L’étrangeté de l’étranger
L’opposition entre « national » et « étranger » structure notre vision du monde depuis toujours. L’étranger n’a pas toujours été celui qui franchit une frontière : par exemple, tout au long du 19e siècle, les Auvergnats et les Bretons qui migrent vers la capitale sont rejetés et stigmatisés par les Parisiens de souche. « Invasion des barbares », gronde le Journal des Débats, « tourbe de nomades », « multitude de vagabonds ». L’arrivée de ces « étrangers », notamment dans la capitale, donne lieu à des comportements et des remarques racistes. On évoque des « sauvages immigrés provinciaux » qui seraient responsables de l’insécurité… L’histoire nous enseigne que les hommes ont toujours tendance à désigner ceux qui viennent d’ailleurs comme responsables des malheurs de la société. Hier, l’Auvergnat et le Breton ; aujourd’hui, l’immigré et le musulman. Ils jouent ainsi le rôle bien commode de « boucs émissaires ». Les différences de comportement ou d’origine suscitent l’incompréhension, la peur et le rejet, et rend difficile de percevoir l’Autre autrement que comme une menace.
Le voile et l’islamophobie
Depuis une vingtaine d’années, la « question du voile » soulève bien des débats en France : « Il n’y a plus que des femmes voilées dans nos rues. Et ne parlons pas de ces corbeaux qui portent la burqa, dont on ne voit plus un morceau de peau », déplore la tante Francette. Pour de nombreuses personnes en France, le voile pose problème dans sa dimension symbolique de soumission, d’oppression et d’incapacité de s’émanciper face à l’homme musulman. Craignant pour ses valeurs républicaines et veillant à « protéger la dignité de la femme », la France fait voter deux lois, l’une en 2004, interdisant le port du voile à l’école et l’autre en 2010, qui interdit de porter la burqa (voile intégral). Ces mesures qui prétendent protéger ces femmes, les excluent du système scolaire et de leur occupation professionnelle. On peut donc légitimement se poser la question de leur efficacité…
Pourtant, le « déferlement » de musulmans sur la France est un fantasme : en 2010, ils étaient estimés à 2,1 millions soit 3,3 % de la population en France [1]. L’estimation la plus haute tablait sur 5,8% de la population [2]. 8 % des femmes musulmanes de moins de 35 ans déclarent porter le voile en France. Les femmes portant le voile intégral étaient, quant à elles, ultra minoritaires : à peine 2000 [3]. Derrière la crispation du voile se cache en réalité une peur que les islamistes, courant de pensée pourtant très minoritaire en France, viennent transformer l’identité de la France en imposant l’islam politique. Pourtant, selon les Renseignements généraux français, les Djihadistes sont environ 2000, soit 0,075% des personnes pratiquant l’Islam. Du « danger islamiste », relayé par les médias et les politiques pour alimenter les peurs, une défiance s’est progressivement installée vis-à-vis de tous les musulmans.
Les croyantes féministes et les musulmans progressistes, ça existe !
Des femmes musulmanes qui portent le voile peuvent être aussi des militantes féministes… Elles expliquent que l’islam archaïque, tel qu’il est perçu par nos sociétés occidentales, est une construction historique et que la lecture des textes sacrés – celle du Coran en particulier – montre au contraire une conception très égalitaire des relations entre les hommes et les femmes. La religion est une affaire personnelle. Les musulmans, comme la plupart des croyants, ne cherchent pas à imposer leurs convictions, ils réclament juste le droit de pouvoir pratiquer leur religion et d’être considérés comme des citoyens, sans être constamment identifiés à leur croyance.
Du combat pour la laïcité aux dérives racistes…
… il n’y a qu’un pas ! Jugeant que le monde est mis en danger par le « péril islamiste » qui pèserait sur nos démocraties européennes, allant jusqu’à parler de « guerre civile imminente » ou de « fascisme du 21e siècle », des personnes se mobilisent pour alerter l’opinion publique. Ces nouveaux croisés partent en guerre pour défendre notre civilisation. Ils se sont rassemblés en association, alimentent des médias, font des conférences. Ils organisent également des « apéros vin-saucisson », ou des Assises sur l’islamisation en compagnie de sympathisants de la droite dure ou du Front National. Sous couvert de défendre les valeurs républicaines de la France, ils en viennent à des glissements dans leurs discours qui favorisent les amalgames et entretiennent des confusions dans les esprits. C’est ainsi que la frontière devient floue entre musulman, islamiste, terroriste ou salafiste.
Pour en savoir plus, lire le Petit guide de survie pour répondre aux préjugés sur les migrations.