Les féministes haïtiennes de tous les combats

, par Ballast

Au cœur de l’archipel des Caraïbes, la république d’Haïti. Y naissait, au mitan des années 1930, la première organisation féministe haïtienne. Fania Noël, fondatrice de la revue AssiégéEs — « pour une intersectionnalité révolutionnaire » — et membre du collectif afroféministe Mwasi, retrace ici, à la lumière d’évènements récents, l’histoire d’une lutte séculaire méconnue en France. Et invite, à rebours d’une conception libérale et individuelle de l’émancipation des femmes, à un féminisme de masse, populaire et ancré dans les réalités quotidiennes.

"Octobre 2018. Nice Simon, mairesse de Tabarre1, porte plainte et organise une conférence de presse où elle déclare, photo à l’appui, qu’elle a été battue et séquestrée par son compagnon, l’homme d’affaires Yves Léonard. Un mandat d’arrêt est émis à l’encontre de ce dernier. Il n’est pas arrêté, et bien que des photos de lui dans des lieux connus de la capitale circulent, il ne semble pas plus inquiété que cela. Janvier 2019. Le mandat d’arrêt contre Yves Léonard est annulé et les faits sont requalifiés en simple délit. À la suite d’une interview accordée par Nice Simon au média en ligne Ayibopost2, Léonard annonce qu’il va donner une conférence de presse pour faire la « lumière sur Nice Simon ». Impossible de saisir le sentiment d’impunité qui habite Monsieur Léonard sans une information clé : ce dernier est un proche de l’actuel président de la République Jovenel Moïse, ainsi que du Premier ministre Jean Henry Ceant. Il est par ailleurs propriétaire de la villa que loue le Président. L’origine de la fortune d’Yves Léonard n’est pas connue et fait l’objet de vives et constantes rumeurs d’activités illégales.

Dans un pays où le justiciable de droit commun voit ses chances d’obtenir réparation réduites à peau de chagrin, les affaires de violences genrées sont un parcours de combattante. La féministe Pascale Solages déclarait dans le podcast local « Medam yo Ranse ! » que l’avancée d’un dossier dépend « de qui porte plainte contre qui ». Autrement dit, dans le contexte de corruption généralisée, une affaire ne se joue pas dans la cour, mais par vos relations. À cela il faut ajouter la pression sociale, familiale et religieuse, qui dissuade les femmes de porter ces affaires en justice. Une situation tristement banale dans nombre de pays, mais qui se trouve décuplée en Haïti, où les greffiers ne prennent pas en charge les procédures s’ils ne sont pas payés, où votre avocat peut s’arranger — contre rémunération — avec celui de la partie adverse pour saboter votre dossier. D’ailleurs, d’après Madame Simon, Yves Léonard ne manque pas de se vanter publiquement de circuler en voiture officielle, avec une enveloppe de 3 000 dollars américains pour graisser la patte de policiers qui seraient pris d’un soudain sens du devoir."

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