre la France et l’Espagne.
1794  : Abolition de l’esclavage.
1802  : Rétablissement de l’esclavage par Napoléon.
1804  : Indépendance.
1844  : Division de l’île en 2 parties : Haïti et République dominicaine.
1915-1934 : Occupation par les Etats-Unis.
1957  : Election de François Duvalier à la tête de l’Etat.
1971  : Jean-Claude Duvalier succède à son père.
1986  : Fuite de Jean-Claude Duvalier.
1986-1990 : Succession de coups d’Etat.
1990-1996 : Présidence de Jean-Bertrand Aristide (renversé par un coup d’État en 1991, il revint au pays le 15 octobre 1994 pour finir son mandat après trois ans d’exil).
1996-2001 : Présidence de René Préval.
2001-2004 : Deuxième mandat de Jean-Bertrand Aristide qui se termine par sa démission et son exil.
2004-2006 : Gouvernement intérimaire.
2006  : Election de René Préval comme chef de l’Etat le 14 mai.
2007  : Nomination au poste de premier ministre de Michèle Pierre-Louis, le 31 Août.
2010 : 12 janvier : Un séisme d’une magnitude de 7,0 à 7,3 ravage la région de Port-au-Prince. Un second tremblement de terre d’une magnitude de 6,1 survient le 20 janvier.
novembre : Premier tour des élections présidentielles.
2011  : janvier : Retour à Haïti de Jean-Claude Duvalier.
mars : Retour à Haïti de Jean-Bertrand Aristide.
11 mars : Second tour des élections présidentielles. Election de Michel Martelly à la tête de l’Etat avec 67% des voix. Prise de fonction le 14 mai.
2012  : 24 février : la démission du Premier ministre, Garry Conille, laisse entrevoir de nouvelles tensions politiques. M. Conille était le troisième Premier ministre désigné par Michel Martelly depuis son entrée en fonction.